Alain, de l’idée à la pratique républicaine

samedi 22 janvier 2011.
 

Trois textes inédits du grand pédagogue qui forma des générations de philosophes
et savants du XXe siècle. Un éloge de l’éducation, du savoir critique et de la politique. Souvenirs sans égards, suivi de Traité des outils et Dix leçons d’astronomie, d’Alain, présentation Éditions Aubier, 2010, 340 pages, 22euros. d’Emmanuel Blondel.

Un Propos du 15juillet 1906 figure « en guise d’avertissement » au Traité des outils  : on y voit un bachelier qui vient de disserter doctement sur le bonheur, citant les doctrines et les auteurs, mais incapable d’expliquer comment fonctionne un cric. Tout l’esprit de ce livre est là. Il n’y a pas d’instruction républicaine qui vaille, et la démocratie est en péril, si l’école, au lieu de donner une parfaite maîtrise de l’absolument élémentaire, fait des singes savants juste bons à discourir sur ce qu’ils n’ont jamais su.

Comprendre le principe du levier ou de la vis est politiquement vital. Bavarder dans un dîner sur la relativité ou la mécanique quantique est vanité, au sens de vide. D’où ces leçons d’astronomie à destination des instituteurs. Il n’y sera pas question des dernières découvertes de l’astrophysique, mais du ciel qu’on voit avec ses deux yeux. Car il n’est de science digne de ce nom que celle qui fait comprendre la chose même, c’est-à-dire les apparences sensibles. On ne voit jamais que des apparences, et la tâche de la science est de faire comprendre quelle réalité se trouve sous ces apparences, et pourquoi cette réalité ne peut nous apparaître, là où nous sommes, autrement qu’elle ne fait. Comprendre ce qu’on voit dans les astres, c’est comprendre pourquoi voir avec ses yeux, ce n’est encore jamais comprendre. Ici, comme toujours chez Alain, Platon n’est pas loin. Et Rousseau, qui ne voulait pas que le petit Émile apprît l’astronomie dans des livres. Bien regarder le ciel nocturne, c’est sortir de la fameuse caverne de la République, où nous enfoncent trop souvent les émissions télévisées de vulgarisation. « Tout citoyen, dit Alain, a droit à sa part de théorie », qui seule le protège d’adorer les autorités et de céder à l’éloquence.

Cela nous ramène à la première partie, dont le titre, « Souvenirs sans égards », peut tromper. Autobiographie, certes, mais plus encore méditation sur les conditions de possibilité de la libre république qu’Alain soutint de ses combats et dont il vit la défaite, confrontée à ses ennemis éternels, qui sont en chacun de nous  : ignorance, mais surtout paresse de juger, goût de croire et de s’enthousiasmer. Des variations en forme de réflexions sur une multitude de thèmes. Des portraits – de politiques, de philosophes – savoureux, mais pas toujours tendres.

Ce n’est pas le livre prioritaire pour ceux qui ne connaissent pas Alain (qu’ils lisent un recueil des Propos, sur le bonheur, les pouvoirs, la religion ou la nature). Mais les autres y feront des découvertes et y prendront du plaisir.

Patrick Dupouey, philosophe


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