Analyse du corps électoral français à 5 mois de la présidentielle (CEVIPOF)

vendredi 8 décembre 2006.
 

La présentation de l’analyse des résultats de la seconde vague du Baromètre Politique Français est réalisée par Pascal Perrineau, directeur du CEVIPOF. Comme lors de la première vague, une partie du questionnaire est centrée sur un thème spécifique. Pour cette vague-ci, il s’agit du « modèle institutionnel français », abordé principalement sous deux angles : celui de la fonction présidentielle et celui de la décentralisation.

Pascal Perrineau rappelle tout d’abord toute la spécificité du Baromètre Politique : un échantillon important -5647 personnes ont été interrogées du 11 au 26 septembre 2006-, un ancrage territorial clair -7 grands sous-ensembles régionaux sont distingués-, et une attention particulière portée à certaines variables -en particulier au niveau de diplôme, afin de ne pas avoir une sur-représentation des plus diplômés.

Le premier temps de la présentation de Pascal Perrineau s’articule autour de l’état d’esprit des français et de leur situation personnelle. Le contexte reste marqué par la prégnance des préoccupations économiques et sociales et par un niveau extrêmement élevé du pessimisme sur ces questions. 63% des personnes interrogées se disent pessimistes sur l’évolution, au cours des six prochains mois, de la situation économique en France. Si l’on compare les résultats obtenus avec ceux de la première vague du BPF (Printemps 2006), une amélioration est toutefois assez nettement perceptible au sein de certaines populations : chez les hommes, chez les jeunes et chez les sympathisants de droite. Cette évolution très légère n’a pas d’impact sur le sentiment de « s’en sortir difficilement avec les revenus du foyer », lequel reste à niveau élevé et ce, dans tous les milieux. Le groupe socio-professionnel qui ressent le moins cette difficulté est celui des enseignants. Pascal Perrineau montre également que la régionalisation de l’enquête conduit à souligner l’accentuation de la perception de cette difficulté dans le Nord de la France.

Recensant les enjeux qui préoccupent le plus les Français aujourd’hui, il note une stabilité par rapport à la première vague : la préoccupation pour l’emploi reste dominante, placée en 1ère ou 2nde position par 50% des Français, suivie par la question des inégalités et celle de la hausse des prix. Le positionnement par rapport à ces enjeux tend cependant à se polariser entre l’électorat de gauche et l’électorat de droite. L’électorat de droite place ainsi la question de la sécurité et de l’immigration en 2ème et 3ème positions. Quand à l’électorat d’extrême droite, il se distingue en cela qu’il est le seul à ne pas placer l’emploi, mais l’immigration, au premier plan.

Depuis la vague du Baromètre du printemps, le paysage des enjeux a légèrement changé : la préoccupation pour l’emploi a régressé de 6 points, alors que la problématique de l’immigration a augmenté de 5 points. La pulsion protectionniste, à travers la peur de la mondialisation et de l’Europe, a augmenté, puisque 40% des sondés estiment que la France doit se protéger davantage du monde d’aujourd’hui (soit une progression de 9 points).

La réflexion se poursuit par une présentation des valeurs et des références idéologiques, domaine sur lequel l’électorat apparaît très clivé. A la question « La liberté et l’égalité sont deux valeurs fondamentales. Mais si vous deviez choisir entre l’une et l’autre, laquelle choisiriez-vous ? », 48% répondent en faveur de la liberté et 52% choisissent l’égalité. Le choix de l’égalité est particulièrement fort chez les jeunes (61% choisiraient l’égalité), et au sein des couches populaires. 56% des électeurs de gauche « préfèrent » l’égalité à la liberté, contre 44% de ceux de droite.

Pour ce qui est du libéralisme culturel, une large majorité y est toujours favorable. Les résultats obtenus conduisent à insister sur la complexité de la pulsion protectionniste exprimée, en cela qu’elle n’empêche pas 68% des français d’être favorables à l’octroi de plus de libertés aux entreprises. C’est donc une large majorité de français qui se dit favorable au desserrement des contraintes sur l’appareil productif. Les valeurs ont également été testées à partir des réactions des interviewés sur une liste de mots clefs.

Le caractère positif accordé à la notion de services publics reste énorme, à droite comme à gauche. Cela révèle également que la méfiance par rapport à l’Union Européenne ne va pas jusqu’à remettre en cause le bien-fondé du processus de construction de l’UE, terme qui n’apparaît pas connoté négativement. La « démonologie » porte surtout sur trois termes : l’islam au premier rang, mais aussi l’immigration et les Etats-Unis.

