Syrie : Néolibéralisme et oppression, les matrices de la révolte

lundi 4 juillet 2011.
 

1) Entretien avec Kamal Hamdane, économiste et directeur exécutif de l’Institut de recherches et de consultation (CRI)

Basé à Beyrouth, il insiste sur le poids de la question sociale

Les revendications ont d’abord été d’ordre social. Où en est l’économie syrienne ?

Kamal Hamdane. À partir de 2000-2002, il y a eu de grandes modifications dans les choix syriens, notamment vers 
un plus grand libéralisme économique. L’ex-dirigisme étatique plus ou moins orthodoxe a été progressivement supplanté par une tendance à une plus grande libéralisation sous le slogan de « l’économie sociale de marché »...
 Dans le cadre de cette nouvelle orientation, beaucoup de mesures 
et de démarches ont été entreprises par le pouvoir syrien, vers la libéralisation 
des transactions commerciales, vers l’ouverture inconditionnelle du marché syrien au flux 
des investissements étrangers, notamment en provenance 
des pays du Golfe, et également une remise en cause de 
la politique de « subvention », qui jouait un rôle important et concernait des dizaines de millions de ménages syriens 
et a été profondément révisée en vue d’une plus grande adaptation aux conditions 
d’une économie de marché. 
Une pareille politique a aggravé le taux de chômage.

On devait s’attendre 
à ce qu’il y ait des mouvements de contestation. Il faut signaler qu’au cours des dix dernières années les deux principaux piliers de l’économie, l’agriculture et l’industrie, ont connu une baisse sensible et ont amené des déplacements de population. 
Ces dernières années, la Syrie a signé des accords de libre-échange, non seulement avec 
les pays arabes mais aussi avec 
la Turquie. On a assisté 
à une baisse du poids relatif 
de l’industrie dans le PIB syrien 
et à une conversion progressive d’un certain nombre d’industriels vers le commerce. Or l’agriculture et l’industrie représentaient près de 60 % 
de la population active. Donc, 
le taux de chômage augmente, sachant que la Syrie n’a pas encore fait sa révolution en matière démographique. Elle connaît des taux de croissance 
de la population les plus élevés au monde. L’entrée des jeunes 
sur le marché du travail est 
de presque un quart de million alors que l’économie n’a pas pu absorber plus de 20 % 
de ces jeunes.

Comment cette question économique se marie-t-elle 
à la question politique 
en ce moment ?

Kamal Hamdane. Lorsque les conditions sociales s’aggravent, lorsque les réseaux de sécurité sociale s’affaiblissent, lorsque
la politique de subvention exerce une ponction sur le revenu 
des ménages et qu’il existe 
une mainmise politique avec 
une tendance à l’oppression, 
il est normal que des mouvements de protestation éclatent. Mais les choses sont plus compliquées. Bachar 
Al Assad aurait dû corriger les effets sociaux négatifs de cette politique libérale mais aurait dû aussi rénover la vie politique. 
Le mouvement de réformes qu’il avait lancé a été insignifiant. 
Le temps devient de plus en plus court pour des réformes si les engagements du pouvoir en matière politique et économique ne se précisent pas très rapidement avec un calendrier détaillé.

Beaucoup de puissances étrangères, surtout occidentales, tentent en même temps de masquer le grand antagonisme de la région  : le conflit israélo-arabe. Pour les puissances étrangères, affaiblir la Syrie, 
faire éclater l’entité syrienne, ne peut être dissocié de cette géostratégie qui commande l’essentiel des interventions occidentales dans la région. Ils veulent créer de nombreux conflits et pratiquer des partitions là où c’est possible 
sur des critères communautaires, linguistiques, ethniques, tribaux. Nous sommes à la veille 
de grandes mutations.

Entretien réalisé par Pierre Barbancey, L’Humanité


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