HUIT PROPOSITIONS URGENTES POUR UNE AUTRE EUROPE (par Éric TOUSSAINT)

vendredi 19 août 2011.
Source : www.cadtm.org
 

La crise secoue l’Union européenne jusque dans ses fondations. Pour plusieurs pays, le nœud coulant de la dette publique s’est refermé sur eux et ils sont pris à la gorge par les marchés financiers. Avec la complicité active des gouvernements en place, de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du FMI, les institu-tions financières à l’origine de la crise s’enrichissent et spéculent sur les dettes des États. Le patronat profite de la situation pour lancer une offensive brutale contre une série de droits économiques et sociaux de la majorité de la population.

il faut construire un front anticrise, tant à l’échelle européenne que localement, afin de réunir les énergies pour créer un rapport de force favorable à la mise en pratique de solutions radicales centrées sur la justice sociale et climatique. Dès août 2010, le CADTM a formulé huit propositions concernant la crise actuelle en Europe. L’élément central est la nécessité de procéder à l’annulation de la partie illégitime de la dette publique. Pour y parvenir, le CADTM recommande la réalisation d’un audit de la dette publique effectué sous contrôle citoyen.

La réduction radicale de la dette publique est une condition nécessaire mais pas suffisante pour sortir les pays de l’Union européenne de la crise. Il faut la compléter par toute une série de mesures de grande ampleur dans diffé-rents domaines.

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1. Réaliser un audit de la dette publique afin d’annuler la partie illégitime

Une partie importante de la dette publique des États de l’Union européenne est illégitime car elle résulte d’une politique délibérée de gouvernements qui ont décidé de privilégier systématiquement une classe sociale, la classe capitaliste, et d’autres couches favorisées, au détriment du reste de la société.(...) dans des pays comme la Grèce, la Hongrie, la Lettonie, la Roumanie ou l’Irlande, les prêts accordés par le FMI ont été assortis de conditions qui constituent une violation des droits économiques et sociaux des populations. Fait aggravant, ces conditions favorisent une fois de plus les banquiers et les autres institutions financières.

La tendance du pouvoir exécutif à transformer l’organe législatif en une chambre d’enregistrement se renforce. Dans ce contexte extrêmement inquiétant, sachant qu’une série d’États sera tôt ou tard confrontée à un risque concret de défaut de paiement par manque de liquidités et que le remboursement d’une dette illégitime est par principe inacceptable, il convient de se prononcer clairement pour une annulation des dettes illégitimes. Annulation dont le coût doit être supporté par les coupables de la crise, à savoir les institutions financières privées.

Il est important de dresser un cadastre des détenteurs de titres afin d’indemniser parmi eux les citoyens et ci-toyennes à faibles et moyens revenus.

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2. Stopper les plans d’austérité, ils sont injustes et approfondissent la crise.

En accord avec les exigences du FMI, les gouvernements des pays européens ont fait le choix d’imposer à leurs peuples des politiques de stricte austérité, avec des coupes claires dans les dépenses publiques : licenciements dans la fonction publique, gel voire baisse des salaires des fonctionnaires, réduction de l’accès à certains services publics vitaux et de la protection sociale, recul de l’âge de l’accès à la retraite.

Les effets de la crise sont ainsi décuplés par des prétendus remèdes, qui visent surtout à protéger les intérêts des détenteurs de capitaux. En somme, les banquiers boivent, les peuples trinquent !

parmi les populations les plus touchées, les femmes occupent le premier rang, car l’organisation actuelle de l’économie et de la société patriarcale fait peser sur elles les effets désastreux de la précarité, du travail partiel et sous-payé. Directement concernées par les dégradations des services publics sociaux, elles paient le prix fort. La lutte pour imposer une autre logique est indissociable de la lutte pour le respect absolu des droits des femmes.

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3. Instaurer une véritable justice fiscale européenne et une juste redistribution de la richesse. Interdire les transactions avec les paradis judiciaires et fiscaux. Lutter contre la fraude fiscale massive des grandes entreprises et des plus riches.

Depuis 1980, les impôts directs n’ont cessé de baisser sur les revenus les plus élevés et sur les grandes entre-prises. Ainsi, dans l’Union européenne, de 2000 à 2008, les taux supérieurs de l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés ont baissé respectivement de 7 et 8,5 points. Ces centaines de milliards d’euros de cadeaux fiscaux ont pour l’essentiel été orientés vers la spéculation et l’accumulation de richesses de la part des plus riches.

Il faut combiner une réforme en profondeur de la fiscalité dans un but de justice sociale (réduire à la fois les reve-nus et le patrimoine des plus riches pour augmenter ceux de la majorité de la population) avec son harmonisation sur le plan européen afin d’empêcher le dumping fiscal[4]. Le but est une augmentation des recettes publiques, notamment via l’impôt progressif sur le revenu des personnes physiques les plus riches (le taux marginal sur la tranche la plus élevée de revenu doit être portée à 90 %[5]), l’impôt sur le patrimoine à partir d’un certain montant et l’impôt sur les sociétés. Cette augmentation des recettes doit aller de pair avec une baisse rapide du prix d’accès aux biens et services de première nécessité (aliments de base, eau, électricité, chauffage, transports pu-blics, matériel scolaire…), notamment par une réduction forte et ciblée de la TVA sur ces biens et services vitaux. Il s’agit également d’adopter une politique fiscale qui favorise la protection de l’environnement en taxant de ma-nière dissuasive les industries polluantes.