Le niveau d’intérêt pour la politique reste stable d’une vague à l’autre, ce qui conduit à relativiser la répercussion des débats sur le choix des candidats, du parti socialiste et de l’UMP, sur l’intérêt que les Français portent à la politique. En matière d’information politique, le constat d’une écrasante domination de la télévision se confirme. L’usage d’Internet est, pour sa part, remis à sa juste place : il n’est en rien devenu massif, sauf chez les jeunes, parmi lesquels 34% placent Internet en 1ère ou 2ème position des médias utilisés pour s’informer.

Sont ensuite abordées les modalités de participation. Le potentiel manifestant, très élevé pour la 1ère vague qui avait eu lieu au moment de la crise du CPE (50% des personnes interrogées se déclaraient alors prêtes à avoir recours à ce moyen pour s’exprimer), reste à un niveau élevé : 41% des interrogés. Par rapport aux pratiques politiques permettant d’exercer de l’influence sur les décisions politiques, la pulsion protestataire ne remet pas en cause le rôle du vote : pour 73% des interviewés, c’est le moyen qui permet d’exercer le plus d’influence en 1ère ou 2nde position) sur les décisions prises. Cela n’empêche pas que les formes conventionnelles soient travaillées par la protestation. Comme le souligne P. Rosanvallon dans son dernier livre, l’élection devient de plus en plus une « désélection ».

Pascal Perrineau s’attache ensuite à analyser le contexte de défiance par rapport au politique. L’amélioration du jugement porté sur le gouvernement de de Villepin est sensible (passage de 35% d’appréciations positives à 43%), mais une majorité de Français continue de penser que l’action du gouvernement est négative. La perception de l’évolution du chômage a globalement évolué favorablement : s’il reste encore 30% des français pour lesquels le chômage au plan national a beaucoup ou un peu augmenté, ce chiffre atteignait 47% chez les enquêtés de la première vague. En revanche, au plan local, cette perception d’une amélioration est plus ténue. Trois indicateurs clefs montrent la prégnance du sentiment de défiance : au plan national, invitées à se situer sur l’axe gauche-droite, 34% des personnes ne se classent ni à gauche ni à droite, 65% disent n’avoir confiance ni dans la gauche ni dans la droite pour gouverner le pays et 59% pensent que l’élection présidentielle ne changera que peu ou pas du tout les choses.

Sur le thème spécifique de cette seconde vague, à savoir les institutions, les individus ont été questionnés en premier lieu sur leur pouvoir. Les personnes interrogées désignent massivement les médias comme étant des acteurs ayant trop de pouvoir aujourd’hui en France (62% des Français le considèrent) ; viennent ensuite les partis politiques, puis l’Union Européenne. Contrairement à certaines intuitions, on ne constate pas de véritable protestation ou mécontentement à l’encontre du pouvoir des institutions centrales, comme le Président de la République, le Premier Ministre, le Parlement ou les collectivités locales.

En ce qui concerne le rôle du prochain Président de la République, les avis sont très partagés : 55% de l’échantillon se prononcent en faveur d’une fonction en premier lieu arbitrale, contre 44% pour un renforcement de la fonction présidentielle. Le point de vue exprimé sur la décentralisation est, pour sa part, assez surprenant : 41% des sondés considèrent qu’elle est allée trop loin et 70% pensent qu’elle entraîne une hausse trop importante des impôts locaux. Ces indicateurs sont très clivés socialement : pour 55% des ouvriers la décentralisation est allée trop loin, alors que cette position se rencontre chez seulement 18% des cadres supérieurs interrogés.

Testant l’image des personnalités politiques et leur potentiel électoral, les résultats de l’enquête mettent l’accent sur la position de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal, toujours largement en tête, dans la continuité des résultats obtenus au printemps. Pour ce qui est des traits d’image saillants, c’est la « capacité à vouloir changer les choses » de Nicolas Sarkozy qui arrive en tête, pour 71% des sondés. Sur l’item « Il/Elle a l’étoffe d’un président », il devance pour le moment Ségolène Royal, mais il apparaît également sensiblement plus haut que celle-ci pour l’item « Il/Elle vous inquiète ». En projetant ce potentiel électoral sur le territoire, il apparaît que le potentiel de Nicolas Sarkozy est très élevé dans le Grand Est et atteint également un niveau important dans le Grand Nord, alors que celui de Ségolène Royal est plus important dans le Grand Ouest.

