Dialogue social, contrat et loi : François Hollande est-il pris au sérieux ?

mardi 15 mai 2012.
 

Dans une précédente note de ce blog, j’ai pointé un texte publié dans « Le Monde » sous sa signature et passé totalement inaperçu. Son contenu méritait pourtant débat. Le candidat socialiste y faisait une proposition spécialement bouleversante pour notre droit social et la hiérarchie des normes dans notre pays. « Il s’agirait désormais de reconnaître un domaine à cette même négociation collective, en précisant son périmètre comme son champ d’intervention, et en conditionnant la conclusion d’accords au respect des règles majoritaires. Concrètement, le gouvernement et le Parlement seraient juridiquement liés par le contenu de conventions signées entre partenaires sociaux sur des sujets bien précis et avec la vérification des mécanismes de représentativité. » Le contrat au dessus de la loi ! J’y vois une régression terrible et lui une belle avancée vers le sacro saint horizon européen que les socio libéraux de cet acabit ne se donnent même plus le mal de localiser comme si toute l’Europe était au diapason de leurs lubies. « Voilà une avancée qui nous rapprochera des grandes démocraties européennes en matière sociale. » pétarade François Hollande. Sans sous estimer l’impact d’une telle révolution. « Cette modification constitutionnelle devrait avoir, en matière de démocratie sociale, le même impact que les lois de décentralisation dans l’organisation de notre démocratie territoriale. »

Quelqu’un a dû lui souffler que c’était sans doute un peu trop d’un coup sans précaution. C’est pourquoi il se sent tenu de reconnaitre que le rapport de force dans l’entreprise et l’intérêt général ne se recoupent pas toujours. Mais, bien sûr, la phrase est assortie d’un bon coup dans les tibias dans le souvenir de la grande révolution de 1789, éternelle détestation de cette gauche là. Une chose et son contraire. Le fameux balancement circonspect, figure centrale de la pensée des élèves de l’ENA. « L’Etat doit rester le garant de la cohésion nationale et de l’ordre public social mais il n’a rien à redouter de laisser une plus grande place aux partenaires dans la définition et l’élaboration des normes sociales. Dans un pays comme le nôtre qui, depuis la Révolution française, se méfie des corps intermédiaires, cette évolution ne va pas de soi, d’autant que souvent, c’est la loi qui protège et la liberté des acteurs qui menace, les rapports de force ne peuvent pas se substituer à la règle commune. » Il est curieux que personne n’ait réagi. J’ai donc pris ma plus belle plume pour donner mon avis et je suis parti en quête d’un journal que le thème pourrait intéresser au point de prendre le débat. Ce fut « la Tribune », quotidien économique qui prit en charge l’idée. Et Alain Madelin me fit le contre point. Voici le meilleur : Alain Madelin approuve et soutient l’idée de François Hollande, « expressis verbis » comme dirait Michel Denisot qui parle le latin comme on le sait.

Voici le brevet de libéralisme attribué par Alain Madelin à François Hollande. « Mettre la société en mouvement », telle est pour François Hollande la mission du prochain président de la République. » relève l’ancien ministre libéral. « L’expression (empruntée à Jacques Delors) est heureuse » souligne-t-il. « À rebours des tonitruantes annonces du retour de l’État, elle fixe le cap d’une société civile plus libre et plus responsable. » La suite du satisfecit accordé à la trouvaille de François Hollande mérite le détour. On y apprend l’origine du concept et les raisons des applaudissements de Madelin. « Pour cela, écrit Alain Madelin, François Hollande propose d’inscrire une véritable autonomie normative pour les partenaires sociaux dans la Constitution. En clair, donner force de loi aux contrats conclus sous certaines conditions par les partenaires sociaux. La proposition n’est pas nouvelle. Longtemps défendue par les libéraux, elle a été au cœur de la « refondation sociale » esquissée en 1999 par les partenaires sociaux. C’est dire qu’elle dépasse aujourd’hui les clivages politiques. Son retour sur la scène politique est bienvenu car la refondation du droit social est nécessaire. » On devine dans quels sens Alain Madelin voit l’évolution nécessaire. Dans le sens proposé par François Hollande.