L’UE doit adopter une taxe sur les transactions financières, notamment sur les marchés des changes, afin d’augmenter les recettes des pouvoirs publics.

Les différents G20 ont refusé, malgré leurs déclarations d’intention, de s’attaquer réellement aux paradis judiciaires et fiscaux. Une mesure simple afin de lutter contre les paradis fiscaux (qui font perdre chaque année aux pays du Nord, mais également à ceux du Sud, des ressources vitales pour le développement des populations) consiste pour un Parlement à interdire à toutes les personnes physiques et à toutes les entreprises présentes sur son terri-toire de réaliser quelque transaction que ce soit passant par des paradis fiscaux, sous peine d’une amende d’un montant équivalent. Au-delà, il faut éradiquer ces gouffres noirs de la finance, des trafics criminels, de la corrup-tion, de la délinquance en col et cravate.

La fraude fiscale prive de moyens considérables la collectivité et joue contre l’emploi. Des moyens publics consé-quents doivent être alloués aux services des finances pour lutter efficacement contre cette fraude. Les résultats doivent être rendus publics et les coupables lourdement sanctionnés.

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4. Remettre au pas les marchés financiers, notamment par la création d’un registre des propriétaires de titres, par l’interdiction des ventes à découvert et de la spéculation dans une série de domaines. Créer une agence publique européenne de notation.

La forte soumission des agences de notation aux milieux financiers nord-américains fait de ces agences de nota-tion un acteur majeur au niveau international, dont la responsabilité dans le déclenchement et l’évolution des crises n’est pas assez mis en lumière par les médias.

La création d’une agence publique de notation est incontournable pour sortir de cette impasse.

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5. Transférer sous contrôle citoyen les banques au secteur public.

Après des décennies de dérives financières et de privatisations, il est grand temps de faire passer le secteur du crédit dans le domaine public. Les États doivent retrouver leur capacité de contrôle et d’orientation de l’activité économique et financière. Ils doivent également disposer d’instruments pour réaliser des investissements et finan-cer les dépenses publiques en réduisant au minimum le recours à l’emprunt auprès d’institutions privées ou/et étrangères. Il faut exproprier sans indemnisation les banques pour les transférer au secteur public sous contrôle citoyen.

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6. Socialiser les nombreuses entreprises et services privatisés depuis 1980.

Une caractéristique de ces trente dernières années a été la privatisation de nombre d’entreprises et services pu-blics. Des banques au secteur industriel en passant par la poste, les télécommunications, l’énergie et les trans-ports, les gouvernements ont livré au privé des pans entiers de l’économie, perdant au passage toute capacité de régulation de l’économie. Ces biens publics, issus du travail collectif, doivent revenir dans le domaine public.

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7. Réduire radicalement le temps de travail pour créer des emplois tout en augmentant les salaires et les retraites.

Répartir autrement les richesses est la meilleure réponse à la crise. En augmentant les salaires, non seulement on permet aux populations de vivre dignement, mais on renforce aussi les moyens qui servent au financement de la protection sociale et des régimes de retraite.

La réduction radicale du temps de travail offre aussi la possibilité de mettre en pratique un autre rythme de vie, une manière différente de vivre en société en s’éloignant du consumérisme.

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8. Refonder démocratiquement une autre Union européenne basée sur la solidarité.

Il faut remplacer les actuels traités par de nouveaux dans le cadre d’un véritable processus constituant démocra-tique afin d’aboutir à un pacte de solidarité des peuples pour l’emploi et l’écologie.

Il faut revoir complètement la politique monétaire ainsi que le statut et la pratique de la Banque centrale euro-péenne. L’incapacité du pouvoir politique à imposer à la BCE de créer de la monnaie est un handicap très lourd. (...) la BCE doit pouvoir financer directement des États soucieux d’atteindre des objectifs sociaux et environnementaux qui intègrent parfaitement les besoins fondamentaux des populations.

Une Europe basée sur la solidarité et la coopération doit permettre de tourner le dos à la concurrence et à la com-pétition, qui tirent « vers le bas ». Une autre Europe, basée sur la coopération entre États et la solidarité entre les peuples, doit devenir l’objectif prioritaire. Des politiques globales à l’échelle européenne, comprenant des investis-sements publics massifs pour la création d’emplois publics dans des domaines essentiels (des services de proximité aux énergies renouvelables, de la lutte contre le changement climatique aux secteurs sociaux de base), doivent s’imposer.

Cette autre Europe démocratisée doit, pour le CADTM, œuvrer pour imposer des principes non négociables : ren-forcement de la justice fiscale et sociale, choix tournés vers l’élévation du niveau et de la qualité de vie de ses habitants, désarmement et réduction radicale des dépenses militaires (y compris retrait des troupes européennes d’Afghanistan et départ de l’OTAN), choix énergétiques durables sans recours au nucléaire, refus des organismes génétiquement modifiés (OGM). Elle doit aussi résolument mettre fin à sa politique de forteresse assiégée envers les candidats à l’immigration, pour devenir un partenaire équitable et véritablement solidaire à l’égard des peuples du Sud de la planète.

Éric Toussaint


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