Extrême droite : les leçons d’un vote (par Jérôme Fourquet, IFOP)

lundi 11 avril 2011.
 

Jérôme Fourquet, responsable à l’Ifop, étudie, pour l’Humanité, la nature du résultat aux cantonales de la formation lepéniste. Si les gains de voix favorisés par les duels au second tour proviennent en partie de la gauche, la droite lui a fourni le gros du « contingent », confirmant sa nature de parti « attrapetout », capable d’agréger des électeurs d’horizons très différents.

En dépit des commentaires sur « l’échec du FN », analyse fondée sur le très faible nombre de cantons gagnés, on constate une progression importante de plus de 10 points, quelle que soit la configuration de second tour (voir tableau ci-dessous).

Le FN progresse autant face au PC que face au PS ou à l’UMP. Cela démontre qu’il dispose de réserves importantes et diversifiées. Dans les cantons où se déroulait un duel droite-FN, la progression de près de 11 points du score du FN ne peut s’expliquer sans reports significatifs d’une partie de l’électorat de gauche. On peut, certes, objecter que les renforts en voix dont a bénéficié le FN dans ces cantons pourraient provenir d’abstentionnistes du premier tour ou d’électeurs de candidats de droite éliminés, mais cela ne saurait suffire à produire une poussée de 11 points pour le FN au second tour. De notre point de vue, des reports conséquents en provenance de la gauche ont bien eu lieu. Pour s’en convaincre, on peut s’intéresser au cas de cantons où le nombre de suffrages exprimés a très peu varié entre les deux tours et où il n’y avait, au premier tour, que des candidats de gauche et un candidat du FN et un candidat de droite. Dans ces cantons où la gauche a été éliminée laissant la place à un duel droite-FN, l’observation des transferts est donc plus aisée et plus nette. Or, comme on peut le voir dans le tableau suivant, il apparaît de manière assez manifeste qu’une fraction de l’électorat de gauche a voté FN au second tour. Lors des suels de second tour, droite contre FN, celui-ci progresse de 10,6%. Dans les duels Gauche FN de second tour, il progresse de 10,2%.

De la même façon, la forte progression du FN face à la gauche indique qu’une part significative de l’électorat de droite du premier tour dans ces cantons n’a pas opté pour le « ni, ni » et a voté Front national au second tour. On constate d’ailleurs une corrélation assez marquée entre la progression du FN entre les deux tours et le score atteint par les candidats de droite élimés au premier tour. En d’autres termes, dans ses duels face à la gauche, le FN a d’autant plus progressé qu’il disposait de « réserves » importantes dans l’électorat du ou des candidats de droite éliminé(s) au premier tour (voir tableau ci-dessous).

En revanche, on n’observe pas de lien évident entre l’ampleur de la progression du FN entre les deux tours et l’évolution du nombre de suffrages exprimés (indicateur qu’il nous semble plus pertinent à prendre en considération que la stricte participation car, dans ce type de configuration, le nombre de bulletins blancs et nuls est assez élevé et peut venir contrebalancer une hausse de la participation). Comme le montre le tableau suivant, le nombre d’exprimés recule très faiblement dans les cantons où la poussée du FN a été la plus forte mais évolue également assez peu dans les cantons où le vote frontiste a le moins progressé (voir tableau ci-dessous).

Ces chiffres infirment donc l’idée selon laquelle la hausse du FN serait largement due à une augmentation de l’abstention, couplée à une plus forte mobilisation de son électorat. L’évolution du nombre de suffrages exprimés varie en effet très peu au regard de celle du score du FN entre les deux tours.

De la même façon, il y a assez peu de différence entre l’évolution du nombre de suffrages exprimés entre les deux tours dans les cantons où se déroulaient des duels gauche-FN (+ 1,9 point) et dans ceux concernés par un duel droite-FN (- 1,4 point). Pascal Perrineau a montré que l’écart en termes de participation était plus prononcé (+ 4,4 points dans les duels gauche-FN, contre +1,5 point seulement face à la droite), mais la progression des bulletins blancs et nuls vient lisser ce phénomène.

Au total, sur les 394 cantons où il était présent en duel au second tour, le parti de Marine Le Pen passe de 25,2 % au premier tour à 35,6 % au second et, en nombre de voix, de 623 682 à 899 944, soit plus de 276 000 suffrages gagnés en une semaine. La progression du FN entre les deux tours concerne les bastions historiques : + 17,2 points à L’Isle-sur-la-Sorgue dans le Vaucluse, + 17,1 à Guebwiller dans le Haut-Rhin, + 16,9 % au Luc dans le Var ou bien encore + 16 à Canet dans les Pyrénées-Orientales, par exemple, mais également des terres de conquête : + 15,8 points à Marennes, en Charente-Maritime, + 15,3 à Lignières dans le Cher ou + 14,4 à Pleine-Fougères en Ille-et-Vilaine.

Ces chiffres viennent souligner l’ampleur de la « poussée frontiste », ce parti franchissant la barre des 40 % dans pas moins de 83 cantons et dépassant celle des 45 % dans les 22 cantons suivants (voir tableau ci-dessous).

Aux cantonales de 2004, le FN avait également progressé de 10 points entre les deux tours dans les configurations de duels, mais cela portait sur un nombre beaucoup plus limité de cantons (16 duels avec la droite et 46 avec la gauche) et, surtout, son niveau de premier tour était nettement moins élevé qu’aujourd’hui (20 % à l’époque, contre 25 % maintenant). Le maintien de cette forte capacité de progression entre les deux tours, alors que le score du premier tour a augmenté significativement, démontre bien la poussée frontiste et sa nature de parti « attrape tout », capable d’agréger des électeurs d’horizons très différents


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