Madelin donne donc les pistes opérationnelles pour agir juridiquement « En fait, cette démarche refondatrice se rattache plus volontiers à l’article 34 de notre Constitution. Celui-ci délimite le domaine de la loi en distinguant suivant que la loi " fixe les règles " dans certaines matières – par exemple, les crimes et délits – ou qu’elle " détermine les principes fondamentaux " dans d’autres matières, par exemple le droit du travail. Une application plus stricte de cet article au domaine du droit du travail suffirait à libérer l’espace contractuel de cette refondation sociale. Elle permettrait de parfaire un mouvement engagé depuis longtemps avec les lois Auroux de 1982 (supériorité de l’accord collectif sur la loi), la loi Fillon de 2004 (extension de la capacité de dérogation entre accords différents), jusqu’à la loi du 20 août 2008 sur la durée du travail. Ce faisant, la refondation sociale ouvre le chantier d’une refondation juridique plus vaste qui touche à la nature du pouvoir et au rôle de la loi. » Je n’admets pas que, sur le plan des principes, les lois Auroux soient mises sur le même plan que les lois Fillon et Bertrand qui vont dans le sens inverse. En effet l’accord collectif visé par Auroux, capable d’être appliqué à la place de la loi, ne peut l’être qu’à la condition d’être plus favorable aux travailleurs. Cette obligation n’existe plus dans les deux autres exemples cités.

J’en viens à mes arguments. Donc, pour réhabiliter le dialogue social, François Hollande veut l’inscrire dans la Constitution. Son idée revient à instituer l’Etat corporatif. En effet il propose de doter les « partenaires sociaux », autrement dit les patrons et les représentants des salariés, d’"une véritable autonomie normative". Avec des conséquences très lourdes : « le gouvernement et le Parlement seraient juridiquement liés par le contenu de conventions signées entre partenaires sociaux". Les conclusions d’une négociation privée de gré à gré entre patronat et syndicats pourraient s’imposer à tous avec force de loi. Le contrat serait au dessus de la loi. Le peuple ne serait plus souverain pour fixer les normes du droit social. Cette chimère tournerait au désavantage de la République et des acquis des salariés. Elle amplifierait le dumping social au détriment des entreprises elles-mêmes.

Cette trouvaille n’est pas neuve. Lors de la primaire socialiste de 2006, Dominique Strauss-Kahn avait dénoncé « une trop grande confiance accordée à la loi pour régler les problèmes ». Il voulait laisser « une plus grande part au contrat ». Au mépris de l’institution républicaine, ce point de vue méconnait aussi la réalité de notre temps. Le contrat est basé sur la négociation d’un rapport de force. Aujourd’hui celui-ci est dominé par la pression dérégulatrice de la mondialisation. Laquelle pousse à la baisse du coût du travail en jouant sur l‘individualisation des rapports sociaux et le retrait de la régulation législative. Dans ce contexte l’obligation d’en passer, pour finir, par le vote de la loi est un appui essentiel pour les salariés et leurs syndicats. Mais aussi pour les petites entreprises qui ont avec le législateur un recours contre les abus de position dominante des grands groupes qui leur sous traite le travail de surexploitation. Oter ce recours c’est méconnaitre l’histoire du droit social en France qui n’a cessé de vouloir l’affranchissement du travail de la logique du contrat. Lacordaire en a résumé le principe : « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime, c’est la loi qui affranchit. ».

Aucune des grandes conquêtes sociales n’est venue d’un compromis entre partenaires sociaux. Toutes sont issues du couple de la lutte et de la loi. L’encadrement du travail des femmes et des enfants au 19ème siècle, c’est la loi. L’indemnisation des accidents du travail en 1895, la généralisation des retraites ouvrières et paysannes en 1910, c’est la loi. La création des congés payés et la semaine de 40 heures en 1936 c’est la loi. La création des comités d’entreprises et de la sécurité sociale à la libération, c’est la loi. L’instauration du salaire minimum en 1950, les 39 heures et la retraite à 60 ans en 1981, c’est encore la loi. Tout comme les 35 heures en 1997. Et quand la gauche a créé les conventions collectives en 1936, elle l’a fait pour renforcer les garanties posées par la loi. Ce fut le principe de faveur. Il veut qu’aucun contrat ne puisse déroger à une norme supérieure de manière défavorable au travailleur. D’ailleurs, c’est là où la loi avait laissé trop d’espace aux contrats d’entreprises que l’application des 35 heures a parfois pu se faire au détriment des travailleurs.

