Ce n’est pas "une crise grecque", c’est la crise du capitalisme

samedi 18 août 2012.
 

"...C’est le capitalisme qui est en crise, et pour en sortir, il devient indispensable de sortir du capitalisme, dépasser sur-le-champ un système pervers qui conduit l’humanité à l’holocauste, à d’énormes souffrances et à la déprédation environnementale sans précédents".

Les médias, les cabinets, les économistes, les banques d’investissement, les présidents des banques centrales, les ministres des finances, les gouvernants ne cessent de parler de la "crise grecque".

Devant tant de clameur mal intentionnée, il est opportun de paraphraser une phrase de la campagne de Bill Clinton pour dire et insister sur le fait que cette crise est celle du capitalisme, pas celle de la Grèce. Il faut le dire, ce pays est l’un des maillons les plus faibles de la chaîne impérialiste, c’est pour cela qu’y surgissent les contradictions qui le rongent irrémédiablement.

La sonnette d’alarme tirée par les capitalistes, assurément justifiée, est que l’écroulement de la Grèce pourrait entraîner celui d’autres pays comme l’Espagne, l’Irlande, le Portugal et compromettre très sérieusement la stabilité économique et politique des principales puissances de l’Union Européenne.

D’après la presse financière internationale, représentative des intérêts de la "communauté d’affaires" (lire : les oligopoles gigantesques qui contrôlent l’économie mondiale), la résistance populaire aux mesures brutales d’austérité menacent de jeter par-dessus bord tous les efforts stériles réalisés pour sortir de la crise.

L’angoisse se répand dans le patronat, face aux difficultés que rencontre Athènes pour imposer les politiques brutales exigées par ses sauveurs présumés. Avec raison, les travailleurs ne veulent pas prendre en charge une dette provoquée par les tricheurs de la finance. La menace d’une explosion sociale, qui pourrait se répercuter dans toute l’Europe, tient paralysés les gouvernements grecs et européens.

L’injection de fonds autorisée par la BCE, le FMI et les principaux pays de la « zone euro » ne fait qu’aggraver la crise et encourager les mouvements spéculatifs du capital financier. Le résultat le plus visible a été l’accroissement de l’exposition des banques européennes à ce qui apparaît déjà comme un inévitable défaut grec.

Les recettes bien connues du FMI, de la Banque Mondiale et de la BCE : Réduction des dépenses, retard de l’âge du départ à la retraite, licenciements massifs d’employés du public, fin des entreprises d’Etat et dérégulation des marchés pour attirer les investissements ont engendré les mêmes effets dont ont souffert plusieurs pays d’Amérique latine, et l’Argentine de façon notable.

Il semblerait que l’évolution des événements en Grèce prenne le chemin de l’écroulement fracassant qu’ont connu les Argentins en décembre 2001. Mis à part quelques différences évidentes, il y a des similitudes qui abondent dans le sens de ce pronostic.

Le projet économique est le même : le néo-libéralisme et ses politiques de choc ; les acteurs principaux sont les mêmes : le FMI et les chiens de garde de l’impérialisme à l’échelle globale ; les gagnants sont les mêmes : le capital concentré et plus particulièrement la banque et la finance : les perdants sont également les mêmes : les salariés, les travailleurs et les classes populaires ; la résistance sociale à ces politiques possède la même force qu’en Argentine.

Il est difficile d’imaginer un « soft landing », un atterrissage en douceur de cette crise. Ce qui est prévisible et le plus probable, c’est précisément le contraire ; tout comme cela s’est passé en Amérique du Sud

Bien-sûr, à l’inverse de la crise argentine, la crise grecque est vouée à avoir un impact global incomparablement plus important. C’est pourquoi le monde des affaires constate avec horreur la possible « contagion » de la crise et de ses effets dévastateurs sur les pays du capitalisme métropolitain. On estime que la dette publique grecque s’élève à 486 milliards de dollars et qu’elle représente 165% du PIB de ce pays.

Mais ceci se passe dans une région, « la zone euro », où l’endettement s’élève déjà à 120% du PIB des pays de l’euro, comme dans le cas de l’Allemagne avec 143%, la France 188 % et la Grande-Bretagne avec 398%. De plus, il ne faut pas oublier que la dette publique des États-Unis s’élève déjà à 100% de son PIB. En un mot, le cœur du capitalisme global est gravement malade.

