2012. D’une catastrophe annoncée et des moyens de la conjurer (tribune de Claude DEBONS, syndicaliste, et Jacques RIGAUDIAT, économiste)

mardi 7 avril 2015.
 

Rarement un président sortant n’a atteint un tel discrédit. Pourtant, 
Nicolas Sarkozy n’a pas encore perdu l’élection présidentielle. Dans un contexte social ravagé par la crise et un climat politique délétère, où la conscience de classe est diluée et le clivage droite-gauche brouillé, tout est possible. Avec l’abstention massive, en particulier des couches populaires, et le score du Front national, les élections cantonales ont envoyé un signal d’alarme.

Au lendemain d’un mouvement social d’envergure qui a généré une prise de conscience allant au-delà du rejet d’une réforme injuste, le résultat doit inquiéter. On pouvait espérer que le rejet massif de la réforme des retraites soit prolongé par le bulletin de vote, que le rapport de forces droite/gauche soit sensiblement modifié et que la gauche de transformation en bénéficie davantage. Tel n’a pas été le cas. Au-delà du soutien, la gauche n’a pas éclairé le mouvement de perspectives – place du travail, conditions de travail, troisième âge de la vie, partage des richesses, quelle société voulons-nous, etc. – qui lui auraient donné un sens plus global et un souffle supplémentaire. Mais le phénomène est plus profond. Depuis le « tournant de la rigueur » de 1983, de « désinflation compétitive » en acceptation du traité constitutionnel européen, le fossé s’est creusé. Pour de larges fractions populaires, la gauche n’est plus synonyme de progrès social, ni même de défense réelle de leurs intérêts. C’est le résultat d’une histoire, qui n’est d’ailleurs pas propre à la France. Les commémorations obséquieuses n’y changeront rien.

Devant cette situation, des appels expriment leur inquiétude, mais, pour résoudre la difficulté, il n’y a pas hélas de raccourci. Il faut partir de l’essentiel  : le décalage entre la combativité sociale, toujours vivace, sa conscience politique et sa traduction électorale. Si l’on veut battre la droite et créer les conditions pour gouverner à gauche, il faut travailler à combler ce fossé. Ce n’est pas seulement affaire de Meccano (rassembler toute la gauche politique de transformation) – même si c’est utile –, mais plus encore de dynamique et d’articulation entre mobilisation sociale et perspective politique, entre demande sociale et réponse politique.

Raccorder aspirations sociales et réponses politiques ne peut venir que d’un double mouvement  :

– la gauche doit retrouver le chemin des classes populaires en prenant à bras-le-corps les problèmes de l’insécurité sociale qui minent la société française, au premier rang desquels le chômage, la précarité, la pauvreté, les inégalités, la peur du déclassement  ;

– les mouvements sociaux ne peuvent se contenter d’intervenir dans le seul champ social et s’abstraire de la donne politique. Ils doivent faire irruption dans le champ politique, afin d’imposer les exigences dont ils sont porteurs dans le débat public et les programmes pour 2012.

Pour faire bouger le curseur programmatique dans le sens de l’alternative, il faut l’intervention du mouvement social, car il sera difficile de bousculer la domination des conceptions sociales-libérales sur la gauche par la seule action des forces politiques de la gauche de transformation. Sans cette modification des rapports de forces internes à la gauche, les conditions ne seront pas réunies pour apporter de véritables réponses aux attentes sociales et desserrer les contraintes qui s’opposent à une politique progressiste. Le risque serait alors de voir une part du mécontentement se reporter sur le vote d’extrême droite, comme ailleurs en Europe  ; et d’aboutir – au mieux – à une alternance sans alternative, voire à une nouvelle défaite…

Avec plus de 8 millions de victimes du chômage ou de la précarité et un quart des salariés gagnant moins de 9 000 euros annuels, la question sociale est au cœur des préoccupations  ; elle doit être au cœur de notre projet politique. Mais elle ne peut être posée qu’articulée à celle de la mondialisation. Car en permanence les salariés en subissent les contraintes. Au nom de la compétitivité face à la concurrence internationale, leurs conditions sociales sont malmenées à coups de délocalisations, de dégradation de l’emploi, des salaires et des conditions de travail. Pour eux, une autre politique est assurément souhaitable, mais une question est omniprésente  : « Comment faire pour desserrer la “contrainte extérieure“ qui pèserait sur une politique progressiste. » Sans articuler le « comment faire » avec le « quoi faire », nul ne peut être politiquement audible.

Marine Le Pen a bien compris cette double attente et y répond avec un discours qui mêle question sociale et préférence nationale. Elle cherche à construire une cohérence globale, le repli national étant censé protéger le progrès social. Les contradictions de ce type de réponse ne seront pas mises à nu par la seule dénonciation tant qu’une autre perspective crédible ne sera pas sérieusement défendue. Le Parti socialiste a déjà pris la pente du renoncement. Son programme est bâti pour être compatible avec le « cercle de la raison » libéral  ; il ne se pose donc même pas la question de « desserrer les contraintes » et de réorienter la construction européenne.

Ce doit être la priorité du Front de gauche que de relever ce défi s’il veut se hisser au niveau de crédibilité électorale qui permettra d’« ancrer la gauche à gauche », condition indispensable pour « gouverner à gauche ». Il lui faut proposer au pays les moyens mais aussi les voies du changement, les mesures d’un programme mais aussi la stratégie et la dynamique d’un projet. Jusqu’à présent, le Front de gauche a été davantage perçu comme en concurrence avec le NPA pour le leadership de l’extrême gauche qu’avec le PS pour le leadership de la gauche. La publication du « programme partagé » et la désignation des candidats à la présidentielle et aux législatives doivent être l’occasion d’une nouvelle impulsion et orientation de la campagne du Front de gauche.

Tribune publiée dans L’Humanité du mardi 31 mai 2011


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