Michel Bakounine (1814-1876) Aux quatre coins de l’Europe, il attise les braises révolutionnaires

dimanche 14 octobre 2012.
 

Né aristocrate, il participe à toutes 
les révolutions et considère la Commune 
de Paris comme un véritable creuset 
pour ses théories anarchistes.

« Je suis un partisan de la Commune de Paris, qui pour avoir été massacrée, étouffée, dans le sang par les bourreaux de la réaction monarchique et cléricale, n’en est devenue que plus vivace, plus puissante dans l’imagination et dans le cœur du prolétariat de l’Europe. » Michel Bakounine écrit ses lignes au lendemain de la défaite de la Commune en mai 1871, exalté par l’expérience de la première révolution prolétarienne. Passionné par la cause du peuple, Bakounine naît pourtant dans une famille noble, en 1814 à Premoukhino au nord-ouest de Moscou. Son père, Alexandre Bakounine était seigneur et maître de douze cents serfs. Avec ces dix frères et sœurs, il grandit dans une atmosphère érudite. Mais culpabilise d’être né sous une bonne étoile, ce qu’il considère comme une injustice sociale. «  L’indignation et la révolte furent les premiers sentiments qui se développèrent en moi.  » À onze ans, il est profondément marqué par l’échec de la révolte des décembristes. Ces insurgés, porteurs d’idées constitutionnelles dans une Russie absolutiste, sont exécutés. Quatre d’entre eux sont membres de sa famille. Destiné à une carrière militaire, Bakounine déserte l’école d’artillerie de Saint-Pétersbourg et préfère les bancs de l’université de Moscou, où il explore la philosophie hégélienne. De 1842 à 1849, le bouillonnant Russe plonge à corps perdu dans les révolutions qui agitent le Vieux Continent. En 1848, il est à Bruxelles quand éclate la révolution de février en France. Plus de train. Qu’importe, il rallie à pied Valenciennes et saute dans un wagon. Sur place, l’apprenti agitateur est exalté, allant «  à toutes les assemblées, réunions, clubs cortèges, promenades, démonstrations  ; en un mot j’aspirais par tous mes sens et par tous mes pores l’ivresse révolutionnaire  ».

Insatiable, il participe à l’insurrection de Prague puis se rend à Dresde en 1849. Arrêté, il est extradé en Russie. Dans les geôles de Saint-Pétersbourg, comble de l’humiliation, il doit se prêter à un exercice de contrition, en rédigeant des confessions pour le compte du tsar. Puis il est transféré à Tomsk en Sibérie. Bakounine épouse alors la jeune Polonaise Antonia Kwiatkowska. Il prend la poudre d’escampette en 1861 en passant par le Japon et les États-Unis, et regagne la terre de toutes les révoltes  : l’Europe. Arrivé à Londres, il reprend vite son activisme. Il participe à l’expédition en Pologne des émigrés polonais de Londres et de Paris, qui échoue. En juillet 1868, Il adhère à la 
Ire Internationale, l’Association de l’internationale des travailleurs (AIT). En 1869, au congrès de Bâle, Bakounine noue des liens avec des militants de premier plan de la future Commune de Paris, comme Eugène Varlin, qu’il convertit à ses idées. Ce révolutionnaire, «  partisan de cet excellent et bienfaisant désordre  », est favorable de l’abolition d’un État jugé autoritaire. Au fur et à mesure que s’affirme son tempérament anarchiste, ses rapports avec Karl Marx, autre membre historique de l’alliance, font des étincelles. Le choc est total entre le fédéralisme bakouninien et le centralisme démocratique marxiste. Parallèlement, en France, l’Empire se meurt. L’armée française capitule le 2 septembre contre la Prusse. À Lyon, la République est proclamée le 4 septembre 1870 avant même que Paris ne le fasse. Bakounine se précipite dans la ville. Le 17 septembre 1870, le principe d’un «  comité central du salut de la France  » composé de républicains et de militants de l’Internationale est adopté. Bakounine pousse les Lyonnais à l’insurrection populaire, ce qui constituera un véritable coup d’essai avant la Commune de Paris. Un appel, rédigé entre autres de la main de l’anarchiste russe, déclare  : «  La machine administrative et gouvernementale de l’État étant devenue impuissante est abolie  » mais propose aussi un emprunt forcé, la peine de mort contre les riches fugitifs. Le 28 septembre, des milliers d’ouvriers affluent sur la place des Terreaux. Bakounine s’introduit dans l’hôtel de ville, mais le coup de force échoue. Les gardes nationaux affluent et dispersent les ouvriers désarmés. Et la révolte s’éteint.

Las de ce nouvel échec, Bakounine fuit à Marseille et rejoint Gènes. Il garde la certitude qu’un soulèvement populaire est proche. Mais doute qu’il puisse éclater en France. C’est en exilé qu’il commente la Commune de Paris après sa défaite en mai 1871. Il y voit avant tout la confirmation de sa théorie sur l’abolition de l’État. «  J’en suis le partisan surtout parce qu’elle a été la négation audacieuse bien prononcée de l’État. C’est un fait historique immense que cette négation de l’État se soit manifestée précisément en France, qui a été jusqu’ici par excellence le pays de la centralisation politique, et que ce soit Paris, la tête et le créateur historique de cette civilisation française, qui en ait pris l’initiative.  » Si l’anarchiste ne semble pas avoir cru en la pérennité de la Commune, il la considère bien comme un soulèvement spontané des masses populaires. «  La Commune a duré trop peu de temps et elle a été trop empêchée dans son développement intérieur par la lutte mortelle qu’elle a dû soutenir contre la réaction de Versailles, pour qu’elle n’ait pu, je ne dis même pas appliquer mais élaborer théoriquement son programme socialiste. D’ailleurs, il faut bien le reconnaître, la majorité des membres de la Commune n’étaient pas proprement socialistes, et s’ils se sont montrés tels, c’est qu’ils ont été invinciblement entraînés par la force irrésistible des choses, par la nature de leur milieu, par la nécessité des leurs positions, et non par leur conviction intime. Ainsi, les socialistes, à la tête desquels se place naturellement notre ami Varlin, ne formaient dans la Commune qu’une infime minorité. (…) Nos amis socialistes de Paris ont pensé qu’elle ne pouvait être faite, ni amenée à son plein développement que par l’action spontanée et continue des masses, des groupes et des associations populaires.  » L’influence des idées de Bakounine dans la Ire Internationale trouve alors son point culminant. Ainsi, Marx, dans la Guerre civile en France, qui donne sa vision de la Commune de Paris, modifie sensiblement le rôle de l’État dans les révolutions. Mais leur bataille idéologique aboutit pourtant à l’exclusion de Bakounine en 1872 de l’AIT. Le révolutionnaire enfiévré, meurt le 1er juillet 1876 à Berne en Suisse. Usé par les soubresauts de l’histoire.

Cécile Rousseau


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