En opposition, la dette publique chinoise, comparativement à son gigantesque PIB, n’est que d’à peine 7%, celle de la Corée du Sud de 25% et celle du Vietnam de 34%. Il y a un moment où l’économie, qui est toujours politique, se transforme en mathématique et où les chiffres résonnent. Et la mélodie qu’ils entonnent dit que les pays de la « zone-euro » sont au bord d’un abîme et que leur situation est insoutenable.

La dette grecque,dissimulée avec succès pendant sa gestation et son développement grâce à la collusion criminelle d’intérêts entre le gouvernement conservateur grec de Kostas Karamanlis et la banque d’investissement favorite de la Maison Blanche, Goldman Sachs, a été financée par de nombreuses banques, principalement en Allemagne et, dans une moindre mesure, en France. Elles sont créancières de reçus d’une dette à laquelle l’agence de notation Standard & Poor’s (S&P) a attribué la pire note du monde : CCC, ce qui signifie qu’elles ont des créances avec un débiteur insolvable qui n’a pas les moyens de payer.

L’ultra néo-libérale Banque Centrale Européenne se trouve dans la même situation, voire pire, raison pour laquelle une défaillance grecque aurait des conséquences cataclysmiques pour ce véritable ministère des finances de l’Union Européenne, situé en dehors de tout contrôle démocratique.

Les pertes que provoquerait la banqueroute grecque engageraient non seulement les banques exposées mais également les pays à problèmes, comme l’Espagne, l’Irlande, l’Italie et le Portugal qui devraient affronter le paiement d’intérêts plus élevés qu’actuellement pour équilibrer leurs finances détériorées. Il n’y a pas beaucoup d’efforts à faire pour imaginer ce qui se passerait si, comme on le redoute, une cessation de paiements unilatérale grecque se produisait,, dont le premier impact frapperait la ligne de flottaison de la locomotive Européenne, l’Allemagne.

Les problèmes de la crise grecque (et européenne) sont d’origine structurelle. Ils ne sont pas dûs à des erreurs ou à des contretemps inattendus mais ils reflètent les résultats prévisibles et attendus lorsque la spéculation et le parasitisme financier prennent les commandes du processus d’accumulation du capital.

Ce n’est pas pour rien que, dans le fracas de la Grande Dépression des années trente, John Maynard Keynes recommandait, dans sa célèbre « Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie » de pratiquer l’euthanasie du rentier comme condition indispensable pour garantir la croissance économique et réduire les fluctuations cycliques endémiques au capitalisme. Son conseil ne fut pas écouté et aujourd’hui, ce sont ces secteurs-là qui détiennent l’hégémonie capitaliste, avec les conséquences que l’on connaît.

Il y a quelques jours, * Istvan Meszaros (philosophe marxiste hongrois), faisait le commentaire suivant sur cette crise : « une crise structurelle a besoin de solutions structurelles », mais ceux qui administrent la crise les refusent catégoriquement. Ils prétendent soigner avec de l’aspirine un malade qui est dans un état critique.

C’est le capitalisme qui est en crise et pour en sortir, il faut sortir impérativement du capitalisme, dépasser sur le champ un système pervers qui conduit l’humanité à l’holocauste, à d’énormes souffrances et à une déprédation environnementale sans précédents.

C’est pour cela que la mal nommée « crise grecque » n’en est pas une ; par contre, elle est le symptôme le plus aigu de la crise générale du capitalisme, celle dont, depuis trois ans, les médias de la bourgeoisie et de l’impérialisme assurent qu’elle est en voie de dépassement, même si les choses vont de plus en plus mal. Le peuple grec, par sa force de résistance, prouve qu’il est disposé à en finir avec un système qui n’est déjà plus viable, ni à long ni même à moyen terme.

Il faudra l’accompagner dans sa lutte et organiser la solidarité internationale pour essayer d’éviter la répression féroce dont il fait l’objet, méthode favorite du capital pour résoudre les problèmes créés par sa voracité sans bornes.

Peut-être que la Grèce, qui inventa il y a plus de 2500 ans la philosophie, la démocratie, le théâtre, la tragédie et tant d’autres choses, pourra-t-elle retrouver ses principes et inventer la révolution anticapitaliste du 21ème siècle. L’humanité lui en serait profondément reconnaissante.

ATILIO BORON

Traduit par Françoise Bague et Guillaume Beaulande


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