Mondialisation Démondialisation 20 Ne jetons pas le bébé de la mondialisation 
avec l’eau du bain de la financiarisation (JP Dubois, président d’honneur de la LDH)

samedi 6 août 2011.
 

« Mondialisation », selon le Larousse en ligne, signifie  : « Fait de devenir mondial, de se mondialiser. En économie, élargissement du champ d’activité des agents économiques (entreprises, banques, Bourses) du cadre national à la dimension mondiale. » Cette mondialisation a commencé il y a des siècles  : depuis plus de cinq cents ans, l’Europe a exploré le monde et l’a mis en coupe réglée. Dans le « commerce triangulaire » entre Europe, Afrique et Amériques reposant sur la traite négrière, négociants, investisseurs et colons agissent dans ce que Braudel appelait une « économie-monde ». Mais aujourd’hui, après l’« élargissement du champ d’activité des agents économiques », l’instantanéité des communications a fait apparaître des marchés mondiaux intégrés (d’où la « globalisation »), sur lesquels interviennent des opérateurs (firmes « transnationales », prédateurs cherchant constamment le plus haut rendement financier) sans attache réelle avec leur nation d’origine et échappant à toute régulation nationale. Dès lors, le destin des peuples leur échappe  : le politique est impuissant face à la broyeuse de solidarités, de services publics et de politiques sociales qui fonctionne au nom de l’ordre ultra-libéral mondial. Les pays du « Sud » ont été soumis aux « plans d’ajustement structurel » du FMI, qui tiraient les conséquences, parfois en les adoucissant ou en les étageant quelque peu, des exigences des « marchés » financiers, c’est-à-dire des prédateurs qui y font la loi.

Depuis la mondialisation de la crise financière en 2008, c’est le tour des peuples européens, qui réagissent comme ils le peuvent. Les Islandais ont réussi une exemplaire mobilisation politique refusant de rembourser les spéculateurs et refondant leur ordre constitutionnel. Les Irlandais, les Portugais ont eux aussi chassé leurs gouvernants, mais au Portugal les successeurs feront pire encore si l’on en croit leur programme. En Grèce, en Espagne, des « indignés » parfois nombreux et déterminés refusent de payer la note des folies du casino mondial. Mais nulle part n’émerge clairement, au-delà d’une légitime colère, une alternative aux politiques de Gribouille déflationnistes qui, comme les médecins de Molière, saignent toujours plus le malade pour lui faire reprendre des forces. Pour en sortir, il faut éviter de jeter le bébé de la mondialisation avec l’eau du bain de la financiarisation dérégulée du capitalisme.

La mondialisation (au sens du Larousse) a provoqué de spectaculaires avancées, en Asie, au Brésil puis, de plus en plus, aussi en Afrique, au Moyen-Orient et dans le reste de l’Amérique latine. La redistribution des localisations d’activités a entraîné l’« émergence » de pays dont une grande partie de la population est sortie ou en train de sortir de la misère. Sur cela, il n’est ni possible ni souhaitable de revenir  : la « mondialisation » au sens courant du terme, c’est-à-dire la « globalisation » récente, n’est que l’état du monde après la décolonisation qui a mis fin à la domination planétaire de l’Europe. Personne ne recolonisera, donc personne ne reconstituera le matelas sur lequel s’étaient conclus les compromis sociaux du siècle dernier en Europe. En revanche, la « révolution conservatrice » « thatchéro-reaganienne », profitant du passage des acteurs capitalistes majeurs à l’échelle mondiale pour les libérer de toute régulation politique (démocratique), n’est ni aceptable ni inévitable, et sur elle on peut revenir. Mais pas en « démondialisant », pas en revenant à des économies nationales contrôlées par les États  : ce rêve est aussi étymologiquement réactionnaire que celui des petits commerçants qui voudraient revenir à avant les « grandes surfaces ». L’issue est au contraire la construction d’un nouveau compromis social, à l’échelle mondiale où se jouent désormais la production, l’investissement, le caractère durable ou non du développement… et aussi l’effectivité des droits (qu’il s’agisse de social, d’écologique, de bioéthique ou de vie privée et des libertés personnelles). Cela suppose un mouvement international d’action solidaire des salariés, et des institutions mondiales responsables devant les citoyens et dotées de pouvoirs de régulation des conditions des échanges.

La mondialisation de droits universels, indivisibles et effectifs, passe donc par la démocratisation de la mondialisation, remplaçant le règne des prédateurs financiers par le contrôle démocratique des mouvements de capitaux et leur affectation dans l’intérêt général de l’humanité. Mettre fin au dumping social et environnemental, sortir de la position du benêt « intégriste » du libre-échangisme, n’en est pas moins nécessaire. Mais ce n’est pas pour autant refuser la dynamique d’élargissement des échanges qui constitue la chance de 80% des habitants de la planète de sortir de la misère. Le mot de « démondialisation », bien mal choisi, vise le principe même de l’internationalisation des échanges, suggérant une fantasmatique marche arrière de l’histoire, là où il faut inventer de nouveaux chemins de progrès pour l’ensemble de l’humanité. « Démondialiser » n’a pas de sens. Refonder la mondialisation, sur la base de l’égalité et des solidarités du local à l’international, en a un, qui est assez « révolutionnaire ». Ce n’est pas facile, et le succès n’est pas garanti. Mais c’est la seule alternative au repli sur soi, à la violence, au triomphe des rapports de puissance et des égoïsmes nationaux. Choisissons l’avenir, pas le rétroviseur.

Par Jean-pierre dubois, Président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme (LDH), Professeur de droit.


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