« Les peuples arabes nous montrent qu’il y a une autre voie » (Besancenot)

lundi 28 février 2011.
 

Olivier Besancenot est un révolutionnaire. Il milite pour la révolution depuis tout petit, il connaît tout de la Commune, de 1848, du Che, des sandinistes et quand il parle de la révolution, ses yeux brillent. Il ne l’a jamais connue lui-même mais là, ça y est, il en voit une, puis deux...

Besancenot nous parle de ces révolutions du XXIe siècle avec l’excitation du séminariste à qui la Vierge apparaîtrait ! Tant pis si ces révolutions ne sont pas particulièrement socialistes, tant pis si elles ne sont même pas explicitement anticapitalistes, tant pis si les activistes sont des internautes et des geeks plus que des théoriciens et des intellectuels... Ce sont quand même des révolutionnaires.

Olivier Besancenot est un révolutionnaire. Il milite pour la révolution depuis tout petit, il connaît tout de la Commune, de 1848, du Che, des sandinistes et quand il parle de la révolution, ses yeux brillent. Il ne l’a jamais connue lui-même mais là, ça y est, il en voit une, puis deux...

Besancenot nous parle de ces révolutions du XXIe siècle avec l’excitation du séminariste à qui la Vierge apparaîtrait ! Tant pis si ces révolutions ne sont pas particulièrement socialistes, tant pis si elles ne sont même pas explicitement anticapitalistes, tant pis si les activistes sont des internautes et des geeks plus que des théoriciens et des intellectuels... Ce sont quand même des révolutionnaires.

Alors ? On y est, à la révolution ?

Olivier Besancenot - C’est la première fois que j’assiste à l’une d’elles. Jusqu’alors, je militais pour des idées révolutionnaires dans un monde sans révolution, à partir de références d’autres générations. J’ai connu la toute fin de la révolution nicaraguayenne. Quant aux révolutions de l’Est, elles ne remettaient pas en cause les intérêts occidentaux, comme les intérêts français avec la Tunisie et les intérêts américains avec l’Egypte.

Ces révolutions ne sont ni socialistes ni anticapitalistes...

Elles posent la question sociale et celle de la démocratie. Dans l’histoire, il est rare qu’une révolution populaire se déclenche à partir d’un livre rouge, d’un programme ou d’une idéologie. Même en octobre 1917, la révolution ne s’est pas faite au nom du socialisme mais dans le prolongement de la révolution de février, pour la paix, la terre et le pouvoir aux Soviets.

Une révolution est le dénouement d’une situation intenable : une partie de la population d’en bas se révolte et l’oligarchie n’est plus en mesure de gouverner. En Tunisie, après que Mohamed Bouazizi s’est immolé par le feu, les manifestants réclamaient du travail et du pain. Ce n’est qu’après la répression que la rue a demandé le départ de Ben Ali.

En Algérie, les revendications sont les mêmes, mais pas le dénouement.

Les révolutions, comme dit Ken Loach, sont contagieuses. Les Tunisiens pensaient : si nous sommes capables d’y arriver, cela va inspirer d’autres peuples qui subissent le joug.

« Contagieux », ça fait maladie !

Si ça peut faire flipper nos adversaires... Un mouvement s’est amorcé, il s’est passé quelque chose d’impensable. La révolution égyptienne le prouve encore.

En Tunisie, sans l’alliance de la classe moyenne urbaine avec les jeunes pauvres de province, pas de révolution...

On trouve dans tous les processus révolutionnaires des alliances entre différents secteurs de la société. Les révolutions estampillées 100 % « prolétariennes » par quelques professeurs rouges sont une illusion. Le problème est de savoir où se situe la force motrice. En Egypte et en Tunisie, c’est le peuple.

Entre islamisme et démocratie, l’issue de ces révolutions est encore inconnue. Il n’y a que le processus qui vous intéresse ?

Non. Les peuples arabes nous montrent qu’il y a une autre voie que dictature ou islamisme. En tant qu’internationalistes, notre devoir est de lutter contre la complicité de notre gouvernement. On a monté des actions de solidarité en France avec les grévistes de la faim, les militants pourchassés, emprisonnés. L’ambassade tunisienne envoyait sa bande de cogneurs. Un des plus beaux meeting de ma vie, c’était à la Bourse du travail avant la chute de Ben Ali. On a senti le souffle de la révolution.

On était inquiets mais les Tunisiens présents nous disaient : il y a eu trop de morts, on ne fera plus machine arrière. Aujourd’hui, personne ne peut parler au nom du peuple tunisien mais nous avons la responsabilité de peser sur les intérêts économiques français, qui ont bien magouillé avec le régime Ben Ali, comme Orange par exemple.

Les Tunisiens ont peut-être aussi fait la révolution pour rejoindre la société capitaliste ?

