L’Europe de Maastricht, c’est comme Capri, c’est fini  !

samedi 12 février 2011.
 

L’article de Jean-Claude Paye, paru le 2 juillet dans l’Humanité, fait partie de ces analyses dont nous avons besoin pour penser l’Europe nouvelle. Tout en donnant une interprétation pertinente de la stratégie actuellement poursuivie par l’impérialisme allemand, elle montre que, depuis Maastricht, « les choses » ont beaucoup changé.

Pour ce qui concerne la Grande-­Bretagne, j’emprunte au professeur ­Albrow (China Daily, 1er juillet 2010, page 9) l’idée selon laquelle le problème que les classes dirigeantes de ce pays ont cherché à résoudre au cours du dernier demi-siècle fut de trouver un substitut économique et politique à « la perte de l’Empire ». Elles ont choisi, dans ce but, de s’immerger totalement dans un processus de mondialisation capitaliste au progrès duquel elles contribuèrent activement. De Thatcher à Brown, la Grande-­Bretagne ne s’est pas européanisée. Elle s’est globalisée, voulant être la promotrice des intérêts américains en Europe tout en cherchant à tirer profit, dans le monde, de ses compétences financières. Simultanément, elle s’est ouverte aux populations et aux capitaux du monde entier. Elle est devenue « un pays-monde ». Tandis que les conservateurs et leurs alliés du Labour faisaient exploser la nation britannique, l’écart entre riches et pauvres y a pris un tour fantastique.

Mais cette stratégie n’a pas seulement abouti à un désastre sociologique. Elle a abouti à un échec économique (la récente crise de système) ayant nécessité à son tour d’urgentes et massives réparations. Les soutiens accordés à l’activité bancaire et financière ont fait monter le déficit budgétaire de ce pays à 13% de son PIB. Ce dernier devra être résorbé, tel est le prix à payer pour continuer à prendre place dans la globalisation capitaliste. Mais une fois réglé ce prix, le capital financier britannique retrouvera-t-il sa position des années immédiatement précédentes  ? L’article de Jean-Claude Paye conduit à penser que l’Europe continentale envisage son destin financier sous un autre angle. Ce que les classes dirigeantes allemandes souhaiteraient, me semble-t-il, serait d’unifier le marché financier européen (ou, pour parler de manière caricaturale, de disposer d’un seul marché financier globalisé au lieu d’en avoir 27) et, simultanément, d’établir des relations nouvelles entre le marché financier européen unifié et le marché financier américain.

On peut croire, en effet, que les puissants de ce monde sont inquiets de la crise du « système dollar » sans être prêts à remplacer les États-Unis dans la fonction de pourvoyeurs de monnaie mondiale. Il s’agirait donc, pour eux, de mieux articuler, au sein d’un espace atlantique toujours dominé par les États-Unis, le marché financier européen reposant sur « une monnaie solide », indispensable au capital mondialisé, et le marché financier américain, dispensateur d’une monnaie certes « volatile » mais pourtant nécessaire au commerce (dont l’Allemagne est l’un des plus gros acteurs mondiaux) comme aux investissements. Le capital financier britannique perdrait alors son hégémonie, étant trop imprégné des perverses habitudes de l’insularité.

La stratégie de l’impérialisme français apparaît, dans ce contexte, comme étant brouillonne, sans perspective, et finalement insignifiante. Prenant lui aussi en compte la fin de l’Empire, de Gaulle avait cherché l’industrialisation et la modernisation de la France pour lui donner une force de frappe économique en accord avec son autorité morale et politique. Mais la mondialisation capitaliste des années 1980-1990 et ceux qui en ont assumé la conduite n’ont pas entériné cette ambition. Les compétences industrielles de la France, notamment dans le domaine des grands équipements, se détériorent. Son puissant partenaire rival allemand n’est plus le nain politique d’autrefois. Il est intéressant d’entendre le président de la République française, peut-être dans un but de compensation à finalité populaire, se lancer dans le « gauchisme langagier »  : il faut changer le capitalisme, etc., comme disait Ginsburg. Mais même les pandas motocyclistes du zoo de Chengdu rigolent quand ils entendent ce genre de propos.

En un mot, l’Europe de Maastricht, c’est comme Capri, c’est fini. Il va s’en reconstruire une autre. Le grand capital européen ne se satisfait plus d’avoir unifié les comptabilités et les taux de change en Europe. Il lui faut autre chose et davantage pour faire face à la crise du système capitaliste mondialisé dont il est une composante.

Parmi ceux d’en face, si j’ose dire, quels sont les projets  ? Si l’on s’efforce de réfléchir de manière politique, deux phénomènes sont à considérer.

Le premier est la conception de l’Europe que les démocrates devraient proposer aux populations auxquelles ils s’adressent. Cette conception est, selon moi, celle de la nation européenne. Nous sommes à l’époque des « grandes nations ». Les peuples constitutifs de l’Europe doivent faire en sorte que leur propre nation soit conservée et transcendée dans une construction politique nouvelle.

Le deuxième est le système de valeurs au nom duquel s’accomplirait cette évolution. Ce système de valeurs est celui qu’enseigne l’histoire de l’Europe, avec ses trois composantes successives  : la composante gréco-romaine, alliance du droit et de la démocratie, la composante judéo-chrétienne, ayant donné en héritage le respect de la personne humaine et le devoir de protection tutélaire exercé par l’État, la composante socialiste, issue des luttes ouvrières et populaires contre l’exploitation capitaliste et la guerre.

Il est possible que mon propos choque certaines personnes. Ce n’est pas le but recherché. Mais cela aussi, il faudra bien le régler pour construire une nouvelle nation européenne.

Par Jean-Claude Delaunay, économiste, Tribune dans L’Humanité

Jean-Claude Delaunay


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