Kazakhstan L’ex-secrétaire général du PC, a jeté par-dessus bord l’héritage marxiste,

mercredi 27 juillet 2011.
 

Curieux pays que le Kazakhstan, pays de steppes, de la fameuse « Horde d’or », ces guerriers kazakhs, pays enfanté par la révolution d’octobre 1917 avant que Joseph Staline, alors commissaire aux nationalités, ne crée cette république de toutes pièces aux côtés de quatre autres républiques asiatiques, devant faire partie de l’URSS. Depuis le 30 juin, ce pays préside l’Organisation de la coopération islamique (OCI) qui se veut une « ONU du monde islamique » selon la déclaration adoptée le 30 juin par les ministres des Affaires étrangères de ses 57 États membres, à Astana, la capitale kazakhe, et ce, après avoir présidé en 2010 l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe).

Cette 38e session de l’OCI, qui s’est tenue du 27 au 30 juin, s’est déroulée dans un contexte marqué par l’émergence des « révolutions arabes », donnant lieu à une sourde lutte d’influence en coulisses entre les trois pays se disputant le leadership islamique  : la Turquie qui assure le secrétariat général de l’OCI, l’Iran qui, à l’occasion, était représentée par la plus forte délégation et l’Arabie saoudite, quelque peu en difficulté depuis l’avènement du « printemps arabe ». La Libye et la Syrie étaient naturellement au centre de débats à huis clos ainsi que le Bahreïn, sur propositions turque et iranienne, malgré l’opposition des Saoudiens et de leurs alliés. Au final, pas de crise, mais plutôt un consensus mou appelant « les parties concernées par les événements importants au Moyen-Orient et en Afrique du Nord à s’engager dans un dialogue constructif ».

Seul fait à relever, ce passage du discours du président kazakh, Nursultan Nazerbayev, qui, après avoir souligné que le Kazakhstan était un État laïc, où cohabitent pacifiquement selon lui les musulmans majoritaires d’ethnie kazakhe, les Russes et les Ukrainiens de confession chrétienne, a interpellé ouvertement les États de l’OCI sur le fait qu’en dépit de leur énorme potentiel en richesses naturelles et humaines, aucun d’eux ne disposait d’universités classées « parmi les 100 meilleures mondiales », que « l’argent ou les richesses naturelles » ne peuvent masquer la modestie de leur niveau de développement. Aussi a-t-il appelé à une « modernisation de l’islam », passant sous silence à l’instar de ses invités la question de la démocratie et des libertés  ! En effet, si l’écho des révolutions arabes a résonné au sein de l’OCI, la démocratie, la liberté d’expression et de la presse, ont été les grandes absentes de cette rencontre. Pouvait-il en être autrement quand on sait que l’écrasante majorité des pays de l’OCI est dirigée par des pouvoirs autoritaires, voire dictatoriaux. D’ailleurs, ils n’ont prêté qu’une attention distraite à l’intervention du représentant tunisien.

Pays multiethnique et confessionnel – 40% de la population est d’origine russe et ukrainienne –, le Kazakhstan a cette particularité d’avoir une partie de son territoire située en Europe orientale et le reste en Asie centrale. Et ses dirigeants jouent de cette diversité ethnico-confessionnelle cohabitant sans heurts (à en croire le discours officiel) pour redorer l’image d’un pays où pourtant les droits de l’homme sont malmenés. En annulant le concert qu’il devait donner le 4 juillet à Astana, le chanteur britannique Sting a gâché les festivités célébrant la création de la capitale kazakh. Il entendait protester contre la répression des milliers de salariés du gaz et du pétrole de la région de Mangistau sur les bords de la mer Caspienne qui réclament de meilleurs salaires et la libération de leurs camarades emprisonnés. Le moins qu’on puisse dire est que la question de l’institution d’un État de droit n’est pas à l’ordre du jour au pays du président Nursultan Nazerbayev.

L’ex-secrétaire général du Parti communiste kazakh, qui a jeté par-dessus bord l’héritage marxiste, au pouvoir depuis 1991, réélu en avril dernier avec plus de 95% de voix, s’est fait accorder en 2010 par un Parlement aux ordres, le titre d’« Elbassy » (chef de la nation), un statut lui conférant d’importantes prérogatives dont celle de décider, sans consulter, des grandes orientations du pays. De ce fait, en dépit de vagues promesses de libéralisation faites sous la pression internationale, Nursultan Nazerbayev n’est pas prêt à démocratiser son régime. Le pays qu’il dirige autoritairement, s’apprêtant à fêter le 16 décembre prochain le vingtième anniversaire de son indépendance, se pose comme puissance régionale et leader du monde eurasien. Situé entre la Russie avec laquelle il est lié par de multiples accords de coopération militaire et économique et la Chine avec qui il partage une frontière de 1 500 km et d’importants accords de coopération, le Kazakhstan, doté de richesses naturelles considérables – pétrole, gaz, uranium (premier producteur mondial) – et d’une importante base industrielle héritée de l’ère soviétique, aspire à jouer dans la cour des grands. Entre 2001 et 2011, le PIB est passé de 1 000 dollars à plus de 10 000 dollars par habitant. Le Kazakhstan se fixe pour objectif de figurer dans le top 50 des économies de la planète. Il veut être le Abu Dhabi de l’Asie centrale. Astana est devenu un immense chantier d’où émergent de nouveaux quartiers, immeubles, gratte-ciel, salles de concerts sophistiquées, conçus par de grands architectes comme le britannique Norman Foster. Reste que cette modernisation ne peut masquer la réalité d’un pays gouverné par un homme dont le culte de la personnalité n’est pas une garantie de bonne gouvernance.

Hassane Zerrouky, L’Humanité


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