Zambie : Manipulations des multinationales pour ne déclarer aucun bénéfice

vendredi 29 avril 2011.
 

Mine de rien, c’est un rapport qui pourrait ficher un méchant coup de pioche dans les rouages bien huilés des manipulateurs de fonds. Un audit commandé par le gouvernement zambien est parvenu à mettre en évidence les évasions fiscales de deux multinationales de la production minière présentes dans le pays. Le texte n’a pas été rendu public, mais cinq associations internationales pour le droit au développement (1) ont pu se le procurer et ont déposé plainte contre les sociétés concernées. Sont visés le géant suisse Glencore International, qui compte parmi les principaux fournisseurs de matières premières dans le monde, et First Quantum Mineral, compagnie canadienne spécialisée dans la production de cuivre, d’or et d’acide sulfurique. Les associations requièrent qu’elles soient poursuivies pour « manquement aux principes directeurs de l’OCDE », lesquels engagent les entreprises à contribuer « aux finances publiques des pays d’accueil en acquittant ponctuellement les impôts ». Une première en ces termes, qui exige un bref retour sur l’affaire.

En 2009, la Zambie se place encore au rang de deuxième exportateur mondial de cuivre, juste derrière le Chili. Pourtant, les recettes fiscales liées à l’activité ne cessent de baisser. Selon l’Autorité fiscale zambienne (ZRA), les entreprises ne contribueraient qu’à hauteur de 4% aux revenus fiscaux du pays. La même année, un rapport du FMI avance que la part du secteur minier dans le PIB zambien n’a cessé de décroître depuis 1998, s’écroulant, en cinq ans, de 6,3% à 2,8%.

Avec l’appui de la Norvège, la Zambie commande un audit pour comprendre la fuite. Ciblée prioritairement : la Mopani Copper Mines (MCM), filiale zambienne de Glencore et de First Quantum. Signataire d’un accord spécifique, elle bénéficie de multiples avantages fiscaux et commerciaux. En dépit de quoi elle déclare ne réaliser aucun bénéfice. Les enquêteurs dépouillent les factures. Et démontent la mécanique. Acte 1  : entre 2003 et 2007, la Mopani vend l’essentiel de son cuivre à Glencore à des prix systématiquement inférieurs à ceux du marché  : au final 700 millions de dollars de bénéfices pour la maison mère, installée en Suisse, paradis fiscal s’il en est. Et autant de pertes pour la filiale, laquelle s’empresse de les déclarer à la ZRA. Acte 2  : Mopani gonfle, en 2007, ses coûts de production, surévalués d’au moins 380 millions de dollars. Acte 3  : elle déclare un volume de production de cobalt environ moitié moins important que celui réalisé. Des coûts soi-disant élevés, des recettes soi-disant nulles et les dividendes envoyés discrètement vers les paradis fiscaux  : la boucle de l’exonération fiscale est bouclée. « Il est très rare de réussir à mettre en évidence des évasions fiscales », souligne Maud Perdriel Vaissière, déléguée générale de Sherpa. « Généralement, les entreprises s’en sortent sans accroc. » Pour s’être fait épingler, la Mopani n’est pas la seule dans le collimateur des organisations. « Aucune des compagnies minières présentes en Zambie ne déclare de bénéfice », souligne Thomas Chappot, collaborateur à la Déclaration de Berne. « Or, cette fraude fiscale ampute lourdement les ressources du pays. » Selon le Global Financial Integrity (2) l’évasion fiscale des multinationales représenterait ainsi une perte moyenne de 400 à 440 milliards de dollars par an pour les pays en développement. En attendant de les épingler toutes, les ONG espèrent bien avoir la Mopani. Dont le vol, soulignent-elles, est d’autant plus lamentable qu’en 2005, l’entreprise a bénéficié d’un prêt de 48 millions d’euros de la Banque européenne d’investissement… au titre de son soutien au développement de la région.

(1) Le Center for Trade Policy and Development, Zambie, la Déclaration 
de Berne, Suisse, Sherpa, France et enfin L’entraide missionnaire et Mining Watch, Canada.

(2) Think tank spécialisé dans le sujet.

Marie-Noëlle Bertrand, L’Humanité


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message