Pascal Perrineau s’intéresse enfin à une catégorie particulière de la population étudiée : les dissonants politiques, qui représentent 14% de l’électorat. Quelle sera la capacité de la droite et de la gauche modérées à les « récupérer » ? Ceux qui déclarent une proximité partisane de gauche, mais se disent proches d’une personnalité politique de droite, représentent 10% de l’électorat. Au sein de cette population, les femmes sont largement majoritaires (65% de femmes), les ouvriers et employés sont également surreprésentés et le niveau d’intérêt pour la politique est plus faible que la moyenne. Les caractéristiques des 4% restants, qui ont une proximité partisane de droite, mais se déclarent proches d’une personnalité politique de gauche, sont complètement différentes. Ils sont, dans l’ensemble, plus jeunes que la moyenne des interviewés. En outre, parmi eux la proportion de catholiques pratiquants est relativement forte, et 17% ont un niveau de diplôme supérieur au bac.

Jérôme Jaffré intervient ensuite pour apporter quelques précisions sur la défiance politique. Il souligne que celle-ci est massive, et qu’elle constitue une tendance lourde, à la fois à gauche et à droite, et enfin qu’elle est relativement récente. Regarder les évolutions depuis 1997 permet de prendre la mesure de la rupture qui s’est opérée : en 1997, 46% des sondés ne faisaient confiance ni à la droite ni à la gauche pour gouverner, ils sont aujourd’hui 65%. Les « intégrés au système » constituaient donc alors environ la moitié de la population, ils n’en représentent aujourd’hui plus qu’un tiers. L’enjeu est donc de taille et la question est véritablement de savoir si la campagne présidentielle permettra de rétablir cette confiance. Jérôme Jaffré apporte ensuite des précisions sur cette défiance au sein des principaux partis modérés.

55% des sympathisants socialistes et 42% des sympathisants UMP ne font confiance ni à la droite ni à la gauche pour gouverner le pays. La conclusion qui s’impose pour Jérôme Jaffré est donc que, dans la campagne à venir, les candidats des grands partis devront, en premier lieu, partir à la reconquête de leurs propres troupes. Il souligne ensuite que les défiants socialistes expriment clairement leur potentialité de fuite vers Nicolas Sarkozy puisque 25% d’entre eux affirment qu’ils pourraient voter pour lui. Du côté des défiants UMP, on observe un double mouvement de fuite, à la fois vers Ségolène Royal (25% des sympathisants UMP disent qu’ils pourraient voter pour la candidate socialiste) et vers Jean Marie Le Pen (20% des sympathisants UMP disent qu’ils pourraient voter pour lui). Cela invite donc à revoir le problème des fidélités partisanes et des relations entre les partis et les électorats. C’est l’un des enjeux qui devra être examiné dans les prochaines vagues.

La discussion est ensuite ouverte. La première question posée porte sur le rôle possible de Nicolas Hulot dans ce contexte de défiance. Pascal Perrineau répond que ce rôle n’a pas été testé mais que la leader écologiste testée, Dominique Voynet, est créditée d’un capital électoral très faible. On peut penser cependant que Nicolas Hulot contribue à structurer le débat autour de l’enjeu du développement durable.

La deuxième question porte sur les facteurs explicatifs des attitudes des défiants. Jérôme Jaffré montre que ceux-ci se caractérisent par un pessimisme très profond à la fois sur la situation économique et sur les perspectives d’avenir et par le sentiment que l’élection ne fera pas changer les choses. Ils considèrent aussi massivement que les partis politiques ont trop de pouvoir et expriment généralement des réticences assez marquées sur toutes les questions concernant l’ouverture internationale de la France (en particulier pour les défiants proches de l’UMP).

Pascal Perrineau répond ensuite à une question portant sur l’importance croissante des enjeux « immigration » et « sécurité ». Il montre tout d’abord que cette hausse intervient avant tout au sein de l’électorat des droites, même si elle touche aussi l’électorat de gauche. Cela l’amène ensuite à conclure sur le fait, qu’en matière de structures d’enjeux, il faut désormais compter avec trois familles politiques : la gauche, la droite et l’extrême droite. Cette dernière se distingue par sa position d’extériorité au système de valeurs, par sa culture politique et par sa démonologie spécifique. Alors que l’extrême gauche ne se différencie pas fondamentalement de la gauche en matière de hiérarchisation des enjeux, le cas de l’extrême droite est lui marqué par des spécificités très fortes.

Julie Pollard, Allocataire de recherche


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