Plongée dans le quotidien des impayés et de la misère au Tribunal d’Asnières

lundi 28 février 2011.
 

Difficultés à payer un loyer, crédits à la consommation non remboursés... tel est le quotidien de ce tribunal d’instance situé en banlieue parisienne. Où, parfois, les juges se font avocats face à une avalanche de détresse.

« Barclays Bank contre Mme Outaraout »*, « Cofidis contre M. Beckthaoui », « Immobilière 3 F contre Mme Diallo », « Finaref contre M. Dos Santos. » Á peine assise, la juge d’instance d’Asnières égrène à voix haute les 51 dossiers qu’elle devra examiner dans l’après-midi. Des mains se lèvent discrètement au fond d’une salle d’audience qui fait aussi office de salle d’attente. Grands absents : les banques et les propriétaires. Á l’origine de la plupart des poursuites, ils sont représentés par des avocats assis aux premiers rangs.

« Bienvenue au purgatoire de l’impayé » pourrait afficher le fronton de ce tribunal ayant une compétence exclusive à trancher les litiges de location de logements ou de crédits à la consommation. « Vous avez reçu une injonction, de payer 4 097, 23 euros, de la BNP Paribas au titre d’un crédit Cetelem de 1 600 euros, c’est bien cela ? » demande la juge. « Oui, mais ma situation est toujours particulièrement difficile et je ne peux pas rembourser », répond Caroline à voix basse, presque inaudible. Cette vendeuse sur les marchés s’est déjà accoudée au comptoir de ce tribunal qui ressemble plus à un guichet de poste qu’aux prétoires des feuilletons judiciaires. De la main à la main, elle transmet à la juge lettres recommandées et justificatifs de revenus parfaitement ordonnés dans une chemise cartonnée. L’avocat de la banque, à ses côtés, fait profil bas et renonce à ses effets de manches.

Caroline se voit octroyer un délai de vingt-quatre mois, avec des versements mensuels de 5 euros. Le restant dû sera remboursable lors de la dernière échéance. « Un peu de répit avant de nouvelles menaces de saisies. » glisse-t-elle en expirant. Puis, elle sourit à nouveau : « Qui sait, d’ici là, je peux gagner au Loto ! L’an dernier, j’ai été victime d’un accident domestique. Avec l’argent de l’assurance civile, j’ai réussi à rembourser un autre crédit. »

Tout le monde n’a pas l’expérience de Caroline devant ce tribunal où se faire représenter par un avocat n’est pas obligatoire. Pauline, la vingtaine, vient accompagnée mais sans dossier. « L’assistante sociale ne l’a pas transmis », explique cette étudiante précaire qui a occupé sans payer l’ancien HLM de ses parents. La présidente du tribunal accepte de recevoir ses pièces après la tenue de l’audience. Une faveur.

La juge en fera d’autres. Un locataire déficitaire sera autorisé, quelques minutes plus tard, à s’éclipser pour photocopier une quittance de loyer, écrite à la main sur un tout petit papier froissé et chiffonné. « Vous n’avez pas compris, Madame », ne cesse-t-il de répéter en dénonçant pêle-mêle les erreurs de la CAF, la vétusté de l’appartement ou la malignité de son logeur. Malgré l’extrême patience de la juge et des palabres interminables, il aura toutes les peines du monde à prouver sa bonne foi.

M. Dos Santos, lui, semble tout comprendre, tout subir et tout accepter. Quand ce quadragénaire a découvert les 5 956,92 euros que devaient ses parents septuagénaires à des établissements bancaires, il a tout pris à sa charge. Sans discuter. « Il reste un solde de 1 900 euros », constate la juge, calculette à la main, avant de proposer un remboursement sur six mois. Tout aussi bienveillante, la défenseure de la partie adverse lui conseille d’adresser les chèques à son cabinet, plutôt qu’aux huissiers.

Le temps et les délais sont les seules armes qu’octroie le Code de la consommation pour lutter contre les intérêts usuriers. Les juges d’instance soulèvent parfois des anomalies de procédure et vérifient systématiquement les délais de forclusion. « Mais nous ne sommes pas avocats et nous ne pouvons contrôler la légalité de toutes les clauses des contrats », regrette la juge, une fois la nuit tombée. Pour chaque arnaque commerciale, combien d’abus commerciaux non relevés, de subtilités juridiques non soulevées, combien de harcèlements de créanciers non dénoncés ?

Les petites combines pour mieux s’en sortir sont, elles, vite repérées. Comme ce bénéficiaire de logement social qui en a fait profiter son frère. Ou à l’image de cet un « homme d’affaires » - un peu obscures - qui sous-louait l’appartement qui devait lui servir de bureau.

Sans oublier ceux qui se battent jusqu’au procès pour des litiges toujours inférieurs à 10 000 euros. C’est le cas de Mme Bignolles. « J’ai acheté un appartement à Clichy, mais l’ancien propriétaire m’a trompé. Sachant qu’il allait vendre, il a refusé de faire les relevés des compteurs d’eau. Et c’est moi qui ai payé le solde. » L’avocat de la partie adverse oppose qu’après passage devant notaire, l’ancien propriétaire ne doit plus rien. Mme Bigolles ne cache pas son énervement. « C’est mon premier achat immobilier, et cela fait quatre ans que je cours derrière 1 000 euros. Cet argent, j’en ai besoin ! » La juge, après l’avoir exclue de l’audience, aura du mal à faire entendre que « droit n’est pas toujours synonyme de justice ».

La dernière plaignante n’a pas fini de vitupérer que la magistrate s’adresse déjà à un autre homme. « Vous avez 800 euros de retraite, 120 euros d’allocation pour vos deux enfants à charge, et votre femme ne peut plus travailler pour payer les 708,71 euros de loyer de ce F4 ? » « Oui et on ne peut plus les aider, répond l’une de ses filles devenue indépendante. Nous aussi nous avons des loyers. »

« Je suis embêtée », lâchera à voix haute la juge devant cette situation insoluble. Elle ne prononce pas l’expulsion, et laisse encore au couple quatre mois pour payer les dettes en intégralité. Mais après.

(*) Tous les prénoms ont été modifiés

Pierre Duquesne


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