Mais la Tunisie, c’était déjà le capitalisme et même un des meilleurs élèves du FMI. Les Tunisiens ne l’ont pas oublié. Les politiciens professionnels ont peur de l’inconnu.

Pour eux, c’est le vide. Mais le « vide » en Tunisie, cela veut dire des assemblées générales improvisées, la serveuse qui te tend un tract dans un café...

Ces peuples étaient privés de liberté d’expression, puis le mur de la peur est tombé...

C’est un point commun à toutes les périodes d’ébullition. Je n’ai pas vécu Mai 68 mais il paraît que tout le monde parlait politique. Lors des grandes grèves de 1995, sous Juppé, les gens parlaient entre eux, ne serait-ce que grâce au covoiturage.

Une révolution, c’est un moment d’euphorie avec une forte charge d’adrénaline ou c’est changer le monde pour le rendre meilleur ?

C’est un processus fait de flux et de reflux. Ça ne se réduit pas à la seule journée où Ben Ali et Moubarak dégagent. En Tunisie, deux pouvoirs potentiels se font face. Les gouvernements de transition, portés par tous les débris du régime Ben Ali, se battent pour leur légitimité. Il existe un autre pouvoir : celui de la rue.

Les forces révolutionnaires les plus politisées proposent une assemblée constituante. Pour changer de système, il ne suffit pas de substituer un gouvernement à un autre car la police et les hautes sphères de l’administration restent dans les mêmes mains. On assiste à une course de vitesse entre des forces révolutionnaires et des forces contrerévolutionnaires. La Tunisie nous rappelle ce que nous savions : ce ne sont pas les révolutionnaires qui sont responsables des morts.

Ce vent de révolution peut-il atteindre la France ?

Il nous faudrait ici aussi une bonne vieille révolution. Je suis enthousiaste parce que j’ai vécu quelque chose d’exceptionnel mais je garde la tête sur les épaules. On prend plus de coups qu’on en rend et nous n’en sommes pas encore à une déferlante de révolutions qui pourrait d’ici peu emporter l’ordre capitaliste.

Twitter et Facebook ont-ils changé les données de la révolution classique ?

C’est bluffant et très important en termes de moyens de communication. Sur les murs, on peut lire « Vive la révolution » et « Vive Facebook »...

Mark Zuckerberg est révolutionnaire, alors ? (rires)

Il serait surpris si on lui disait ça. En général, toutes les révolutions font preuve d’originalité. Pour répandre la révolution cubaine, Che Guevara avait créé clandestinement et à l’arrache la Radio Rebelde dans la sierra Maestra.

Les revendications sociales, le besoin de liberté d’expression, de démocratie ne pourraient-ils pas servir de levier pour une révolution en France ?

Oui, toutes proportions gardées. Nous arrivons dans une nouvelle phase de la mondialisation. Il y a eu la crise financière et écologique et certains économistes ont évoqué le retour du keynésianisme. Or, les libéraux se sont parfaitement accommodés de l’intervention de l’Etat lorsque celui-ci a trouvé des milliards pour les banques. En fait, on assiste à une nouvelle offensive libérale de l’ampleur de celle qu’on a connue sous Thatcher et Reagan.

Nous n’allons pas sortir de la crise puisque ce sont ces politiques économiques qui l’ont suscitée et qui l’alimentent encore. De plus, ces politiques n’emportent plus l’adhésion. On l’a vu avec les grosses manifestations en Grèce, en Irlande, en Espagne, en France, avec la révolte des étudiants en Angleterre. Cet acteur de la démocratie, dont on ne parlait plus et qui s’appelle le peuple, se réinvite depuis un an sur la scène politique. Un nouveau cycle pourrait s’ouvrir, fait de révoltes sociales, de grèves générales et de révolutions.

Cette déringardisation de la révolution change-t-elle vos rapports de force avec les autres partis de gauche ?

On n’a jamais eu autant de contacts avec des partis à l’international.

La gauche radicale aussi forte n’est plus une spécificité française ?

On n’est pas le petit village gaulois qui résiste. Face à la mondialisation, il ne faut pas se retrancher derrière les frontières comme le souhaitent certaines formes de souverainisme, voire de nationalisme...

C’est une différence entre vous et Mélenchon qui a une position plus protectionniste.

Pour nous, l’heure est à l’anticapitalisme par-delà les frontières ! Nous étions les seuls à défendre des solutions comme la répartition des richesses, la réappropriation publique, le salaire maximum, l’interdiction des licenciements. Les autres partis les reprennent. Nous avons marqué des points sur le terrain des idées.

Qu’est-ce qui vous différencie des autres partis de gauche, s’ils reprennent vos idées ?

Ségolène Royal reprend l’idée d’interdiction des licenciements... Au NPA, on n’a pas l’instinct de propriété. Mais la question, c’est : comment fait-on pour appliquer ces idées ? Pour cela, il faut remettre en cause la propriété capitaliste et rompre avec les institutions dominées par le pouvoir économique.

