Shell, coupable de noyer le Nigeria sous le pétrole

mardi 16 août 2011.
 

Dans un rapport sans précédent, l’ONU reconnaît la responsabilité du pétrolier dans la marée noire qui sévit en pays Ogoni.

Rigoureuse, implacable et au final accablante  : une étude lancée voilà plus d’un an par le Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue) a été rendue publique jeudi, confirmant les ravages engendrés, au Nigeria, par cinquante ans d’exploitation pétrolière négligente et hors contrôle. Attendue depuis loin par les ONG de défense de l’environnement et des droits de l’homme, elle est la première à pointer officiellement la responsabilité des industriels dans ce qui se confirme être une catastrophe majeure. Géant anglo-néerlandais largement implanté en pays Ogoni jusqu’en 1993, Shell s’affiche au premier rang des pétroliers mis en accusation. Longtemps, la compagnie a tenté de se dédouaner de toute culpabilité. L’ampleur et la solidité de l’évaluation qui vient de se conclure lui laissent aujourd’hui peu de marge pour se défiler.

L’enquête est sans précédent. Quatorze mois de prospection, menée en pays Ogoni, principale zone d’exploitation du pays. L’équipe du Pnue a ainsi exploré plus de 200 sites, étudié 122 kilomètres d’oléoducs, épluché 5 000 dossiers médicaux et s’est entretenue avec plus de 20 000 personnes lors de réunions publiques. Au total, plus de 4 000 échantillons provenant de sols et de nappes phréatiques ont été analysés, conduisant à un bilan impitoyable  : les dégâts causés par les fuites quasi continues des oléoducs et autres puits sont tels qu’il faudra près de trente ans à la région pour se réparer entièrement. Le rapport préconise, pour y parvenir, la création d’un fonds pour la restauration environnementale du pays Ogoni, doté d’un capital initial de 1 milliard de dollars provenant de l’industrie pétrolière.

«  L’impact du pétrole sur la végétation a été désastreux  », souligne l’étude du Pnue. La pollution a laissé les mangroves dépourvus de feuilles et de tiges. Les racines des arbres et des plantes, qui servent de zone d’alevinage, ont été recouvertes d’une couche bitumée, dont l’épaisseur dépasse parfois le centimètre. «  Lorsque les fuites ont lieu sur terre, poursuit le texte, les incendies se déclenchent souvent  », créant une croûte défavorable au retour de la végétation, présente depuis plusieurs décennies sur certains sites.

Des couches d’huiles flottent sur les eaux de surface, de même que dans certaines nappes phréatiques. Les scientifiques en ont trouvé qui atteignaient 8 centimètres d’épaisseur. Alarmant en termes de santé publique – «  sérieusement menacée dans au moins dix communautés Ogoni dans lesquelles l’eau potable a été contaminée par un important niveau d’hydrocarbure  » –, le rapport l’est, enfin, en termes économiques. Selon les scientifiques, le secteur de la pêche souffre de la destruction des habitats de poisson et de nombreuses fermes piscicoles ont été ruinées.

La chose, pour les populations locales et les ONG, n’est pas une révélation. En 2009, Amnesty International lançait une campagne dénonçant les faits, tandis que la fédération internationale des Amis de la Terre, dont le président est lui-même nigérian (lire ci-après), témoigne depuis des années de la négligence meurtrière de compagnies pétrolières qui laissent pourrir les oléoducs et les puits.

Poids lourd parmi les poids lourds du pays, Shell, jusqu’ici, démentait, préférant mettre en cause les sabotages et attentats perpétrés par des groupes rebelles locaux, lesquels l’avaient poussée à fuir la région en 1993. En août dernier, alors que l’étude de la Pnue était encore en cours, des rumeurs circulaient dans la presse nigériane affirmant que l’enquête validerait cette théorie. L’ONU, aussitôt, démentait, de même que son rapport final qui n’est pas tendre avec le pétrolier. Précisant que l’analyse porte en grande part sur une pollution historique datant d’avant 1993, il relève que «  le contrôle et la maintenance de l’infrastructure pétrolière en pays Ogoni ont été et demeurent inadéquats, écrivent les rapporteurs. Les propres procédures de la Shell Petroleum Development Company (SPDC) n’ont pas été appliquées.  »

De fait, Shell aura du mal à se débiner sur ce coup-là. La veille de la publication, la compagnie reconnaissait sa responsabilité dans deux vastes marées noires survenues dans le delta du Niger en 2008 et 2009, et s’engageait à verser des compensations. Peut-être le début de quelque chose. Ou la poursuite de rien, quand les pétroliers ont appris à se constituer des fonds à cet effet, lesquels les autorisent à poursuivre leur activité sans se faire trop de soucis.

Marie-Noëlle Bertrand, L’Humanité

1) Shell « Cette pollution est un crime contre l’humanité »

Nnimmo Bassey, Président de la fédération internationale 
des Amis de la Terre.

Voilà des années que vous dénoncez les inconséquences de Shell au Nigeria. Le rapport de l’ONU rend-il justice à ce que vivent les populations du delta du Niger  ?

Nnimmo Bassey. Ce rapport révèle la vraie mesure de la dévastation environnementale causée par cinquante ans d’opérations pétrolières en pays Ogoni. Il confirme nos plaintes et valide les campagnes que nous avons menées. Il sera, en ce sens, un outil pour rendre la justice. Mais elle n’est pas encore gagnée, nous devrons aller la chercher.

Le fonds de restauration d’un milliard de dollars vous paraît-il suffisant  ?

Nnimmo Bassey. C’est une première étape, mais il faudra aller plus loin. Cette somme, à elle seule, ne suffira pas 
à apaiser des populations auxquelles on a retiré le droit de se développer dans un environnement sain 
et qui vivent depuis toutes ces années dans un cauchemar écologique. Les faits confirmés par le rapport sont vraiment dramatiques  : dix-huit ans après l’arrêt 
de la production de pétrole dans la région, l’Ogoni continue d’en souffrir. Je vis moi-même à proximité 
de cette région. Les mangroves, les rivières, le sol, l’air, 
le gagne-pain des gens... Tout y est détruit. Nous pensons qu’à terme, 100 milliards de dollars seront nécessaires. Cette pollution est un crime contre l’humanité. Shell 
et le gouvernement nigérian doivent être contraints de réparer tout cela.

Dans quelle mesure l’État nigérian est-il responsable  ?

Nnimmo Bassey. Shell et la Société nationale nigériane de pétrole ont opéré conjointement. Certes, Shell était l’opérateur. Mais l’État nigérian est profondément impliqué et partage la responsabilité. Nous voulons, aujourd’hui, qu’il fasse le nécessaire pour pousser Shell à évacuer ses installations pourries d’Ogoniland.

Entretien réalisé 
par Marie-Noelle Bertrand


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