Serrez-vous les coudes et n’ayez pas peur de vos rêves fous ! ... Je voterai Mélenchon (entretien avec Bernard Lavilliers, bientôt présent à la Fête de l’Huma)

mercredi 21 septembre 2011.
 

On vous sent particulièrement en forme, habité d’une formidable énergie sur scène alors que vous allez fêter vos soixante-cinq ans en octobre. Quel est votre secret ?

Bernard Lavilliers. En ce moment, j’ai très mal à la hanche parce que je suis tombé de moto je ne sais combien de fois ces temps-ci ! (rires). Mais à part cela, je n’ai pas de problèmes physiques.

Surtout, j’aime la scène, je ne suis pas énervé, je possède l’affaire ! Je ne vais pas à fond la caisse tout le temps. Quand j’étais plus jeune, j’y allais comme les chanteurs d’aujourd’hui, mais je chantais aussi des trucs intimistes au milieu du spectacle comme Betty, mais je ne me faisais pas jeter. Dans les festivals, ce n’est pas la peine d’essayer de jouer plus fort que celui d’avant. Je me souviens être passé derrière Iggy Pop aux Vieilles Charrues, qu’est-ce que j’allais faire après cela ?

J’ai choisi de chanter On the Road Again seul, d’une façon extrêmement dépouillée. Et ça a très bien fonctionné.

Vous avez fait la Fête de l’Huma en 1976, en 1979, en 1987, en 1992, en 1995, en 2005 et aujourd’hui en 2011. C’est une véritable histoire !

Bernard Lavilliers. Oui, cela fait au moins sept fois, et je pense même que j’ai dû la faire avant, en 1975 pour une scène ouverte d’Ivry. Ensuite, je me souviens d’une scène importante qui s’appelait le kiosque où il y avait 10 000 personnes. Puis j’ai fait la grande scène régulièrement. La Fête de l’Huma, cela a été le premier festival musical, au fond, un festival qui ne coûtait vraiment pas cher, où on pouvait voir The Who, Genesis, James Brown, des tas de groupes. En plus, il y a des expos, des auteurs de bouquins ou de poésie qui viennent expliquer leur art, Aragon, que j’ai pu croiser là, Garcia Marquez, plein de gens comme ça. Je me souviens d’une exposition dadaïste que j’ai vue il y a quelques années. Il y a des débats politiques, les restaurants des régions, des stands montés par des gars venus de toute la France. Une ambiance ouvrière, de fête syndicaliste, qu’on ne connaît nulle part ailleurs.

On se souvient de beaux moments artistiques, à l’image de la venue de Léo Ferré que vous aviez invité à vos côtés sur la grande scène...

Bernard Lavilliers. Ça, c’était en 1992. C’est le dernier concert qu’il a fait puisque Léo est mort en 1993. Un 14 juillet, il faut le faire ! J’avais souhaité faire cette surprise. Il y avait une foule immense, il est arrivé avec un trac fou. Comme il était coquet, il ne voulait pas porter de lunettes, donc il marchait très lentement pour ne pas tomber, on aurait dit un vieux monsieur. Mais dès qu’il a commencé à chanter les Anarchistes et Est-ce ainsi que les hommes vivent, on s’est rendu compte qu’il avait encore la pêche. C’était un grand moment, qui a vraiment touché le public. C’était sur le site de La Courneuve à l’époque, il y avait vraiment beaucoup de monde. C’était très impressionnant !

Aujourd’hui, vous êtes un artiste reconnu, vous multipliez les concerts, ce qui n’a pas toujours été le cas, notamment à vos débuts, où vous avez connu des périodes plus noires...

Bernard Lavilliers. J’ai commencé seul avec ma guitare, je me produisais dans des cabarets, des petits lieux. J’avais trente ans, il me fallait un son électrique. J’ai commencé à faire pas mal de concerts à partir de 1975-1976 quand j’ai formé mon groupe avec François Bréant (claviers), Pascal Arroyo (basse), Hector Drand (guitariste), Manu Lacordaire (batterie), Dominique Mahut (percussion). On faisait des petites salles, pour bouffer déjà, pour se faire connaître parce que la radio, il ne fallait pas compter dessus. J’avais de bons musiciens qui apprenaient eux-mêmes à faire de la scène. Une période où on créait notre univers musical.