Sans ironie : Hollande devrait se souvenir de Jospin. De 1997 à 2002, son gouvernement a défendu le primat de la loi face aux tentatives du MEDEF d’imposer un nouvel ordre social par le contrat. Il refusa en juin 2000 d’agréer le projet de Convention sur l’assurance chômage pourtant négocié par les partenaires sociaux avec l’accord de deux centrales syndicales représentatives (CFDT, CFTC). Fruit d’un rapport de force défavorable, cette convention réduisait drastiquement l’indemnisation du chômage et prévoyait un système de sanction des chômeurs appelé PARE. Hargneux, le MEDEF suspendit sa participation à la gestion de l’assurance chômage. Jospin défendit sa décision, en désaccord avec la proposition actuelle de François Hollande : « je refuse que les contrats reçoivent une valeur plus grande que la loi. Cela signifierait que l’intérêt particulier aurait une valeur supérieure à la loi, alors que la loi est l’expression de la souveraineté du peuple. Cette conception, je la combattrai politiquement et au nom d’une certaine vision de la République. » Hollande propose d’y renoncer.

Est-ce une blague corrézienne ? Hollande ici est à la suite de Chirac. En janvier 2000, celui-ci appelait à « mieux reconnaître la valeur du contrat, y compris, si nécessaire, sur le plan constitutionnel ». Il en est résulté la loi Villepin de « modernisation du dialogue social » de janvier 2007. Sous couvert de meilleure association des partenaires sociaux, c’est le pouvoir du Parlement qui était déjà entravé. Ce renforcement du contrat face à la loi est une constante du programme de la droite et du patronat depuis des années. Nostalgique du XIXème siècle où le contrat réglait entièrement les relations sociales, le MEDEF milite activement pour un renversement de la hiérarchie des normes. Ce fut le cœur de la « refondation sociale » initiée par Seillière. Depuis 1986, c’est en permettant aux contrats de déroger à l’ordre public social garanti par la loi, que la droite a fait reculer le droit du travail. C’est toujours grâce à des failles contractuelles dans le droit social, que le patronat a pu imposer plus de flexibilité et moins de sécurité aux travailleurs. En 2008, Sarkozy et Xavier Bertrand sont allés encore plus loin dans leur réforme du temps de travail en permettant à des accords d’entreprise de déroger aux garanties légales plus favorables. Pourquoi continuer leur travail ?

L’ordre public social républicain repose sur une hiérarchie des normes où chaque échelon n’est autorisé qu’à améliorer l’offre du précédent. Primo la loi, secundo la convention collective, qui peut-être meilleure que la loi, et tertio l’accord d’entreprise, qui peut-être meilleur que la convention collective. S’il n’est pas possible de procéder dans l’autre sens, c’est parce qu’en République on suppose que tout découle de l’intérêt général incarné par la loi. Du coup, les Français font aussi par exemple de leur ministre du travail celui de la santé au travail. Ils montrent ici que la société a un intérêt propre, distinct de celui du patronat, et même de l’appréciation de chaque travailleur. Ce bon droit de la société vient de loin. L’investissement réalisé par l’Etat dans la formation du travailleur, dans l’implantation de l’entreprise, tout ceci est arbitré au nom de l’intérêt général et donne des droits à la société sur l’entreprise. De son côté celle-ci bénéficie de la bonne administration de la société qui lui permet de trouver une main d’œuvre qualifiée, en bonne santé et capable d’acheter les biens produits. Le progrès social est le moteur du progrès économique. Il ne doit pas être abandonné aux rapports de forces dans les corporations. Le modèle républicain de l’ordre public social et sa façon d’articuler démocratie sociale et démocratie parlementaire doit être amélioré. Pas aboli.


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