Comment appréhendez-vous les prochaines échéances électorales ?

A partir des mouvements sociaux. Nous voulons fédérer les forces anticapitalistes qui militent en leur sein sur la base d’un programme. Il reste des traces des millions de manifestants contre la réforme des retraites. Même si Sarkozy a gagné, il n’arrive pas à se remettre de ce mouvement. Beaucoup ne veulent ni de la droite ni de la gauche molle.

La défense des retraites, c’est le contraire de l’image d’une révolution ?

Ce sont des acquis sociaux ! On a une fausse idée du déclenchement des révolutions. De quoi part la Commune de Paris en 1871 ? Le peuple ne voulait pas que les Prussiens s’emparent de Paris. Or, les révolutionnaires ne faisaient pas confiance à leur gouvernement pour les repousser. Une situation révolutionnaire se cristallise sur un événement qui ne l’est pas forcément, comme la convocation des banquets républicains de 1848 ou l’évacuation de la Sorbonne en 1968. Marx disait que chaque révolution connaît son « événement de banquet. »

Mélenchon veut une révolution par les urnes, vous c’est l’inverse ?

En Egypte ou en Tunisie, il ne s’agit pas de la révolution par les urnes. Le suffrage universel est compatible avec la révolution mais celle-ci ne saurait être une promesse électorale. Le NPA prône un modèle de société qui combine suffrage universel et démocratie directe où le peuple s’implique sans déléguer sa représentation politique à d’autres. Le NPA n’a pas construit sa pensée en fonction de Mélenchon. Qu’il dise, lui, où il en est.

Il tient un discours parfois très radical, parfois pas du tout. Il vient du système politique, il a été ministre et sénateur. Sa logique veut que l’on change les choses de l’intérieur. Au NPA, on pense que pour imposer des réformes audacieuses, il ne faut pas seulement changerlesystème mais changerdesystème.

Une alliance est-elle possible ?

A lui de dire s’il envisage de ne pas être candidat. Imagine-t-il faire campagne pour quelqu’un qui ne soit pas tête de file d’un parti politique, qui défendrait un programme anticapitaliste, sans servir demain de caution de gauche à un nouveau gouvernement socialiste ?

Mélenchon vous tend la main pour entrer au Front de gauche.

Oui, pour qu’on fasse sa campagne. Je respecte les militants PC, PG, LO, mais je ne leur dirais pas : « Je vais être votre candidat, venez derrière moi. » De plus avant le casting, il y a le scénario : l’anticapitalisme, c’est d’abord un programme, pas seulement un mot à la bouche. Peut-on mettre en œuvre un programme anticapitaliste dans un gouvernement nommé par Strauss-Kahn ? Nous pensons que non.

En ce moment, Mélenchon tape sur DSK.

Il ne dit pas qu’il ne gouvernera pas avec lui. Le PC ne veut pas d’un candidat qui tape sur le PS. Le problème n’est pas seulement DSK, il n’y a pas un flic gentil et un flic méchant. Jamais un candidat socialiste n’a fait un pas plus à gauche une fois élu.

Le mouvement altermondialiste n’est plus ce qu’il était, les militants de la société civile venus au NPA à sa création sont partis...

Nous sommes à la croisée des chemins. Certains, comme Attac, le Dal, ont vécu dans une illusion que« le mouvement se suffise à lui-même »...Mais, dans ce cas, tu laisses les partis en place. Aujourd’hui, la gauche radicale atteint ses propres limites. Nous devons tenter une synthèse entre nous et les mouvements sociaux.

De la gauche radicale mélenchoniste au FN, la mode est à la défense de la République et de la laïcité. Aux élections régionales de 2010, Ilham Moussaïd, la candidate voilée du NPA à Avignon, a suscité la polémique.

Les féministes tunisiennes disent que la laïcité n’est pas négociable, qu’elle représente le premier rempart contre le radicalisme religieux. Mais elles précisent qu’il ne s’agit pas d’une laïcité à la française du moment, nouvel étendard d’une vision islamophobe.

Que pensez-vous du succès d’Indignez-vous, le livre de Stéphane Hessel ?

J’y vois l’un de ces petits indices qui définissent l’air du temps. Il n’y a plus besoin de convaincre que le capitalisme, c’est de la merde, et que le monde est injuste. Mais, si l’on garde sa révolte pour soi, cela produit de la haine, des dérives xénophobes. Une révolte, cela doit se partager dans un projet collectif.

Julian Assange est-il un révolutionnaire ?

Non, mais c’est un bon fouteur de merde, dans le bon sens du terme.

Propos recueillis par Anne Laffeter, Thomas Legrand et Bernard Zekri

BESANCENOT Olivier, LAFFETER Anne, LEGRAND Thomas, ZEKRI Bernard


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