Morale et République : les politiques ont-ils perdu le sens moral ? (Par Christophe Prochasson)

dimanche 4 novembre 2018.
 

Dans sa Cité du Soleil (1637), Thomas Campanella confiait la destinée commune à des magistrats, distingués depuis leur enfance par l’exercice de qualités morales remarquables et désignés en fonction de celles-ci à des rôles titres : Magnanimité, Courage, Chasteté, Libéralité, Adresse, Vérité, Bienfaisance, etc.

Notre République « irréprochable » est bien loin du compte. Depuis 2007, le feuilleton plus ou moins fourni, selon les mois, des « erreurs » et « maladresses » attestant la regrettable confusion entre intérêts privés et intérêt général n’a cessé d’aggraver la défiance, déjà grande, que nourrissent les électeurs pour la classe politique.

On sait les dangers que fait courir une telle situation à la démocratie. Elle fonde le succès de tous les populismes. Dans le passé, abus et scandales ont souvent entraîné les plus inquiétantes poussées antidémocratiques.

Même au temps de la prétendue vertueuse IIIe République. Petits abus du quotidien ou grandes escroqueries, à l’exemple du mémorable scandale de Panama, encouragèrent quelques belles âmes à faire de la morale une arme politique et à en appeler à une grande lessive dont ils espéraient tirer les fruits.

Telle fut à peu près, à la fin des années 1880, l’aventure du Général Boulanger dont bonapartistes et monarchistes firent leur héros contre une République corrompue.

L’entre-deux-guerres connut les mêmes affres, des petits services entre amis devenus le quotidien d’une République installée au long cours, aux grands effrois de l’affaire Stavisky qui donna aux ligues fascistes du grain à moudre.

La IVe République n’échappa pas aux mêmes dérives, ni la Ve, qu’elles fussent l’une et l’autre aux mains de la droite ou de la gauche.

Du constat de cette régularité des hommes d’État à prendre leurs aises avec la morale et le droit, faut-il se résoudre à admettre que décidément la nature humaine est bien vile et que le pouvoir est intrinsèquement corrupteur ?

Une telle paresse d’esprit est, on le sait, dans le discours plus ou moins sous-jacent de ceux qui considèrent ces approximations morales comme le prix à payer de notre liberté.

Derrière la quête de l’honnêteté, ils pointent un rigorisme moral qu’ils ont hâte de confondre avec le moralisme voire l’intégrisme si ce n’est même le totalitarisme rampant d’esprits frustrés.

Il n’est que de lire ce que l’on écrit ou d’entendre ce que l’on dit de René Dosière, député apparenté socialiste du département de l’Aisne, connu pour sa scrupuleuse vigilance en matière de finances publiques.

C’est tout juste si l’on ne reproche à cet homme modeste et rigoureux une avarice rentrée voire un tempérament de Robespierre de la comptabilité nationale.

La réception du rapport Sauvé, commandé par le Président de la République, qui propose des règles raisonnables en matière de conflits d’intérêts, a valu à son auteur au mieux la risée, au pire la colère d’hommes politiques comme Jean-François Copé qui préfère réclamer pour les parlementaires l’indulgence pénale lorsqu’ils sont pris la main dans le sac.

Une telle attitude revient à oublier que les hommes politiques, à plus forte raison ceux à qui sont confiés les rênes de l’État, sont comme représentants du peuple, des exemples pour celui-ci.

Les décalages entre le dire et le faire sont en conséquence insupportables, davantage encore en temps de crise. Le peuple est en droit d’attendre de ses délégués une dignité hors du commun excluant toute espèce d’arrangement avec les règles morales.

Incarner la nation, représenter le peuple, n’est pas seulement un métier. C’est aussi une charge morale. L’oublier revient à affaiblir la démocratie.


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