Haïti : Un nouveau président pour relever le pays

lundi 11 avril 2011.
 

Lundi 4 avril, le feuilleton présidentiel haïtien amorcé il y a quatre mois a enfin trouvé une conclusion. Michel Joseph Martelly, chanteur populaire et novice en politique, a été élu Président de la République avec 67.57% des voix, battant la juriste et ex-première dame Mirlande Manigat (31.74%).

Un premier tour à rebondissements

Le premier tour de ce scrutin présidentiel a été marqué par une manoeuvre électorale qui a amené le candidat du pouvoir, Jude Célestin, en tête des votes, refusant au très populaire Michel Martelly l’accès au second tour. A l’annonce de ce résultat début décembre, des violences ont paralysé Port-au-Prince. Les habitants des bidonvilles et des camps de sinistrés du séisme du 12 janvier 2010 ont protesté contre ce résultat visiblement truqué par des barricades et jets de pierre. L’écoeurement des électeurs, attisé par les incitations de l’équipe de campagne du candidat malheureux "Sweet Micky" a laissé la place aux protestations politiques de la part des observateurs internationaux du scrutin. La mission d’observation conjointe OEA / CARICOM a, en effet, recommandé au Conseil Electoral Provisoire (CEP) haïtien de substituer Michel Martelly à Jude Célestin dans la course à la présidence face à Mme Manigat. Les pressions politiques internationales ont entraîné le CEP à revoir sa copie et à organiser un second tour Manigat / Martelly le 20 mars dernier.

La bonne tenue du second tour

Depuis la réintroduction de Michel Martelly dans le processus électoral, le calme a régné à Port-au-Prince et dans les autres villes d’Haïti. Le second tour s’est déroulé de façon moins désorganisée que le premier, notamment du fait du nombre plus réduit de candidats et de la mise en place de centres d’appel pour permettre aux électeurs de trouver leur bureau de vote. Cependant, on dénombre à peine un million de suffrages exprimés sur les 5 millions de votants potentiels du pays. Cette situation est due principalement aux problèmes rencontrés par les victimes du séisme (perte de papiers d’identité, migrations internes...) et à la faiblesse des administrations en charge de l’organisation du scrutin en termes de formation et d’équipement. Malgré cela, le résultat du second tour a pu être annoncé rapidement, et le 4 avril dernier c’est Michel Martelly qui a été annoncé gagnant avec une très large majorité des suffrages. La liesse de la foule haïtienne et la reconnaissance de ce résultat par la quasi-totalité des secteurs de la société sont un grand soulagement pour Haïti qui a pu arracher, dans la douleur certes, un processus électoral relativement régulier. Mme Manigat, malgré des déclarations sur les "magouilles" du CEP, a annoncé qu’elle ne contesterait pas ce résultat.

Le défi parlementaire

Malgré cette élection triomphale et incontestée, Michel Martelly se trouve face à un défi de taille : son parti, créé pour l’occasion, n’a emporté que 3 sièges aux élections législatives et sénatoriales qui se tenaient à la même occasion. Sans expérience politique ni majorité gouvernementale, comment Michel Martelly pourra-t-il répondre aux espoirs fous qu’il a suscité chez ses compatriotes ? La culture de parti n’est pas très ancrée dans la vie politique haïtienne ; on peut ainsi s’attendre à ce que des lignes bougent pour former une nouvelle majorité parlementaire. Le choix du Premier Ministre de Martelly, qui devra être confirmé par le Parlement, permettra sans doute d’y voir plus clair sur sa marge de manoeuvre dans les prochains jours, mais il on peut craindre que le nouveau président enchaîne les conflits avec les députés et sénateurs comme l’avait fait Aristide avant lui.

Que peut-on attendre de "Micky" ?

Michel Martelly - localement surnommé "Micky" - a orienté toute sa campagne sur la notion de changement, sans que la nature exacte de ce grand bouleversement annoncé soit détaillée. Bien que nouveau sur la scène politique, le président s’est entouré d’hommes et de femmes d’expérience, dont certains étaient proches des dictateurs Duvalier père et fils. Sa popularité auprès des catégories les plus pauvres de la population entre en contradiction avec le vide de son programme social et son mode de vie. Il est donc difficile d’anticiper sur l’attitude de Micky face au peuple qui l’a porté au pouvoir. Pas plus que sur sa position face à la communauté internationale. La coopération bilatérale et les fonds d’aide au développement représentent 65% du budget d’Haïti, et la reconstruction est pilotée par une Commission Intérimaire (CIRH) encadrée par les pays bailleurs. Quelle va être la position de Micky la forte tête face à cette tutelle internationale qui l’a paradoxalement soutenu dans ce processus électoral ?

Cette élection soulève de nombreuses interrogations du fait de la situation politique et matérielle extrêmement complexe du pays, ravagé par de nombreuses années de dictature et par de multiples catastrophes naturelles dont le séisme meurtrier du 12 janvier 2010.

Les attentes vis-à-vis de ce futur président, vont être immenses. Mais le chanteur populaire devra rendre des comptes à ce peuple à la rage au coeur qui n’en peut plus d’être déçu.

Des enjeux cruciaux qui appellent une politique de gauche courageuse

Michel Martelly voudra-t-il et pourra-t-il mener une politique de gauche ?

Dans un pays dévasté par l’Histoire, l’incurie de ses dirigeants et la nature, les choix politiques ont un autant de sens qu’ailleurs. Quelle place concéder aux grandes familles qui détiennent les grandes infrastructures et les principaux centres de production ? Quelle politique fiscale pour asseoir et renforcer le rôle d’un Etat plus redistributif ? Quelle place accorder aux investissements étrangers, alors que s’implantent des entreprises étasuniennes qui y pratiquent des salaires faisant passer les maquiladoras d’Amérique Centrale pour un endroit privilégié ? Quel impact de l’accord de partenariat économique signé en 2007 avec l’Union Européenne, qui libéralise notamment les marchés agricoles d’une nation qui a tant besoin d’emploi rural et de sécurité alimentaire ? Quel modèle de reconstruction pour une île dont la partie haïtienne a été dévastée écologiquement par la main du progrès ?

En partenariat avec la communauté internationale, qui a pour l’instant annoncé son soutien unanime lors du débat du 6 avril au Conseil de sécurité des Nations unies, Michel Martelly doit d’abord réaliser qu’il dispose d’un choix réel, au-delà des discours stéréotypés des spécialistes du "développement".

Le Parti de Gauche ne peut que l’encourager dans ce sens.


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