USA : Un accord à haut risque sur la dette

dimanche 7 août 2011.
 

À l’heure où la croissance américaine s’essouffle, où le chômage se maintient au-dessus de 9%, le plan d’austérité négocié va accroître le risque de récession. La Maison-Blanche et Wall Street vont présenter la facture au reste du monde.

Après l’annonce par le président Obama, dimanche soir, d’un accord sur le relèvement du plafond de la dette fédérale, des questions se posent sur le sens politique de cet accord et sur son impact. Manifestement, les républicains ont fortement imprimé leur marque même si les démocrates ont essayé de se ménager des possibilités d’infléchir à la marge le compromis dans les mois qui viennent, en fonction de l’évolution des rapports de forces. Cet « accord va permettre d’éviter à court terme, et probablement tout au long de 2012, un défaut de paiement aux conséquences catastrophiques », constatait hier le New York Times, ajoutant cependant  : « Le reste de l’accord est une capitulation quasi totale face aux demandes et aux prises en otage de républicains extrémistes  ; il va porter atteinte aux programmes bénéfiques à la classe moyenne et aux pauvres et freiner la relance économique. »

Les démocrates ont négocié à reculons

L’accord envisage de réduire la dépense publique d’environ 2 500 milliards de dollars en dix ans. Une baisse des dépenses de 917 milliards de dollars est d’ores et déjà programmée mais il est prévu qu’une commission rassemblant des élus démocrates et républicains cible avant le 23 novembre prochain 1 500 milliards d’économies supplémentaires. « À ce stade, a déclaré Barack Obama, tout sera sur la table » en ce sens que cet argent pourra provenir soit d’une réforme du système d’imposition, soit de coupes claires dans des programmes sociaux fédéraux. Manifestement, les démocrates ont négocié à reculons même s’ils semblent avoir obtenu que le « gros » des réductions de dépense n’intervienne qu’à partir de 2013. Mais pourquoi l’État fédéral a-t-il besoin d’obtenir du Congrès l’autorisation d’augmenter le plafond de la dette publique de 14 300 à 16 400 milliards de dollars  ? On ne peut pas le comprendre si l’on oublie la crise de 2007-2008 qui a particulièrement secoué le pays, portant le taux de chômage à un niveau historique, au-dessus de 9%.

Depuis le début de cette crise, les recettes fiscales fédérales ne permettent de financer qu’environ 60 % des dépenses, le reste étant emprunté sur les marchés financiers par le biais de titres de dettes rachetés pour partie par des acteurs extérieurs (la banque centrale chinoise notamment ou celle du Japon) ou, nouveauté, par la banque centrale des États-Unis. Cependant, depuis la mi-2010 et surtout depuis le début de cette année, la reprise américaine s’essouffle sensiblement. Ainsi, au deuxième trimestre 2011, les États-Unis ont enregistré une croissance de 1,3 % en rythme annualisé, au lieu de la progression de 1,8 % attendue. Pire même, au premier trimestre, le chiffre de la croissance a été révisé et abaissé à 0,4 % en rythme annualisé, contre 1,9% annoncé précédemment.

Cette situation a un double effet  : elle tend à réduire les recettes publiques et, à l’inverse, à augmenter les dépenses, notamment sociales. Par ailleurs, l’engagement des États-Unis en Afghanistan et en Irak ampute lourdement les finances gouvernementales. Le budget de la défense s’élevait à 47,6 milliards de dollars en août 2010, soit seulement 9milliards de moins que le budget de la Sécurité sociale. L’accord conclu hier prévoit certes une légère diminution des dépenses militaires mais l’on est encore loin des nécessités. Ce geste apparaît plutôt comme un leurre destiné à tenter de faire passer les réductions bien plus importantes des dépenses civiles.

La hausse prévisible des taux d’intérêt

Quels effets cet accord peut-il avoir sur le reste du monde  ? Si les gouvernements français et allemand se sont réjouis de sa conclusion, les marchés semblent bien prudents. La possibilité ouverte d’un renforcement du recours à l’endettement signifie que les États-Unis vont encore davantage faire appel à l’épargne mondiale, confisquant ainsi un peu plus de ressources aux autres, ce qui risque d’avoir un effet à la hausse sur les taux d’intérêt. De plus, la croissance dont ils vont se priver avec les mesures envisagées, ils vont être tentés de la « voler » aux autres. C’est dire que cela risque de renforcer la guerre monétaire et commerciale dans une économie mondiale qui donne elle aussi des signes de faiblesse.

Enfin, cet accord sanctionne et, paradoxalement, va approfondir l’échec d’une tentative de sortie de crise dont les États-Unis ont donné l’exemple.

L’administration américaine, plus encore que tous les autres gouvernements, a mobilisé comme jamais les moyens publics pour enrayer l’effondrement de la finance et de Wall Street. Elle a même innové en incitant la banque centrale à utiliser sa capacité de création monétaire pour financer les dépenses fédérales. La Fed a ramené ses taux d’intérêt à quasiment zéro et ouvert les vannes de la liquidité aux institutions financières américaines qui ont utilisé ces ressources bon marché pour spéculer, notamment contre la zone euro. Grâce à ces facilités, les grands groupes ont reconstitué leur trésorerie, pu financer à bon compte leurs investissements dans les nouvelles technologies tout en réduisant massivement leurs effectifs. On est ainsi face à ce paradoxe  : le géant américain vacille alors que ses multinationales affichent des bénéfices éclatants. Une première leçon mérite au moins d’être tirée, c’est que si le monde a besoin d’une intervention publique inédite, celle-ci doit être engagée sur la base de critères sociaux visant au développement des hommes plutôt qu’à celui du capital.

Un compromis boiteux. L’accord annoncé prévoit un relèvement du plafond de la dette 
de 2 100 milliards de dollars en trois fois. Les dépenses publiques seraient réduites de 2 500 milliards de dollars sur dix ans, d’abord par une baisse de 917 milliards dont 350 économisés sur les dépenses militaires. Une commission bipartisane formée de douze élus des deux chambres déterminera 1 500 milliards supplémentaires d’ici à la fin de l’année et arbitrera entre 
une réforme fiscale ou une restructuration des programmes fédéraux comme Medicare (assurance santé). La commission devrait avoir achevé ses travaux d’ici au 23 novembre, 
ses conclusions étant votées par le Congrès dans un délai d’un mois. Le compromis demande au Congrès de voter 
un amendement inscrivant la règle de l’équilibre budgétaire dans la Constitution. Il est peu probable que cette règle d’or 
soit adoptée, car il faudrait une majorité qualifiée des deux tiers.

Pierre Ivorra


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