Extraire la politique universitaire de la cupidité du marché

dimanche 15 janvier 2012.
 

Les résultats de la « course à l’excellence » sont presque tous connus. Labex, Équipex, Idex, issus du grand emprunt surgi du rapport Juppé-Rocard, tombent et pleuvent concentrés sur un nombre très limité de sites universitaires. Faisant suite à la loi LRU, la séquence du grand emprunt va donner un coup d’accélérateur à la stratégie d’émergence de « grandes marques universitaires » sur le marché de la connaissance souhaité par la stratégie de Lisbonne (2000). S’impose à l’université et à la recherche françaises une mue néolibérale, utilitariste et productiviste qui a trouvé dans « l’épouvantail utile de Shanghai » un alibi de circonstance.

Depuis le début, la sémantique utilisée annonçait les résultats. L’« excellence » ressassée n’a jamais été un horizon, mais un point de départ, fabriqué par des agences d’évaluation, une ligne de démarcation dessinant une nouvelle carte de la recherche académique. Facteur discriminant, elle a permis de distinguer quelques élus et d’exclure le plus grand nombre d’universités et de laboratoires. La géographie de la première vague révèle ainsi une France universitaire coupée en deux, une nouvelle diagonale renforçant les déséquilibres entre les jeunes universités régionales ou banlieusardes et les autres, plus anciennes et métropolitaines.

Si, comme proclamé par la ministre, l’« excellence » est « présente partout », si l’objectif réel est de « structurer le paysage universitaire, d’irriguer nos territoires et d’y doper l’activité économique », alors la répartition des investissements pose un gros problème d’aménagement et d’égalité des territoires. C’est une géographie universitaire à deux vitesses qui apparaît, avec son lot d’oubliés, établissements de seconde zone voués à une disparition programmée. Les disciplines connaissent la même logique. Les mathématiques ou les sciences humaines et sociales ne sont pas retenues ou obtiennent la portion congrue.

Les méthodes utilisées marquent tout autant une rupture. Les organisations syndicales ont parlé d’un « chantage permanent », « d’absence de concertation », d’un « pilotage » entre les mains de cabinets de consultants privés… Un recul démocratique sans précédent, mais parfaitement inscrit dans la loi LRU, a été imposé à la communauté universitaire mise en situation de concurrence. Car la mise en place d’un marché du travail des enseignants-chercheurs et d’un marché des formations est un des objectifs du grand emprunt.

Avec les « investissements d’avenir », l’université et la recherche françaises viennent donc d’entrer dans une période de grands chambardements voulus par les forces du marché et placés sous leur égide. Déjà contraintes depuis des années à la logique des appels à projet, elles sont plongées par le grand emprunt dans une course aux parts de marché d’une ampleur sans précédent, et jetées dans une logique d’hyperconcurrence et d’exclusion pour obtenir des financements en trompe-l’œil.

Car les sommes annoncées viennent en réalité pour partie d’une baisse des financements récurrents (– 12% en moyenne, soit 125 millions d’euros en 2010). On ne prête donc vraiment qu’aux riches en prenant aux petits  ! Les milliards promis sont néanmoins virtuels car seuls les intérêts générés seront versés et un faible pourcentage seulement sera consomptible. Enfin, les Idex ne seront labellisés qu’après une période probatoire de quatre ans, soit en 2015. Les financements sont donc pour partie de la poudre de perlimpinpin distillée par un joueur de bonneteau. Du Sarkozy pur jus.

Mais, comme le diable se niche dans les détails, le plus grave est donc ailleurs. Dans son intention de rapprocher le monde académique du monde économique, Sarkozy entend offrir en pâture l’université au monde de l’entreprise et aux forces du marché puis permettre à l’État de s’en désengager financièrement. Le modèle a été testé avec les pôles de compétitivité. Ces derniers ont mis les laboratoires universitaires au service de grandes entreprises pour faciliter le transfert de technologies de la recherche publique vers le privé.

Le grand emprunt va amplifier et généraliser le processus en cours. Et déjà, des laboratoires privés anticipent et licencient des chercheurs (Pfizer en Angleterre), pour leur préférer la « collaboration » avec la recherche académique publique. Outre le fait de livrer en pâture les labos publics au secteur privé et capitalistique, c’est une vision marchande, utilitariste et productiviste de la recherche scientifique et de la formation qui triomphe.

Comme des marques, les universités vont être appelées à se vendre et par là même assimiler connaissances et marchandises. Elles vont être soumises à la nécessité de privilégier la recherche appliquée, rapidement transférable sur le marché, plutôt que la recherche fondamentale, et de préférer les formations à forte intégration professionnelle. Enfin, sous la houlette des forces du marché, elles vont rompre les amarres avec les valeurs humanistes et républicaines qui nous engagent aujourd’hui comme hier à envisager l’avenir de l’humanité et de la planète sous un autre angle que celui de la rentabilité économique et financière.

Comme Marx a remis « la dialectique hégélienne sur ses pieds », le Front de gauche devra remettre à plat la politique universitaire, en la libérant tout d’abord de la cupidité du marché et en lui redonnant des moyens financiers publics, car les savoirs nouveaux sont des biens communs. Une véritable alternative universitaire s’imposera, qui passera par l’abandon de la démarche concurrentielle du grand emprunt, tout en confirmant les financements au travers d’une loi de programmation, et par la réélaboration démocratique d’une politique universitaire et de la recherche confiante vis-à-vis des enseignants et des chercheurs.

Patrice Perdereau


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