Un colonel chilien poursuivi pour l’exécution de Victor Jara

dimanche 6 août 2017.
 

D) Un colonel chilien, impliqué dans l’assassinat de Victor Jara et réfugié aux USA, poursuivi par la justice

La justice américaine poursuit enfin l’un des assassins de Victor Jara, l’emblématique chanteur chilien, auteur du coup qui lui sera fatal en 1973.

Le chant du Rossignol ne s’est jamais tu. Du fond des vestiaires du Stade national de Santiago du Chili, Victor Jara rédige pourtant son ultime chanson. Les vers inachevés ne sont que douleur  : «  Nous sommes cinq mille ici (...) Qui souffrent la faim, le froid, la panique, la douleur / La pression morale, la terreur et la folie (...) Chant, tu résonnes si mal quand je dois chanter l’épouvante  », parvient-il à rédiger sur un maigre bout de papier. Depuis le 11 septembre 1973, les rapaces du général Pinochet enserrent de leurs griffes la nation andine. Le président Salvador Allende, artisan des mille jours de l’unité populaire, s’est donné la mort. Les démocrates, les progressistes, ceux-là même que les militaires qualifient de «  subversifs  », sont traqués jusque dans les moindres recoins du pays. Il ne doit rien subsister de l’espoir de la gauche, né trois ans plus tôt chez les femmes et les hommes des villes, des mines et des campagnes dont Victor Jara a narré, avec dignité, la grandeur.

L’égérie de la chanson populaire et engagée a été arrêté au lendemain du putsch alors qu’il participait à une assemblée générale au sein de l’université technique de l’État. Le communiste, compagnon de route du prix Nobel de littérature Pablo Neruda, est alors parqué dans l’emblématique enceinte sportive transformée en camp de concentration à ciel ouvert. Les gradés le reconnaissent. Ils vont faire de lui un bouc-émissaire, le symbole à abattre. Il est roué de coups. On lui écrase les mains, lui dont les doigts caressaient comme un amant heureux les cordes de sa fidèle guitare. On l’isole. Pour l’exemple.

Une quarantaine d’impacts 
sur le corps frêle de Victor Jara

Combien de balles faut-il pour achever un homme  ? Une seule, paraît l’évidence. On retrouvera une quarantaine d’impacts sur le corps frêle de Victor Jara. Le coup de grâce, le 15 septembre, fut un tir dans sa nuque alors qu’il se trouvait à terre. Quarante ans plus tard, toute la lumière n’a pas été encore faite sur cet épisode tragique. Certes, les premiers procès de certains de ses bourreaux ont commencé à lever le voile. Mais dans ce Chili garrotté par le déni, où les jeunes générations réclament la dérogation de la Constitution héritée de Pinochet, personne ne se glorifie de la paternité de l’assassinat du troubadour chilien devenu une icône mondiale. On attend néanmoins que parle enfin celui qui l’a abattu comme on achève un chien.

Un juge américain a donné suite aux interpellations des cours chiliennes, en poursuivant Pedro Barrientos, ex-colonel de l’armée chilienne, réfugié en 1989 aux États-Unis. Pays aux mains ensanglantées par les basses œuvres de la CIA qui a soigné de ses conseils les ignominies des généraux félons et de leurs sbires. En 1973, le Pedro Barrientos en question prêtait service au sein du régiment Tejas Verdes placé sous le commandement de Manuel Contreras, emblématique chef par la suite de la Dina, la sinistre police politique chargée d’exterminer les opposants à la dictature. Il est désormais poursuivi pour torture et assassinat sur plainte de la veuve du chanteur, la danseuse Joan, et de sa fille Amanda. L’homme nie tout devant la caméra du programme En la Mira de Chilevision. La justice chilienne, fébrile et timide, a pourtant émis un ordre d’arrêt international depuis trois ans.

Barrientos déclare n’avoir jamais mis les pieds, à l’époque des faits, dans le stade national désormais baptisé Victor-Jara. Pis, ose-t-il, il «  ne connaît pas Victor Jara  ». Le barde, nommé ambassadeur culturel en 1971 par l’exécutif d’Allende du temps des réformes de justice sociale et de progrès, a pourtant déjà une réputation planétaire. L’auteur est un incontournable défenseur de l’ouvrier avec son Te recuerdo Amanda, pourfendeur de la bourgeoisie vivant dans Las casitas del barrio alto ou des poltrons incapables de choisir leur camp avec Ni chicha ni limona. Ses odes aux luttes estudiantines chiliennes et latino-américaines ou encore paysannes avec Movil oil special et Plegaria a un labrador sont des hymnes encore ancrés dans les mémoires du continent.

