Comment un élu de la République peut-il violer la laïcité ?

jeudi 24 février 2011.
 

L’inauguration d’une nouvelle église, financée sur fonds publics, dans la commune des Lilas (93), est choquante. Que valent les proclamations de laïcité de certains amis socialistes ? Suffit-il de planter des arbres de la laïcité, de réaffirmer rituellement le principe, quand concrètement, au nom du pragmatisme, on la bafoue ? Car c’est violer la loi que de consacrer des fonds publics à la construction de nouveaux lieux de culte. Certes, quand on veut trouver des prétendus « accommodements raisonnables » pour flatter un certain électorat, on n’a pas trop de difficulté à tordre les textes, à les solliciter dans un sens fallacieux, voire à s’appuyer sur les traces de périodes honteuses de l’histoire, en l’occurrence, les « amendements » introduits par le régime clérical de Vichy dans la Loi de séparation de l’Etat et des Eglises. On prétend alors qu’on peut tout faire dire aux textes. La confusion règne. La trahison des principes également. Or qu’est-ce qu’un principe que l’on reconnaît mais que l’on bafoue ? Sans polémique, il convient aujourd’hui de faire le point pour en finir avec le brouillage ainsi organisé pour enfreindre la laïcité sans le dire, en détournant les mots de leur sens. Qu’on en juge.

Rappelons d’abord les faits. En 1905, l’Etat est propriétaire d’environ 34500 églises et cathédrales. La loi votée le 9 décembre prévoit dans son article deux la suppression de toute subvention au culte. Cela veut dire qu’à compter du premier Janvier 1906, date d’entrée en vigueur de la loi, il appartient aux fidèles de financer eux-mêmes la construction de tout nouveau lieu de culte. Mais dans un état de droit aucune loi n’est rétroactive. Que faire, par conséquent, de ces lieux de culte légués par l’histoire, transférés à la Nation par la Révolution Française le 2 Décembre 1789, et qui pour beaucoup ont valeur de patrimoine artistique, voire sont classés monuments historiques ? Après de multiples débats, la République décide qu’ils resteront propriété de l’Etat, avec un double statut de biens patrimoniaux accessibles au public et de lieux de culte mis à la disposition des fidèles et de leurs associations. Ces fidèles deviennent en quelque sorte usufruitiers à titre gratuit, et l’Etat, comme tout propriétaire, se doit d’entretenir ces édifices. Entretenir ne veut dire ni améliorer ni agrandir, ni restructurer, ni évidemment démolir pour refaire à neuf. Les flèches sculptées de Notre Dame de Paris, endommagées par la tempête récente, furent réparées avec des fonds publics. A juste titre, car il s’agissait là de remise en état, à l’identique, d’un monument historique.

En 1941, Pétain prend le pouvoir, suspend de facto la République, organise la chasse aux juifs, rétablit le financement public des écoles privées religieuses, et modifie dans un sens anti-laïque la Loi de 1905 notamment en amendant son article 19. Les nouveaux textes utilisent une subtile distinction entre financement et subvention, à seule fin de masquer juridiquement ce révisionnisme. Ils introduisent une contradiction dans la loi elle-même en déclarant que l’on ne peut considérer comme subvention l’attribution de fonds publics à des travaux pourtant structurels. Leur but manifeste est d’annuler l’article deux de la loi (La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte) par des argutiesterminologiques destinés à le vider de son sens. Toutefois, ils ne précisent pas que l’on doit financer, mais que l’on peut le faire. Cette différence laisse donc aux élus chargés de les appliquer l’entière responsabilité politique de leurs décisions. Le facultatif n’est pas l’obligatoire, chers élus de la République ! Ces amendements ont donc une origine honteuse. Est-il convenable qu’un élu, en l’occurrence socialiste, s’appuie sur l’héritage de Vichy pour réinterpréter la Loi de séparation dans un sens anti-laïque ? Les fonds publics de sa commune, issus d’impôts locaux payés par des athées aussi bien que par des croyants, sont-ils si abondants ? Est-il sûr que sa commune a suffisamment de crèches, d’établissements sanitaires ou scolaires, de dispositifs d’aide aux personnes âgées, de soutien scolaire, de logements sociaux, bref de services publics ouverts à tous, croyants ou athées, et par conséquent d’intérêt général ?

Par ailleurs, il est vrai que l’article 1 de la loi de 1905 précise : « La République garantit le libre exercice des cultes ». Mais si les mots ont un sens, le verbe garantir ne signifie nullement pourvoir financièrement, mais veiller à ce que le culte ne soit pas entravé dans son déroulement. Dans l’expression « libre exercice des cultes » le mot important est donc « libre ». Cela signifie, par exemple, que toute perturbation d’une messe est un délit et que la puissance publique protège le déroulement normal des cérémonies. Les deux articles énoncés sous un même titre (« Principes ») seraient d’ailleurs incompatibles si l’on donnait au mot « garantit » le sens de « subventionne ». Par ailleurs, il est permis de penser, en logique juridique, que dans le texte d’une loi les principes (du latin princeps :ce qui est premier, donc essentiel et fondateur) ont valeur de référence, et que les articles suivants s’ordonnent à de tels principes. Messieurs les élus, quand vous vous sentez désorientés devant des demandes communautaristes, servez-vous donc de ces principes comme d’une boussole au lieu de vous appuyer sur des amendements si peu légitimes !

Chaque mot a son sens, et il faut arrêter de dire n’importe quoi, en allant jusqu’au faux sens. Jean Jaurès et Aristide Briand connaissaient parfaitement la langue française, et il faut rompre avec les sophismes couramment utilisés par les partisans de la laïcité dite « ouverte », c’est-à-dire bafouée, qui baptisent ouverture la restauration de privilèges publics pour les religions, au mépris du principe républicain d’égalité de traitement de tous les citoyens, qu’ils soient croyants ou athées. La véritable égalité est universelle. Elle ne se réduit donc pas à l’égalité des seules religions, mais à l’égalité de tous : croyants, athées, et agnostiques. Sinon, elle consacre des privilèges pour des particularismes. Autre exemple de lecture biaisée et fausse de la loi de 1905. Celle-ci, on l’a vu, précise que « la République ne reconnaît aucun culte ». Aucun est le strict contraire de tous. Il veut dire « pas un seul », alors que tous veut dire « l’ensemble, sans exception ». La loi ne signifie donc en aucune façon qu’il faudrait désormais reconnaître tous les cultes, comme le prétendent également certains adeptes de la laïcité dite ouverte. Elle met un terme au régime des cultes reconnus instauré dans un esprit gallican d’instrumentalisation politique des religions, par Napoléon Premier, également fondateur d’un catéchisme impérial. Mesure aux antipodes de l’émancipation laïque. Désormais la religion ne doit engager que les croyants et eux seuls. Marianne quant à elle n’a pas à lui donner un statut officiel pas plus d’ailleurs qu’à l’athéisme. Bref on mesure à quelles contrevérités, ou à quelle mauvaise foi, conduisent d’une part la nostalgie des privilèges perdus et d’autre part la complicité opportuniste qui s’en solidarise.


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