Victoire Tinayre (1831-1895) L’enseignement comme 
arme révolutionnaire (40)

dimanche 14 octobre 2012.
 

Cette mère de famille besogneuse avait 
un credo : l’enseignement. Édouard Vaillant 
lui confia, pendant la Commune, 
le rôle d’inspectrice des écoles.

Victoire Tinayre a été une aventurière, une voyageuse, une femme passionnée et indépendante. Autant de qualités guère communes au XIXe siècle, qui n’est pas réputé pour avoir libéré les femmes. Victoire Tinayre, née Marguerite Guerrier, fille de petits artisans d’Issoire, dans le Puy-de-Dôme, avait un credo  : l’enseignement. Dotée d’une volonté de fer, cette mère de six enfants, marquée au fer rouge par la déportation de son frère aîné et la mise au ban de la société de ses parents après la révolution de 1848, a traversé le siècle dents serrées et poing levé.

C’est l’enseignement qui va donner très tôt à cette fille d’artisans son indépendance économique. Elle passe seule son brevet élémentaire et commence à faire la classe dans un local que lui prête son père. Las. En 1848, elle est interdite d’exercice, et sa famille plongée dans le dénuement, à la suite du coup d’État de Napoléon III  : c’est l’une des représailles exercées contre sa famille par le pouvoir. Tandis que sa sœur Anna, toute petite fille, fait passer en douce aux prisonniers des lettres de leur famille, Victoire doit aller à Paris pour assurer la subsistance des siens. Elle y parvient en devenant lingère, un métier harassant et mal payé. Mais elle ne perd jamais de vue son but  : enseigner. Seule, encore, elle passe son brevet de capacité, qu’elle obtient le 3 août 1856 et qui lui donne le droit de diriger une pension. Elle prend la codirection d’un établissement de jeunes filles à Boulogne. Ce sera la première d’une longue série de pensions, d’Issoire à Neuilly, en passant par Bondy, Noisy-le-Sec ou Gentilly, où elle exercera ses talents, souvent dans des conditions précaires. D’emblée, elle montre beaucoup d’intérêt pour l’éducation des filles, un sujet en soi révolutionnaire en son siècle. «  Elle agit, elle travaille pour l’enseignement intégral, qui ne sépare pas l’éducation professionnelle de la lecture des bons auteurs. Patriote et humanitaire, déiste et anticléricale, pacifiste, socialiste, fouriériste, cette enseignante a tout ce qu’il faut pour adhérer à la Commune et devenir, dans les plis du drapeau rouge, inspectrice des écoles du 12e arrondissement  », écrit d’elle l’historienne Madeleine Rebérioux. Alors qu’elle est revenue à Issoire depuis cinq ans, elle remonte d’ailleurs à Paris, 
avec son mari, Jules, épousé en 1858, lorsqu’elle sent les prémices de la tourmente parisienne. (Très) proche d’Eugène Varlin, elle se voit confier, dès le 11 avril 1871, l’inspection générale des livres pour les écoles des jeunes filles de la Seine. Édouard Vaillant lui donne aussi comme mission, le 22 avril, «  d’organiser et de surveiller le recrutement dans les écoles de filles  », puis elle exerce, durant neuf jours, le poste qui l’a fait connaître des historiens  : inspectrice des écoles primaires du 12e arrondissement. À ce titre, elle a participé à l’expulsion des religieuses des établissements. Elle raconte, dans ses lettres, qu’elle a surtout calmé les ardeurs de l’adjoint au maire, un dénommé Lyaz, qui, non content de piquer dans la caisse, voulait aussi emprisonner les religieuses et les orphelines, à l’exception de «  quelques filles de dix-huit à dix-neuf ans  »… La mésentente entre les deux est avérée  : Lyaz essaie, trois fois, en vain, de faire arrêter Victoire. Durant la Commune, cette femme infatigable donne des leçons particulières pour survivre et participe aux réunions de l’Union des femmes, dirigée par Élisabeth Dmitrieff. Et même si l’entente ne règne guère entre les deux femmes, il semble qu’elle soit souvent intervenue sur les questions de condition de la femme, d’enseignement, d’éducation des enfants.

Lors des derniers jours de la Commune, Jules et Victoire vont, de barricade en barricade, apporter des soins aux blessés. En rentrant chez eux, le 26 mai, Victoire est interceptée  : elle a été dénoncée par la concierge. Jules la rattrape, un parapluie à la main, pour la protéger de l’averse. Lorsqu’ils arrivent à la prison, c’est Jules, pourtant pas partisan de la Commune, qui est fusillé, et Victoire libérée. Elle s’enfuit aussitôt vers la Suisse, se débrouille pour y faire venir ses cinq enfants (elle en a perdu un en bas âge) et sa sœur Anna. Avant de partir pour la Hongrie, qui sera une seconde patrie. Elle vivote en donnant des leçons et en plaçant ses enfants dans des familles aisées, où ils peuvent recevoir une éducation, tout en parlant français avec les rejetons de la maisonnée. Au final, ses enfants ont tous fait carrière dans des métiers d’art…

Victoire Tinayre a aussi beaucoup écrit. 
Des romans, publiés dans les années 1860 et, sous le pseudo de Jules Paty, la Marguerite puis Rêve de femme. Elle a coécrit, avec Louise Michel, la Misère et les Méprisées, sous le nom de Jean Guêtré. Mais elles finissent, pour des questions de différence d’opinions, par se brouiller. Les fils de Victoire, Louis et Julien, le premier peintre et le second graveur, sont aussi les auteurs des illustrations de la Misère. Amnistiée en 1879, Victoire reprend presque aussitôt ses activités d’enseignante. Positiviste, elle assure durant deux ans (1883-1885) la direction des écoles enfantines du familistère de Guise. À partir de 1886, grâce au docteur Robinet, positiviste et franc-maçon, elle devient surveillante générale des écoles de l’Assistance publique, qu’elle entreprend de laïciser. Elle s’occupe aussi du sort des jeunes enfants, «  passivement gardés dans des salles d’asile surchargées  », écrit l’historienne Michelle Perrot. Son action, avec celles de Marie-Pape Carpantier et Pauline Kergomard, aboutit, quelques années plus tard, à la création de l’école maternelle. Elle lance dans la foulée une bibliothèque des petits, fondée sur l’apprentissage des mathématiques.

Vive, révoltée et inventive, Victoire Tinayre ne savait pas laisser son esprit au repos. Quitte parfois à s’embarquer dans des aventures hasardeuses, comme le soutien à son cousin, qui venait d’inventer un porte-allumettes musical… Qu’importe, c’était encore de l’aventure.

Claude Schkolnyk, Victoire Tinayre, 1831-1895.
Du socialisme utopique au positivisme prolétaire. 
Éditions l’Harmattan, 1997.

Caroline Constant


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