À quel moment s’est produit le déclic avec le public ?

Bernard Lavilliers. C’est simple : les Barbares, 1976, Fête de l’Huma. Grâce à la Fête, j’ai commencé à vendre pas mal de disques. Je ne passais toujours pas à la radio. Ensuite j’ai fait l’Olympia en octobre, puis une autre fois avec 15e Round, et là, cela a vraiment commencé à décoller. Les gens, à l’époque, étaient très curieux de découvrir de nouveaux chanteurs, moi, Catherine Ribeiro, plus tard Catherine Ringer. C’était une autre époque. La curiosité était plus grande. Aujourd’hui, on préfère voir les valeurs sûres.

Deux images reviennent à votre propos, celle de l’artiste né à Saint-Étienne, d’un milieu ouvrier, et celle du chanteur aventurier. Laquelle vous est la plus familière ?

Bernard Lavilliers. Les deux. Le fait que je sorte de ce milieu que je connais très bien me permet d’avoir des rapports avec le monde ouvrier dans le monde entier. Hormis la langue, la nourriture, cela marche pareil, au fond. Un mec qui se fait exploiter, il est au courant ! Et la musique m’apporte un truc en plus. En tant qu’artiste, ils connaissent mes convictions politiques. Je suis un mélange de tout cela. Je voyage en tant qu’homme du peuple, non pas comme une star, ce qui change tout. Je m’imprègne. Je ne me dis pas : il faut que j’écrive absolument. Je rôde, je me promène. Je finis par trouver des gens qui me racontent l’histoire du pays, qui me mettent en relation, et finalement, je trouve un thème et des musiciens.

Comment réagissez-vous lorsqu’on voit parfois en vous le héros d’histoires improbables que vous n’auriez pas toujours vécues ?

Bernard Lavilliers. Cela me fait rire parce que personne ne sait vraiment ce que j’ai fait pendant dix ans, même pas la Sécurité sociale. Je suis inconnu au bataillon ! (rires). J’en ai fait des conneries, mais je ne peux pas les raconter. C’est un mélange. Je revenais du Brésil quand j’ai écrit Eldorado. J’étais à la Brasserie du Nord, quand j’ai écrit cette chanson sur un coin de nappe tard dans la nuit. On écrit à partir de ce que l’on croise, des gens, de leurs histoires, ce qu’ils te racontent. Moi, j’agis comme cela.

Le Brésil reste votre pays de prédilection ?

Bernard Lavilliers. Oui, à cause de la langue que je possède parfaitement. Que tu sois rouge, blanc, noir... c’est un pays où il suffit de parler la langue pour être intégré. Il y a un truc qu’il faut savoir, c’est qu’il ne faut pas faire d’affaires avec les Brésiliens car on se fait rapidement rouler dans la farine, mais ça ne les empêche pas d’être sympathiques ! (rires).

Est-ce que l’on garde toujours le goût des voyages, avec le temps ?

Bernard Lavilliers. Les premiers qu’on a faits sont essentiels. Quand on a vraiment coupé le cordon ombilical, qu’on ne veut pas rentrer les mains vides ou ne pas rentrer du tout. Quand je suis parti, ce n’était pas pour revenir. On se dit : je vais bien voir, je vais plus loin. Depuis sept ans, j’ai voyagé, mais toujours dans le but d’aller enregistrer. Là, j’ai un peu envie de voyager pour moi. Je n’ai pas arrêté, j’ai fait Carnets de bord, j’ai enchaîné avec Samedi soir à Beyrouth, puis avec Causes perdues et musiques tropicales, plus les tournées qui vont avec. J’ai pu m’arracher une fois de temps en temps assez loin, mais sans pouvoir rester un mois de plus.

Vous reconnaissez-vous dans la France d’aujourd’hui ?

Bernard Lavilliers. Dans une partie, oui. Une partie qui a l’intention de ne pas laisser passer. C’est ce que je chante : « Portez-les vos idées, vos visages / Guerroyez les moulins, les nuages », etc. Il ne faut pas oublier qu’on a arraché les quarante heures, les trente-cinq heures, les congés payés. Si on se laisse faire, ils vont nous les reprendre. Je ne suis pas qu’indigné. Il faut proposer une alternative politique, une grille de lecture. Je me sens proche d’une partie. Mais c’est toujours un peu le marais.

