La révolution tunisienne s’explique par "l’accumulation de frustrations, de colères, de haines" (Olga Lamloum)

dimanche 16 août 2015.
 

Opposante au régime de Ben Ali, cette chercheuse tunisienne et militante d’extrême gauche revient sur des années de répression et d’engagement clandestin.

Vous avez quitté la Tunisie en 1993. Qu’est-ce qui vous a poussée à partir  ?

Olfa Lamloum. À l’époque, je militais dans une organisation d’extrême gauche, les Communistes révolutionnaires (section de la 
IVe Internationale en Tunisie). 
Je militais aussi dans l’association féministe et indépendante des femmes démocrates. J’ai fait mes études 
en sciences économiques en Tunisie puis obtenu un diplôme de l’ENA de Tunis. Notre organisation était bien sûr clandestine mais présente dans le mouvement étudiant, syndical et féministe. On a été victime de plusieurs procès, à l’époque des grandes répressions, car notre organisation faisait partie des rares à l’époque à dénoncer la répression du mouvement islamiste. On l’a payé très cher par l’arrestation de nos militants. Je suis partie en France en 1993, en attendant que les choses se calment. En France, j’ai continué à militer dans le cadre du Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie  : une association française qui réclame l’amnistie générale en Tunisie et a participé à l’organisation de campagnes de solidarité avec les prisonniers politiques. À cause de cette activité-là, j’ai été privée du renouvellement 
de mon passeport tunisien en 1999, 
et je suis loin d’être la seule.

Comment s’est forgée la politisation des jeunes Tunisiens  ?

Olfa Lamloum. Il y a eu deux événements majeurs qui ont marqué ma génération, et qui ont provoqué la politisation et l’engagement. D’abord, le mouvement lycéen de 1981, radical et de très grande ampleur. Les lycéens s’étaient fortement mobilisés contre une réforme antidémocratique et libérale de l’enseignement secondaire. On demandait la reconnaissance du syndicat étudiant. Ensuite, l’invasion israélienne du Liban et le massacre de Sabra et Chatila ont beaucoup choqué les jeunes.

Comment expliquez-vous 
cette révolution du jasmin  ?

Olfa Lamloum. Personne ne s’attendait à une telle radicalité du mouvement. L’élément déclencheur est sans conteste l’immolation par le feu de ce jeune diplômé et chômeur. Mais il y a eu aussi l’accumulation de frustrations, de colères, de haines de ce régime. Vous ne pouvez pas imaginer les dégâts causés par ce régime, en termes de privatisation de l’État, d’expropriation des biens publics, de privation de libertés, de corruption organisée, de multiplication des corps répressifs secondés par des milices. C’est tout cela que les Tunisiens ont rejeté.

Que pensez-vous du « nouveau » gouvernement  ?

Olfa Lamloum. Ben Ali est parti mais son régime ne s’est pas effondré. Ses hommes sont toujours là et ses institutions, dont le ministère de l’Intérieur, colonne vertébrale du régime, restent à l’abri. C’est un changement cosmétique qui sauvegarde les institutions d’un ordre autoritaire bâti pendant vingt-trois ans. Le régime essaie de gagner du temps. Pour autant, la mobilisation de la rue reste très forte. Ce mouvement civil spontané des citoyens est inédit. Voyez ces comités de surveillance dans les quartiers populaires. Ils se donnent des rendez-vous, organisent des réunions, votent. Les gens se sont approprié les rues et ils s’auto-organisent. Il y a une forme de solidarité sans précédent et l’implication des femmes est aussi à souligner.

Entretien réalisé par 
Ixchel Delaporte


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