Le strauss-kahnisme est un poison lent (par Philippe Marlière)

mardi 21 juin 2011.
 

Le 6 juin dernier, Dominique Strauss-Kahn a enfin réussi à mobiliser la classe ouvrière autour de sa personne : des femmes de ménage sont venues le conspuer alors qu’il arrivait au tribunal de New-York. Au même moment à Paris, ses amis socialistes lui tournaient le dos, les uns après les autres. « L’affaire DSK est un drame personnel » affirma Elisabeth Guigou. « Le problème de DSK est une difficulté personnelle, il est dans une sphère privée » ajouta Jean-Jacques Urvoas, un fidèle. Les larmes de crocodiles ont vite été séchées, et les solférinades ont déjà repris leur cours. Est-ce la fin de partie pour la Strauss-kahnie ? Non. Le strauss-kahnisme est un poison lent, dont les effets délétères vont pendant longtemps encore affaiblir le Parti socialiste.

A New York, on ne moleste pas impunément une femme de ménage

Tout affairée à décliner les ressorts psychologiques de « l’affaire Strauss-Kahn », les médias français ont laissé échapper un détail important. La plupart des femmes de ménage de l’hôtel Sofitel à New York sont syndiquées. Selon Dean Baker, co-directeur du Centre for Economic and Policy Research - un think tank basé à Washington DC - la femme de ménage qui accuse Dominique Strauss-Kahn de violences sexuelles, est membre du New York Hotel Workers Union (NYHWU).

Le NYHWU revendique le taux le plus élevé de syndicalisation dans le monde (75% des 10000 femmes de ménage). L’information n’est pas anecdotique. Elle expliquerait pourquoi la jeune guinéenne a eu le courage de porter plainte contre l’ex-directeur du Fonds monétaire international. John Truciano, un des porte-parole du syndicat, a déclaré que New York est « l’un des rares endroits au monde où la plupart des employés d’hôtel n’ont pas peur de faire état des atteintes à leurs droits et de demander réparation ».

L’« affaire Strauss-Kahn » a permis de jeter un éclairage timide sur le monde invisible des employés de l’hôtellerie. Les femmes de chambre sont les plus vulnérables : travaillant à des cadences infernales, faiblement rémunérées (la plupart sont exploitées car elles ne disposent pas de permis de séjour en règle), elles peuvent être congédiées sur le champ, sans compensation. Dans les hôtels de luxe, les employeurs attendent d’elles un comportement des plus serviles à l’égard de richissimes clients. Les plaintes pour agression sexuelle ou viol sont rares, mais fréquents sont les comportements abusifs de certains « maîtres de l’univers » : des clients s’exhibent nu devant les femmes de ménage ou leur demandent des faveurs sexuelles, parfois en échange d’un paiement.

Le procès qui va se dérouler va donc opposer l’ex-directeur d’une des plus importantes institutions financières, un homme qui vit dans le luxe et l’opulence ; à une femme de ménage du Bronx, noire, réfugiée politique guinéenne, veuve et mère célibataire. Emménager dans un appartement qui coûte 35000 euros par mois, n’est-ce pas un camouflet volontaire infligé aux camarades de Solférino ? Après moi, le déluge, semble dire DSK aux socialistes.

Benjamin Brafman, son avocat célèbre, est l’homme des causes perdues, des riches et des puissants. C’est aussi le défenseur des mafieux et de Michael Jackson. Pour sauver son client, il va fouiller dans les moindres recoins de la vie de la plaignante et, au besoin, salir sa réputation. Comment réagiront les socialistes devant un tel déballage ?

Peut-on être un serviteur zélé du capitalisme financier et de gauche ?

Comme l’a souligné avec ironie un universitaire étatsunien, DSK a changé le FMI d’une manière très cosmétique : du « neoliberalism » à l’anglo-saxonne, on serait passé au néolibéralisme avec un accent français. Créé après la Deuxième guerre mondiale, le FMI est une institution qui prête de l’argent à des Etats en crise contre la mise en œuvre de politiques d’austérité et de privatisation (les « programmes d’ajustement structurel »).

Le FMI exige traditionnellement des coupes sévères dans les programmes sociaux des gouvernements. Strauss-Kahn n’a pas dérogé à la pratique, en attestent les prêts punitifs consentis à la Grèce, à l’Irlande et au Portugal. Lorsqu’en 2007 DSK - soutenu par Nicolas Sarkozy - fut nommé à la tête du FMI (et avant lui, Pascal Lamy à la tête de l’Organisation mondiale du commerce), personne au PS ou presque ne s’en est offusqué. Au contraire, ce fut pour nombre de dirigeants socialistes un motif de satisfaction et de fierté.

Il y a quelques semaines encore n’entendait-on ses partisans affirmer que le passage de DSK au FMI lui avait conféré une « stature de chef d’Etat » ? Au PS personne n’a exprimé cette évidence première : il est totalement incompatible de diriger le FMI et, dans la foulée, représenter la gauche à l’élection présidentielle. A une époque pas si lointaine, la nomination de DSK au FMI aurait été perçue comme une trahison suprême du combat socialiste, et Strauss-Kahn aurait été exclu illico presto du PS. Autres temps, autres mœurs socialistes…

Martine Aubry, que certains présentent aujourd’hui comme la tenante d’une ligne social-démocrate de gauche, a soutenu jusqu’au bout une potentielle candidature DSK, en vertu d’un « pacte » entre les deux dirigeants. Ceci montre bien qu’il n’y avait aucune différence politique majeure entre DSK et Aubry, pas plus qu’il n’y en a aujourd’hui entre Aubry et Hollande.

Depuis que leur champion est hors course, le premier cercle des strauss-kahniens (notamment les néolibéraux Cambadélis et Moscovici ou le sécuritaire Valls) a entrepris de se vendre au plus offrant des candidats. Ils exigent que le candidat qui recevra leur soutien s’engage à respecter les idées droitières de DSK ; un catéchisme néolibéral aussi moderne dans l’allure et le contenu que le blairisme des années 90.

Les méprisants experts et les méprisables prolos

La Fondation Terra Nova, très « DSK compatible », a récemment publié « Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ? » Ce document décortique les caractéristiques de l’électorat français, et envisage une stratégie électorale pour remporter l’élection présidentielle de 2012 : la gauche doit abandonner les méprisables prolos, qui incarnent un monde du travail et de valeurs dépassés (des prolos qui, après trois décennies de politiques néolibérales, ont l’outrecuidance de s’abstenir de voter, voire votent FN) ; pour se concentrer sur les classes moyennes « ouvertes, optimistes et tolérantes ». L’ennemi de classe n’est plus le capitalisme ou le patron, mais ces indécrottables prolos, culturellement réactionnaires et « attachés à leur statut ».

Le strauss-kahnisme continuait de distiller son poison lent lorsque Jean-Christophe Cambadélis est apparu sur le plateau du JT de France 2 le 6 juin. DSK venait de plaider « non coupable » à New York. On demanda a l’ex-militant trotskyste devenu la cheville ouvrière du strauss-kahnisme, ce qu’il pensait de la mobilisation des femmes de ménage devant le tribunal.

La réponse fusa dans un ricanement sarcastique : la mobilisation des ouvrières syndiquées n’avait, selon le bon « Kostas », rien de « spontané ». Misérables prolos français, vous voilà prévenus. Lorsque vous vous organiserez pour défendre vos intérêts matériels et moraux, un gouvernement strauss-kahnisé mettra en doute la « spontanéité » de votre engagement. Bref, il ne sera pas de votre côté.

De : Philippe Marlière


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