Personne ne peut ignorer qui est Victor Jara tant il a incarné le Chili qui a lutté et qui a vibré. Pedro Barrientos devra parler. Il devra parler de «  Cette morgue pleine de cadavres en pièces. Victor Jara est un de ces cadavres en pièces. Mon Dieu  ! C’est comme tuer un Rossignol  », avait dénoncé durant ces jours sombres Pablo Neruda. Dans ce Chili, 
encore pétri d’impunité, où les près de 40 000 torturés et 4 000 morts ainsi que disparus attendent toujours justice et réparation, la vérité doit résonner. Comme la conscience de Victor Jara dont les chants et la mélodie parlent encore.

Cathy Ceïbe, L’Humanité

D) La justice chilienne enquête sur la mort de Victor Jara

Le juge chilien Juan Eduardo Fuentes a indiqué qu’il allait examiner 40 nouveaux éléments de preuve fournis par la famille du chanteur.

Victor Jara a été tué en 1973 à Santiago du Chili au Stade National, lors des premiers jours du coup d’état de l’ancien dictateur Augusto Pinochet.

La veuve du chanteur, Joan Jara, déclare que ce meurtre ést devenu un symbole international de la lutte contre les abus commis contre les droits de l’homme.

Pour elle, la réouverture de l’affaire « ouvre la voie à la poursuite de l’enquête et à la recherche de la vérité ».

Victor Jara faisait partie des milliers de personnes qui ont été arrêtées et conduites au stade de Santiago lorsque le Général Pinochet a pris le pouvoir, durant le coup d’Etat militaire du 11 Septembre 1973 qui a renversé le président élu, Salvador Allende.

Une fois sur place, des soldats lui ont brisé les mains avant de les brûler, afin qu’il ne puisse plus jouer de guitare, ont rapporté les témoins. Il a ensuite été exécuté par balle.

Agé de 38 ans, Victor Jara était un des pères fondateurs de la Nouvelle Chanson au Chili et un partisan du président Salvador Allende.

Le magistrat Fuentes avait statué le mois dernier, jugeant que Mario Manriquez, un colonel à la retraite de l’armée chilienne, avait tué Victor Jara en 1973, mais il avait clôturé le dossier après cette mise en examen.

La famille de Victor Jara - qui considère que l’armée protège d’autres personnes qui pourraient porter une part de responsabilité - s’est félicitée de la décision du juge de rechercher davantage de preuves.

Le Colonel Manriquez, qui était l’officier en charge du stade où Victor Jara a été détenu, est en résidence surveillée et sera condamné à une date ultérieure.

Un rapport officiel publié après le retour de la démocratie au Chili en 1990, a montré que 3197 personnes sont mortes ou ont disparu sous le régime militaire.

C) « Nous avons attendu 31 ans avant de connaître la vérité » Joan Turner, épouse de Victor Jara

« Nous avons attendu 31 ans avant de connaître la vérité, vous vous rendez compte ? ». Joan Turner, la veuve de Victor Jara, sent que toute une histoire, presque toute une vie à frapper aux portes et supporter les silences lui tombe dessus comme une avalanche. Alors que plus personne ne s’y attendait, le juge Juan Carlos Urrutia a mis un nom et un prénom au visage anonyme qui a décidé la mort de son mari, l’un des symboles de la culture populaire chilienne.

Le lieutenant colonel Mario Manriquez Bravo fut le seigneur et maître du Stade national, qui après le putsch militaire du 11 septembre 1973, est devenu une énorme prison à ciel ouvert, avec des milliers de captifs. Sous ce ciel devenu un enfer, Jara a été assassiné de 34 balles sur l’ordre de Manriquez Bravo. « Une fenêtre s’est ouverte après très longtemps, il faut maintenant poursuivre l’investigation et voir ce qui va se passer ; la justice est si lente dans ce pays… », dit Joan Turner.

Vous parlez comme si vous étiez encore sous le choc de la mise en accusation de Manriquez Bravo.

— J’ai été prise par surprise. À tel point que j’ai appris la décision judiciaire par la radio. Même mon avocat a été déconcerté par la nouvelle. Je savais qu’Urrutia enquêtait. Il a sans doute préféré garder le silence pour éviter les interventions. Et il faut dire qu’il a travaillé avec acharnement au côté de personnes qui se trouvaient dans le stade. Et ainsi, finalement, il a réussi à trouver le responsable. Je ne peux pas dire que j’ai sauté de joie le jour où j’ai appris la nouvelle. Je ne le dirais pas comme ça. Mais cela a été une très bonne nouvelle. La prochaine étape sera d’identifier le militaire qui a torturé Victor.

