Destruction d’une figure d’humanité : la Palestine (par Elias Sanbar)

samedi 26 février 2011.
 

Elias Sanbar « Les absolus ne peuvent que détruire »

Extrait de la conférence d’Elias Sanbar, le 12 février, Maison de la Poésie à Paris.

Je voudrais vous parler d’une destruction d’une figure d’humanité qui fut celle de la Palestine, non pas à travers l’histoire événementielle de la Palestine, mais à travers une démarche qui s’est fondée de façon constante, qui a trouvé sa légitimité de destructrice dans cette approche sur base d’absolu et de vérité immuable.

C’est une longue histoire, ce conflit commence déjà vers la deuxième moitié du XIXesiècle, époque qui coïncide avec les premières publications de thèses de Darwin en Angleterre. Ces thèses vont montrer toute l’idée de l’évolution et suscitent des réactions très violentes, une véritable guerre, qui ont eu pour terrain la Palestine. On va opposer l’idée de l’évolution au texte de la Genèse, et dire que l’homme, la Terre, les éléments ont été créés par une volonté divine, donc que toute la thèse de Darwin est fausse. Cela implique qu’on installe le texte de la Genèse comme un texte d’histoire et non comme un texte mythique ou métaphorique. Donc on va aller en Terre sainte pour infirmer les théories darwiniennes, pour prouver que le texte de la Genèse est un texte d’histoire, qui relate des faits réels. Mais le décor cloche  : ce petit pays n’a pas vraiment le paysage de l’Himalaya où le tout-puissant a transmis sa loi, où seraient nés les grands sages du monothéisme.

Alors on va entrer dans une phase d’invention complètement factice de la Palestine, de la Terre Sainte. On va commencer à photographier et décrire ces lieux autrement que ce qu’ils sont. Par exemple, le Sud palestinien, là où, selon les textes, Moïse a reçu les tables de la loi, si vous regardez les images faites de ces lieux vous avez l’impression d’être dans l’Himalaya, pas en Palestine  ! Le livre ne correspondant pas au lieu, on va inventer un lieu qui entre dans le livre, on va mettre un pays dans un livre plutôt que de voir si le livre peut s’appliquer à un pays. Et dans cette démarche, qui vise à réfuter les thèses de Darwin, va intervenir un deuxième thème  : celui de la rédemption, une idée fondamentale dans l’appel aux croisades. Cette idée de la rédemption va avoir des effets dévastateurs et totalitaires. L’autre élément qui ne colle pas du tout avec les textes est la population.

Les commentaires de l’époque disent que les chrétiens de Palestine sont encore plus détestables que ses musulmans. Il y a un délire permanent sur la Palestine. Ainsi, en vertu d’une vérité absolue qui est la vérité d’un livre par rapport à une réalité, on rentre dans le traitement de la question de la rédemption. Si on regarde les textes il s’agit toujours de la rédemption des humains, mais dans ce contexte on va parler de la rédemption de la Terre  : cette Terre serait souillée par ceux qui s’y trouvent, c’est donc la Terre qui doit trouver sa rédemption et non pas ses habitants. De là émerge un discours déterminant ses habitants comme des intrus dans les lieux, puisqu’ils le souillent, c’est le terme utilisé à l’époque. Ainsi, il est pensé qu’il faut débarrasser la terre de son peuple pour qu’elle trouve sa rédemption et revienne à son message millénaire et divin.

C’est dans ce contexte que l’image idyllique de l’arabe, dans tous les textes, sera le bédouin, parce qu’il ne se fixe pas dans un lieu, il est de passage… Alors que la société arabe est fondamentalement urbaine  ! On va donc commencer à entrer dans ce délire supplémentaire disant que ces gens ne sont pas à leur place, et qu’il faut trouver un moyen pour qu’ils n’y soient plus du tout. On voit cette population comme une population de passage qui n’a pas à être là, qui souille le terrain, dont il faut se débarrasser pour que la terre puisse trouver sa rédemption et on considère cette population comme étant des résidus d’une autre civilisation infiniment plus louable et admirable. Ainsi, à partir de cette approche s’installe l’idée du déplacement. L’idée du déplacement n’est pas née avec le sionisme, le sionisme s’est greffé sur ce travail de terrain britannique et fondamentalement protestant. Puis cette idée s’est conjuguée avec des envies impériales, l’empire britannique, la route des Indes, les combats stratégiques, le pétrole qu’on découvre en Irak et une guerre entre toutes ces puissances, notamment avec les Allemands. C’est dans ce contexte que commence à se fonder le sionisme. »

Ci-dessous, partie introductive d’Elias Sanbar, que nous avons reporté en fin.

« L’humanité n’existe point encore ou elle existe à peine »  : je dois avouer, non pas que cette phrase ne m’a pas plu, ni que Jaurès ne soit pas proche à mon cœur, mais je l’ai trouvée un peu vague et une partie des commentaires qui avaient été apportés par Jacques Derrida me semblaient trop faire appel à des notions d’absolu. Comme si l’humanité était quelque part et qu’il suffisait de la chercher pour la trouver et ensuite la garder intacte. Or je veux vous parler précisément des problèmes de ces approches basées sur des notions d’absolu et sur comment ces absolus ne peuvent que détruire ce qu’il y a d’humanité. Je pense également, pour reprendre la petite citation de Derrida, « on n’est pas encore en mesure de déterminer la figure même de l’humanité que pourtant on annonce et se promet ainsi », que l’usage du singulier me dérange  : je ne crois pas qu’il y ait une figure de l’humanité, mais qu’il y ait des figures de l’humanité qui sont toutes relatives et en fluctuation, en mouvement constant, jamais figées, toujours en construction et en situation de risque.

Propos recueillis par Anna Musso, L’Humanité


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