TUNISIE Ces oubliés de la vie qui ont fait la révolution

mercredi 2 février 2011.
 

Par Tarek Ben Hiba, Président de la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives, Ancien conseiller régional d’Île-de-France (CACR).

J’étais en Tunisie en juillet dernier et je n’avais remarqué aucun signe annonciateur des événements qui allaient s’enchaîner et se précipiter. Mohamed Bouazizi s’est immolé le 17 décembre. Vous m’auriez interrogé le 16, je vous aurais dit que j’étais désemparé, que le peuple tunisien ne parlait que de foot…

Je me trompais. Je ne voyais que la surface des choses, mais la profondeur, c’est qu’un peuple humilié finit par se rebeller. C’est le message universaliste de cette révolution. Il y a beaucoup de définitions pour parler d’une révolution, mais la première, c’est récupérer sa liberté de parole.

Comme d’autres peuples dans l’histoire, les Tunisiens ont pu délivrer au monde un message dans des conditions historiques déterminées. Mohamed était un jeune diplômé en informatique qui n’a pas trouvé de travail. Il s’est construit une brouette pour aller vendre des tomates, des carottes et des radis afin de subvenir aux besoins de sa famille. L’administration l’a humilié, empêché d’utiliser cette brouette. Lui, par dépit, a retourné la violence de l’État contre lui-même et il s’est immolé. Cela a choqué des milliers de Tunisiens au plus profond d’eux-mêmes.

Autour de la mort de ce jeune homme, se sont cristallisées toutes les raisons de la colère  : l’inégalité de développement, la corruption, le mal-vivre dans cette Tunisie à deux vitesses, entre la côte avec les touristes, des emplois, et la Tunisie intérieure où il n’y a que le désert, le vent et les scorpions. Ce sont les habitants des régions de l’intérieur qui ont tout déclenché. Ces gens sont les oubliés du développement, les oubliés de la vie, et ils ont fait la révolution.

La Tunisie en 2011, c’est Moscou en 1917. Les dominos sont en train de tomber. Égypte, Libye, Algérie, Jordanie, partout l’on suit cette chose magnifique qui s’est passée grâce au courage de la jeunesse et du peuple tunisien.

L’attitude du gouvernement français a été condamnée avec une violence extrême. Les paroles de Mme Alliot-Marie ont révélé au grand jour la réalité de la politique extérieure de la France  : la France-Afrique, la France-Maghreb. Les Tunisiens ont compris crûment que la France voulait livrer de la technologie pour aggraver la répression, augmenter le nombre de morts. Au nom du combat contre les islamistes, les gouvernements français qui se sont succédé ont fermé les yeux sur les violations flagrantes des droits de l’homme.

Je pense que la révolution tunisienne est une révolution à caractère social et progressiste. Au départ, il y a des centaines de milliers de jeunes diplômés qui n’ont aucune possibilité d’obtenir un emploi. On a brandi la menace islamiste, et il est piquant de constater que Ben Ali, qui était présenté comme un « rempart » contre les islamistes, s’est réfugié en Arabie saoudite sous un régime fondamentaliste. Pour combattre le fondamentalisme, il n’y a qu’une solution  : la démocratie, le pouvoir de parler, de répondre à ces thèses, alors que la dictature, la répression, la corruption créent des fondamentalistes tous les jours. Quand les Américains ont voulu combattre les Soviétiques en Afghanistan, ils se sont alliés aux islamistes, aux futurs talibans. Quand il s’agit de protéger les pipelines, les Américains n’ont que faire des droits de l’homme et de la femme.

Les gens qui se rassemblent devant la Casbah exigent le départ de tous les ministres du régime de Ben Ali. Ils disent : « RCD dégage ! ». Cette revendication aujourd’hui n’est pas encore satisfaite. Le mouvement continue. Le processus révolutionnaire n’est pas terminé. Il n’y a qu’un seul rempart pour empêcher le retour du système RCD, ou contre Kadhafi qui s’est découvert des ambitions colonialistes et lorgne sur le Sud tunisien, ce seul rempart, c’est le peuple et la démocratie..

Propos recueillis par téléphone depuis Tunis par Jean-Paul Piérot, L’Humanité


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