Les milliardaires français tirent leur fortune d’un héritage

samedi 11 juin 2011.
 

Selon une récente étude, les fortunes françaises sont statistiquement plus agées et héritières que leurs homologues des pays émergents. Quel éclairage apporte cette étude sur nos élites ?

C’est une étude qui est passée relativement inaperçue en dehors de la presse spécialisée. Elle en dit pourtant long sur notre pays et ses contradictions. Forbes Insights et Société Générale Private Banking viennent de passer au crible les 1200 plus grandes fortunes de la planète. Leurs recherches font apparaître que les milliardaires français sont à la fois les plus âgés, les moins divers en genre et, surtout, les moins méritants de tout l’échantillon : en moyenne, ils ont 74 ans, 92% d’entre eux sont des hommes et plus des deux tiers doivent leur fortune... à l’héritage. Même si on les invoque à tout bout de champ, la mobilité sociale et l’égalité des chances ont manifestement quelques progrès encore à faire chez nous !

A l’évidence, un pays industrialisé de longue date comme le nôtre ne pouvait espérer faire aussi bien que ses concurrents émergents : en Chine, en Inde ou au Brésil, pays en plein boom, les milliardaires sont forcément jeunes, et ils ont forcément majoritairement eux-mêmes créé leur richesse. On aurait pu espérer une comparaison plus flatteuse avec les autres pays développés.

Il faut déchanter. 80% des milliardaires britanniques et 68% des américains sont des "self-made-men" - seulement un petit tiers des nôtres. Et le pourcentage de femmes milliardaires est deux fois plus élevé en Allemagne qu’en France. Au total, on chercherait en vain, dans cette étude, le moindre critère sur lequel notre classement ne soit pas catastrophique au regard du souci démocratique que nous portons en bandoulière.

"Nous nous accommodons de la domination des fils d’archevêques"

La belle affaire ! nous dira-t-on. Est-ce sur une poignée de cas particuliers qu’on doit juger de la mentalité d’un pays ? Le problème, c’est que le parcours de nos milliardaires n’est pas dérogatoire, mais au contraire tout à fait symptomatique d’une reproduction des élites que l’on retrouve à tous les étages de la société.

Ce sont ainsi, statistiquement, les fils et filles de profs de classes préparatoires qui ont le plus de chances d’être admis dans les grandes écoles - au sein desquelles les enfants des classes populaires sont, en pourcentage, deux fois moins nombreux qu’il y a quarante ans. Quant au Parlement, on y compte beaucoup plus de rejetons de parlementaires... que d’enfants de l’immigration. Pas la peine de souscrire aux excès de Bourdieu pour s’émouvoir de cette dérive. Au propre et au figuré, nous sommes tous les ans un peu plus un pays d’héritiers, au mépris de notre idéal méritocratique.

Certaines politiques publiques (internats d’excellence, féminisation obligatoire des conseils d’administration...) et nombre d’initiatives privées (l’élargissement du recrutement de Sciences po est la plus connue) manifestent, depuis quelques années, un début de prise de conscience. Mais, au fond, nous nous accommodons collectivement, en France, de la domination des fils d’archevêques.

Révélateur : aucun parti politique n’a jamais mis à son programme l’abolition de cette obscénité du Code civil - àpeu près unique parmi les grandes nations- qu’est le dispositif de la "réserve héréditaire", qui oblige pratiquement les possédants à transmettre leur fortune à leurs enfants. Intarissable sur les salaires des patrons, sujet de second ordre, le programme que vient de se donner le PS est ainsi absolument muet sur cette question fondamentale. Dommage.


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