Egypte. Un souffle contestataire embrase tout le pays

mardi 1er février 2011.
 

La jeunesse égyptienne n’en peut plus et exprime désormais son ras-le-bol au grand jour. Elle est rejointe par ces 32 millions d’Égyptiens qui vivent avec moins de 2 dollars par jour. Le mal est profond culturel, social, politique et il lie entre elles les différentes couches de la société.

Il est des signes qui ne trompent pas. Mahmoud Saad, figure très populaire en Égypte, animateur d’un talk-show quotidien, Masr El Naharda (« l’Égypte aujourd’hui »), sur une chaîne de la télévision d’État, a annoncé qu’il suspendait sa participation à cette émission. La raison  ? Il n’a pas apprécié les pressions exercées par quelques hauts dignitaires du régime afin qu’il décrédibilise le mouvement de protestation et accuse les manifestants de vouloir « détruire le pay  ». Qu’une personnalité telle que Saad, au statut social enviable, veuille garder sa dignité et affronte publiquement un pouvoir dont la dureté n’a rien à envier à celle d’un Ben Ali – dans les rues du Caire, comme dans celles de Tunis, on voit ces flics en civil surgir d’on ne sait où, frapper et embarquer avec violence les jeunes qui manifestent –, dit plus qu’autre chose la force du mouvement qui est en train de grandir en Égypte. une génération qui souffre en silence déjà plusieurs morts et des centaines de blessés

D’autres signes montrent qu’Hosni Moubarak, 82 ans, –ou peut-être faut-il maintenant parler d’« honni Moubarak » – et ses affidés sont aux abois. Il y a d’abord cette rumeur selon laquelle le fils du raïs, Gamal, présenté comme successeur à la tête du pays, aurait quitté l’Égypte pour Londres, avec sa femme et leur fille. Les propagandistes zélés (il n’y a pas que des Mahmoud Saad à la télévision) parlent de « saboteurs ». Les centres névralgiques du pays, comme les ministères ou les bâtiments de la radio et de la télévision, sont maintenant protégés par des véhicules blindés.

La nervosité est également palpable au vu du nombre de femmes – voilées ou non – arrêtées par une police qui pratique la parité dans la bastonnade. Enfin, le pouvoir essaie d’instrumentaliser certains syndicats au sein desquels il avait placé quelques pions. Peine perdue, les comités locaux, aguerris par des années de luttes sociales, notamment dans les industries textiles, ne sont pas sensibles à cette réquisition politique. Ils ont participé massivement aux manifestations d’hier et s’apprêtent à faire de même aujourd’hui et demain.

Dans les cortèges qui se forment dans les principales villes du pays, au Caire comme à Suez, à Port-Saïd comme à Assouan, ce qui s’entend, c’est d’abord le ras-le-bol d’une jeunesse qui étouffe, qui n’en peut plus. L’utilisation des réseaux sociaux Facebook et Twitter porte la marque, ici comme partout, de cette génération qui souffre en silence depuis trop d’années. Mais le souffle des manifestations est aussi à chercher dans cette mal-vie quotidienne qui fait que plus de 40% des 80 millions d’Égyptiens vivent avec moins de 2 dollars par jour.

Alors que ces dernières semaines la colère grondait dans les centres urbains, le gouvernement, bon élève de la politique libérale, adepte des rendez-vous de Davos, coupait ou réduisait les aides financières allouées à certains secteurs. Juste avant les premières manifestations de mardi, ce même gouvernement s’apprêtait à diminuer les subventions jusque-là octroyées à l’énergie, ce qui va provoquer des répercussions sur les prix d’un nombre impressionnant de produits. Dans le même temps, le ministère de la Santé préparait (prépare  ?) une limitation de la couverture santé, réduisant dans les hôpitaux publics les créneaux horaires pendant lesquels les consultations sont moins chères.

La répression engagée par le gouvernement égyptien, qui a déjà fait plusieurs morts, des centaines de blessés et des milliers d’arrestations, aura du mal à briser cette contestation profonde, culturelle, sociale, politique et qui, peu à peu, lie les différentes couches de la société dans un rejet historique de ce pouvoir usant et abusant d’un état d’urgence depuis trente ans. Il n’y a guère que la secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton, pour avoir « l’impression que le gouvernement égyptien est stable et est à la recherche de solutions pour répondre aux besoins et aux intérêts légitimes du peuple égyptien ». Pourtant, Safwat El Sherif, le secrétaire général du Parti national démocratique (PND), le parti de Moubarak, l’a asséné  : « La minorité n’imposera pas sa volonté à la majorité. » C’est ce qu’ont bien compris les Égyptiens.

Pierre Barbancey, 29 janvier 2011, L’Humanité


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