Vous pensiez que ce jour arriverait avant d’entendre la nouvelle à la radio ?

— Nous sentions nos espoirs s’envoler peu à peu. Quand j’ai porté plainte la première fois, en 1978, on m’avait répondu, bien qu’on fût au courant de l’assassinat, qu’il était impossible d’enquêter car on ignorait qui était le responsable du Stade national. Les militaires refusaient clairement de collaborer. J’ai commencé alors personnellement à rechercher les témoins, à l’intérieur et hors du Chili.

C’était un peu comme un travail de détective ?

— Oui, un travail de fourmi. J’ai peu à peu retrouvé de nombreuses personnes qui ont été avec Victor jusqu’au dernier moment, et des habitants qui ont retrouvé son corps près du cimetière : ils m’ont tout raconté, mais ont refusé de témoigner devant un juge. Ils étaient paniqués : on en a appris davantage avec les années parce que les gens ont cessé peu à peu d’avoir peur. Nous avons su par exemple que dans le stade il y avait un certain Manriquez qui racontait que sa mitraillette était la « scie d’Hitler ». Plus tard, et cela a semé encore plus de confusion, nous avons appris qu’il y avait eu en réalité deux Manriquez. Le juge a éclairci l’énigme quand le propre Manriquez Bravo lui a avoué avoir lui-même prononcé cette harangue nazie.

Quand l’affaire a-t-elle commencé ?

— En 2000. C’est une des 200 plaintes que Pinochet a dû affronter à son retour de Londres. La plainte a d’abord été entre les mains du juge Juan Guzman et ensuite d’Urrutia.

Et comment se sont passées ces années, entre 2000 et fin 2004 ?

— Comme d’habitude au Chili : entre la désillusion et l’espoir. Beaucoup de choses se sont passées, surtout ces derniers mois : les procès de Pinochet et la perte de son immunité, le scandale de son compte bancaire, le rapport sur la torture.

Quelles sont les éléments nouveaux apportés par l’enquête judiciaire ?

— Ils ont tué Victor dans le stade même et son corps, avec celui d’autres victimes, a été d’abord laissé à l’entrée du stade pour que les prisonniers le voient. Il a été prouvé aussi qu’il est mort le 15 et non le 14.

Pendant toutes ces années, aucun militaire n’est allé vous voir pour vous raconter quelque chose ?

— Non, et c’est pour cela que je me dis toujours : comment peut-on pardonner à ceux qui n’ont jamais montré le moindre signe de remords et qui sont convaincus d’avoir bien agi ?

Quelle place occupe aujourd’hui au Chili Victor Jara ?

— Il est une source d’inspiration pour beaucoup de jeunes. Mais je trouve sa présence dans les médias parfois excessive.

Jara a écrit dans le stade national son dernier poème. C’est une sorte de récit de l’horreur à la première personne : « Un homme frappé comme jamais je n’ai cru qu’on pouvait frapper un être humain ». Et après les coups, sont venues les balles.

Comment ce texte est-il parvenu jusqu’à vous ?

— Il s’est constitué petit à petit. Avant de quitter le Chili, une personne m’a téléphoné et m’a dit qu’elle avait le poème. Nous avons essayé plusieurs fois de prendre rendez-vous mais nous n’avons jamais réussi à nous rencontrer. Après, étant à Londres, un texte est arrivé entre mes mains depuis la France

C’était son texte ?

— Non, Victor l’avait écrit dans le stade, sur des petits bouts de papier qui sont sortis dans les chaussettes d’un prisonnier mais ils ont été découverts par les militaires. Par chance, ceux qui l’accompagnaient l’avaient appris par cœur.

Il est devenu en quelque sorte une œuvre collective

— À tel point qu’avec les années différentes versions me sont parvenues, avec de légères différences. Les paroles ont été sauvées grâce à ceux qui ont veillé sur sa mémoire. Parce qu’il avait déjà été sauvagement battu quand ils les a écrites, il avait la tête en sang. Le stade s’appelle aujourd’hui Victor Jara et près d’une porte, celle où ils l’ont jeté, il y a une plaque avec le poème. Quel coïncidence extraordinaire, non ? ».

Entretien par PAR ALBEL GILBERT

Envoyé spécial du Periódico de Catalunya à Santiago du Chili.

A) 16 septembre 1973 : Victor Jara, grand chanteur chilien abattu par les militaires (Jacques Serieys)->11608]

Pour accéder à cette partie, cliquer sur le titre A (en bleu).


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