Morale sarkozyste pour la rentrée des classes : Bien mal acquis ne profite jamais assez

dimanche 11 septembre 2011.
 

Debout, il est l’heure de partir, c’est la rentrée des classes. Il vous faut oublier les matinées oisives et reprendre la panoplie du compétiteur accompli, qui peut toujours mieux faire. Certains d’entre vous auront l’estomac plein d’un petit déjeuner copieux comme on les voit à la télé, céréales au chocolat, tartines au miel et à la confiture, jus d’orange enrichi en vitamines et en magnésium, d’autres un morceau de pain trempé dans du café, d’autres encore, rien. Deux millions d’entre vous, en territoire de France dont on va vous apprendre l’histoire, vivent en dessous du seuil de pauvreté, sans que personne ne songe à vous apprendre pourquoi. Pourquoi vos parents qui travaillent sans compter en ne comptant pour rien, ces assistés, dans cette société où les bénéfices compteront toujours plus que vous, les enfants, ne gagnent qu’entre 773 et 950 euros par mois, après transferts sociaux, parfois moins quand ils touchent le RSA, ça, personne ne vous l’enseignera. Ce sera à vous de comprendre.

Debout, il est l’heure de partir, c’est la rentrée des classes. Le cartable est tout neuf, on se demande pourquoi, celui de l’an dernier aurait bien fait l’affaire, et les stylos, les feutres et les crayons, la règle et le compas, la gomme et la calculatrice, tout est en place dans la nouvelle trousse, et les cahiers, les livres, toujours plus chers, bien rangés sous leurs transparents. Tout est prêt finalement pour reprendre la course, même les chaussures de sport, le short et le survêtement. Il va falloir se montrer le meilleur, le plus assidu, le plus obéissant, il en va, vous dit-on, de votre bel avenir où vous devrez apprendre à gravir les échelons, pendant que d’autres se font la courte échelle. Seize ans, vous verrez, ça passe vite, et ceux dont les parents auront les moyen s pourront prolonger jusqu’au bac, entrer à l’université, poursuivre des études supérieures, comme moi. Ce ne seront pas forcément les plus motivés, mais les mieux adaptés à cette compétition coûteuse, ou bien les plus chanceux. La plupart des fils d’ouvriers devront ranger le cartable avant, autant que vous le sachiez, et ils entreront dans la vie active, riches de savoirs basiques avec lesquels, de stages en emplois précaires, il leur faudra apprendre à se débrouiller. Pas de problème, ils pourront s’endetter, rêver d’être propriétaires, continuer à cocher et à gratter en vain.

Debout, il est l’heure de partir, c’est la rentrée des classes. Ne faites pas attendre vos professeurs, les maillons faibles et sous-payés de l’éducation nationale, ils ont dû beaucoup travailler pour avoir un métier qu’ils aiment, pour la plupart, ou une sécurité qui n’est plus de saison. Vous verrez, contrairement à vous, ils sont moins nombreux cette année, 7 000 postes supprimés au nom de la rigueur et de l’austérité, c’est là une invention des riches et de leurs gouvernants pour redresser la France, rembourser les folies de son endettement. Mais les méfaits du libéralisme, épaulés par la spéculation des banques et des gros actionnaires, même s’ils sont au pouvoir, ne sont pas encore au programme. Patience. Commencez par la Révolution française, la prise de la Bastille, les fadaises de Versailles et le gaspillage des jets d’eau… Commencez par la fuite du bon roi à Varennes, pour échapper à un peuple affamé, qui ne connaissait pas encore le Secours populaire, le Secours catholique ou les Restos du cœur… Commencez par l’abolition des privilèges honteux, et pour le reste, ouvrez les yeux  !

Debout, il est l’heure de partir, c’est la rentrée des classes. 5 millions de chômeurs, 4 millions de surendettés, 8 millions de personnes comme vous en dessous du seuil de pauvreté, 50 % de la population française en dessous de 1 500 euros mensuels quand le moindre loyer en coûte la moitié. Réveillez-vous  ! Sortez de ce cauchemar  ! Mouchez-vous, respirez, descendez dans la rue  ! Le bus va bientôt arriver. Et cette année , en prime, vous aurez droit gratuitement à des cours de morale, alors qu’il suffit de lire les journaux et les livres pour comprendre que le bocal croupissant du capitalisme a ses propres règles, qui sont à l’opposé  : bien mal acquis ne profite jamais assez… Un crédit vous engage et doit être remboursé aux escrocs de la crise… Qui vole un bœuf rit au nez du pauvre idiot qui se contente d’un œuf… Je dois respecter mon prochain, quel qu’il soit, pourvu qu’il me rapporte… Un policier bien informé – dénonciations, écoutes illégales– en vaut deux… Rien ne sert de courir, il suffit de briser les jambes du voisin… Exploitez les pauvres, le filon est inépuisable… Le capitalisme ne vit qu’aux dépens de ceux qui n’ont pas d’argent… Les étrangers ne sont utiles à la France que lorsqu’elle les exploite chez eux… Enseignez la morale, repeignez la façade, les bulldozers de droite se chargent des finitions…

Debout, il est l’heure de partir, mon enfant, mon cœur, c’est la rentrée des classes. N’oublie pas tes prières et ton petit drapeau, on ne sait jamais en cas de contrôle. N’oublie pas tes petits souliers, pour fuir à toutes jambes les pères Noël qui te voudront du bien en s’entre-déchirant pour taxer ton goûter et ton argent de poche. Dans tous les cas, reste pacifique, la non-violence, avec le rire, avec les mots qui chantent, avec la jeunesse et l’espoir, c’est la seule arme contre l’ignominie.

Par Christophe Leclaire, auteur (1). Tribune dans L’Humanité du 6 septembre 2011

(1) Insolvables  ! Lettre d’espoir au monde que j’ai quitté, Flammarion, 2011. 62 pages, 4 euros.


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