Les socialistes, je ne sais pas trop ce qu’ils font. La lutte des classes, contrairement à ce que pense le bourgeois et ce que pensaient les gens dans les années 1990, c’est de nouveau à la mode, que je sache. Là, maintenant, il n’est plus question d’augmenter les salaires, il n’y a même plus de discussion.

« N’oubliez rien de vos rêves fous », chantez-vous. Des mots qui semblent faire écho à cette période préélectorale...

Bernard Lavilliers. Le refrain, c’est une sorte de slogan. C’est un peu : « ne vous laissez pas endormir, ne commencez pas à désespérer ». C’est une pure salsa, extrêmement entraînante, facile à retenir.

On va voir si les gens vont la reprendre. Ce sera intéressant de la chanter dans le cadre de la Fête.

Que vous inspire l’actualité politique ?

Bernard Lavilliers. Avec toutes ces salades politiques, l’affaire DSK et les suites hallucinantes, tout le monde se lâche. Je ne sais pas, mais la stature d’homme politique je la vois un peu différente. Je crois qu’il y a pas mal de gens qui sont d’accord avec moi. Là, ce que l’on a comme exemple, c’est les « troisièmes couteaux ». Entre Dominique de Villepin qui se prend pour Rimbaud (rires), Nicolas Sarkozy, malheureusement, qui va peut-être encore grignoter... Et même à gauche, je suis désolé, mais j’ai connu de vrais présidents avec une stature. Il était comme il était, mais Mitterrand, il ne parlait pas français comme une vache espagnole ! (rires). Aujourd’hui, les hommes politiques, ils font une faute de français par phrase. C’est grave, ne serait-ce que pour le respect de la langue. Les «  troisièmes couteaux », en vérité, ils ne font rien, ils se laissent de plus en plus balader par les fonds d’investissement, par les banquiers qui font ce qu’ils veulent finalement.

C’est tellement visible. J’ai l’impression que les gens le voient vraiment et se demandent comment changer, comment faire pour les serrer, ces actionnaires multinationaux. Il faut être radical et ne pas désespérer.

Pour qui seriez-vous prêt à voter ?

Bernard Lavilliers. Je voterai pour Mélenchon, pour le PC. J’ai lu le programme de Mélenchon, les revendications, c’est raide, mais si on veut vraiment... Il faut être appuyé sur une base sociale avec de gros syndicats. Chaque fois qu’ils ont besoin de moi, je vais chanter pour eux, pour attirer l’attention des gens. Il y a un manque de rapport de forces. Mon message, je vais le faire passer à la Fête : « Serrez-vous les coudes et n’ayez pas peur de vos rêves fous ! »

Ne commencez pas à être raisonnables, c’est trop tard, parce que les autres ne l’ont pas été, raisonnables. Les causes perdues ne sont jamais perdues. Elles ne sont pas très visibles, il faut les remettre en perspective. Cette Fête de l’Huma, elle va avoir pas mal d’importance.

Il n’y a plus beaucoup de chanteurs, qui, comme vous, sont à l’origine de chansons « engagées »...

Bernard Lavilliers. C’est-à-dire que quand ils veulent s’occuper de chansons un peu « engagées », ils n’ont pas la grille de lecture. Les hommes politiques ne m’intéressent plus du tout, mais l’analyse politique m’intéresse toujours, la synthèse. Souvent, quand on essaie d’être politique, le danger c’est d’être caricatural. Ce que je chante dans un texte comme les Mains d’or, c’est une réalité.

L’auditeur se sent à la place du mec que je décris : « J’ai cinquante ans, si je me fais virer, qu’est-ce que je vais faire ? Comment je m’en sors dans mon être profond ? »

Quels sont vos projets ?

Bernard Lavilliers. En ce moment, avec un quatuor classique, je suis en train de mettre en musique la Prose du Transsibérien, de Blaise Cendrars. Après la Fête, je vais monter un autre spectacle avec un quartet et moi qui jouerai beaucoup plus de guitare. Un spectacle électroacoustique où je vais raconter des histoires, chanter Night Bird, Eldorado, Voleur de feu, que je n’ai jamais fait sur scène.

Et puis, je vais produire le nouvel album de Balbino, qui sortira en septembre chez Naïve. C’est un type qui a beaucoup de talent !

Entretien réalisé par Victor Hache


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