Tunisie « On ne fait pas du neuf avec du vieux » ( Mustapha Ben Jaafar, Front démocratique pour les libertés)

lundi 31 janvier 2011.
 

Mustapha Ben Jaafar : « On ne fait pas du neuf avec du vieux »

Rencontre avec le leader du Forum démocratique pour les libertés. Avant même d’avoir pris ses fonctions, ce médecin a démissionné du poste de ministre de la Santé pour dénoncer le maintien au gouvernement d’ex-membres de l’équipe Ben Ali. Tunis, envoyée spéciale.

Mustapha Ben Jaafar dirige le Forum démocratique pour les libertés et le travail, parti d’opposition légalisé en 2002. Nommé ministre de la Santé dans le gouvernement de transition de Mohammed Ghannouchi, il a démissionné en signe de protestation contre le maintien, dans cette équipe, de ministres en poste sous Ben Ali.

Pourquoi refusez-vous désormais de participer à ce gouvernement de transition  ?

Mustapha Ben Jaafar. Après la fuite de Ben Ali, nous étions entrés dans une phase critique. Nous étions prêts à mettre l’intérêt du pays au-dessus des intérêts partisans. Mais nous avons déchanté au fil des négociations et surtout en découvrant la composition finale du gouvernement. Quelle que soit notre détermination à sortir de cette crise, nous resterons à l’écoute de la population qui a conduit cette révolution. Ceux qui sont descendus dans la rue, qui ont consenti de lourds sacrifices, surtout dans les régions déshéritées, continuent de réclamer le changement. Or on ne fait pas du neuf avec du vieux. Tout ce qui représente le RCD, de près ou de loin, doit être écarté des commandes.

Vous n’êtes donc pas convaincu par les premières mesures annoncées par ce gouvernement  ?

Mustapha Ben Jaafar. Ce sont des mesurettes concédées par des gens du RCD pour sauver leur poste  ! Le peuple, la jeunesse demandent au contraire une véritable rupture. Chaque jour, le gouvernement lâche quelque chose sous la pression populaire. Mais nous ne sommes pas face à de petites révoltes circonscrites  ! Nous sommes devant une véritable révolution, dont il faut prendre la mesure, comprendre l’ampleur. Il faut donner au peuple une réponse rapide, réelle, globale.

Y a-t-il, aujourd’hui, une fracture entre l’opposition dite « légale » qui participe au gouvernement, et celle qui refuse d’y participer  ?

Mustapha Ben Jaafar. Il y a parfois de l’incompréhension et des différences de stratégie. Il reste que ce gouvernement n’est pas un gouvernement d’unité nationale. Il ne reflète pas la réalité du pays. Les rafistolages successifs n’y changeront rien. Il eut fallu, dès le premier jour, composer un gouvernement indépendant, capable de susciter la confiance du pays.

Quelle forme devrait prendre cette transition  ?

Mustapha Ben Jaafar. Il faut un autre gouvernement de transition, resserré, formé de personnalités indépendantes, pour gérer les affaires courantes. Avec, à ses côtés, une structure ouverte à toutes les formations politiques, chargée de dessiner la Tunisie de demain, de jeter les bases d’une Tunisie démocratique et de préparer les élections. L’essentiel est d’offrir au peuple des garanties, pour empêcher tout retour à l’ancien système.

Cette révolution signe-t-elle aussi l’échec du modèle économique néolibéral promu par Ben Ali  ?

Mustapha Ben Jaafar. C’est évident  ! Ce modèle de développement s’est brutalement essoufflé, creusant les inégalités entre les régions, entre les catégories sociales. La classe moyenne s’est paupérisée. Des tensions sociales s’expriment dans tous les secteurs de l’économie, dans le secteur privé comme dans le secteur public, malmené par Ben Ali. Il faudra répondre à l’urgence sociale par des mesures exceptionnelles. Peut-être faudra-t-il recourir à la solidarité internationale  ? En réponse à cette révolution, il faut des gestes forts, sur le plan politique mais aussi sur la question sociale, qui fut le point de départ de ce soulèvement.

Entretien réalisé par Rosa Moussaoui, L’Humanité


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