La satire, une preuve de démocratie

samedi 15 septembre 2012.
 

"La liberté d’expression n’est pas une exception mais une règle non négociable. Accepter la satire, c’est accepter le plein exercice de la démocratie. La satire est même l’une des preuves de la démocratie", affirme Jean-Emmanuel Ducoin, après la publication des caricatures de Mahomet dans Charlie Hebdo.

« Il y a des caricatures plus ressemblantes que des portraits, des caricatures où l’exagération est à peine sensible et, inversement, on peut exagérer à outrance sans obtenir un véritable effet de caricature.  » Au moins sur ce point, nous nous accorderons aisément avec Bergson pour accepter tout relativisme individuel. Notre maître Larousse lui-même, dans la définition qu’il donne du mot caricature, ne cache pas notre part de subjectivité  : «  Représentation grotesque, en dessin, en peinture, etc., obtenue par l’exagération et la déformation des traits caractéristiques du visage ou des proportions du corps, dans une intention satirique.  »

Ce fut donc la loi du genre  : Charlie Hebdo ne pouvait pas manquer de participer au «  débat  » sur l’islam qui agite le monde depuis qu’aux États-Unis, un obscur et détestable film d’un provocateur américano-égyptien sert de prétexte à une vague de manifestations antiaméricaines et, souvent, antioccidentales… Seulement, depuis quelques jours, des personnalités ont dénoncé le parti pris des dessinateurs de Charlie Hebdo, qui, en caricaturant Mahomet, «  se retrouveraient aux côtés de fanatiques islamophobes  » et transformeraient les islamistes «  en premiers défenseurs de l’islam  ». Donc, au prétexte qu’il y aurait une limite à la provocation et qu’il convient de «  réfléchir avant de craquer une allumette sur une poudrière  », il ne serait pas interdit d’interdire, afin de tenir compte du contexte dans lequel se pratique l’art de la caricature ou de la satire.

Que les choses soient claires. Nous savons parfaitement bien que nous vivons dans une société où le racisme anti-Arabes et anti-musulmans est en progression, où se développent les thèses assimilant grossièrement l’islam et l’islamisme… Voilà pourquoi la liberté d’expression ne sera jamais, pour nous, l’apanage de l’irresponsabilité ou de l’inconscience. Mais, en l’espèce, l’alibi de «  la provocation  », qui vise à regretter à demi-mots les «  excès de la liberté d’expression  », nous transporte sournoisement sur un terrain glissant. En effet, si la liberté d’expression n’est pas absolue, la démocratie ne devient-elle pas précaire  ? Que devient la République si le peuple ne peut plus discuter de tout, de la manière dont il le souhaite, comme l’affirmation de vouloir prendre son destin en main  ? En somme, que deviendrait à terme une liberté que l’on s’interdirait d’exercer  ?

Dans le respect de la loi, le droit de caricaturer est sacré, comme est sacré le droit de manifester. D’ailleurs, que dire d’un pays qui ne parviendrait pas à faire la part des choses, et que dire de ses citoyens qui verraient dans cette histoire un drame là où il n’y en a pas  ? Oui, Charlie Hebdo a le droit de se moquer de la religion musulmane et de ses symboles, comme de toutes les religions. Oui, les fidèles de l’islam, sur notre territoire ou ailleurs, doivent s’habituer à cette forme d’anticléricalisme français qui se manifeste depuis au moins deux siècles. La liberté d’expression n’est pas une exception mais une règle non négociable. Accepter la satire, c’est accepter le plein exercice de la démocratie. La satire est même l’une des preuves de la démocratie  !

Nous sommes conscients, bien sûr, que le débat va se poursuivre dans les jours qui viennent et qu’il ne brillera pas toujours par la sagesse et l’apaisement. Mais, qu’on le veuille ou non, nous sommes tous les héritiers du «  bal tragique à Colombey  ». La laïcité empêche heureusement tout retour au blasphème. Le rire est aussi une affaire d’intelligence.

Jean-Emmanuel Ducoin, rédacteur en chef de l’Humanité


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