Zéphyrin Camélinat (1840-1932), ouvrier de la république sociale

mardi 13 novembre 2012.
 

Dirigeant syndical, militant socialiste, 
Camélinat participa activement à la Commune 
et échappa à la répression versaillaise. En 1920, 
à Tours, il se rallia à l’Internationale communiste.

Lorsque dans les frimas de ce 1ermars 1856, le jeune Zéphyrin Rémy Camélinat quitte son bourg natal de Mailly-la Ville, il a, pour tout bagage, un petit baluchon. Un rude hiver s’est abattu sur la campagne bourguignonne : les quelques arpents de vigne qui font vivre la famille ont gelé. Avec un camarade et un cousin, il s’est fait engager à Ozoir-la-Ferrière, où il s’en va biner, pendant six semaines, la betterave. Du haut de ses seize ans, le jeune homme a déjà fait siennes les valeurs de progrès. Son père, un vigneron, tailleur de pierre et terrassier aux mauvaises saisons, est surnommé « Camélinat le Rouge » pour ses convictions républicaines. Cet austère paysan a élevé ses enfants dans l’aversion de la monarchie, puis de l’Empire. Il leur a insufflé, surtout, la passion de l’égalité.

La Seine-et-Marne n’est qu’une étape sur le chemin du jeune Camélinat, qui décide, son labeur terminé, de rejoindre Paris, où il s’inscrit aux Arts et métiers, suit des cours d’anglais, travaille pour un fabricant de tubes de cuivre. Chez un artisan parisien, il apprend le métier de monteur en bronze et ciseleur. Le jeune ouvrier révèle vite un exceptionnel talent, au point que Charles Garnier l’engage sur le chantier de l’Opéra.

Reconnu par ses pairs comme l’un des meilleurs ouvriers bronziers de Paris, Camélinat devient, à la même époque, un acteur de premier plan de l’éclosion du mouvement ouvrier. Le cheminement du jeune paysan devenu bronzier illustre l’émergence d’une nouvelle figure ouvrière dans le tumulte de la révolution industrielle. Dans les années 1860, il participe à la création d’organisations syndicales, signe le « Manifeste des soixante » en faveur de candidatures ouvrières, côtoie Proudhon et Varlin. Militant du mouvement socialiste naissant, Camélinat adhère, dès sa fondation, à l’Association internationale des travailleurs (AIT) ; il sera d’ailleurs délégué aux premiers congrès de cette Internationale portée sur les fonts baptismaux par Karl Marx. Au mois de février 1867, on le retrouve parmi les animateurs de la grande grève des bronziers parisiens. Camélinat se rend alors à Londres pour recueillir des fonds de solidarité auprès des trade unions. La grève est un succès : les salaires sont augmentés de 25%. Mais cette effervescence sociale n’est pas du goût des autorités de l’Empire. L’activisme de Camélinat lui vaut quelques démêlés avec la justice.

Le harcèlement judiciaire et policier de Napoléon III ne décourage toutefois pas les militants ouvriers. Internationalistes, ils s’élèvent contre la guerre. Camélinat signe, le 11 septembre 1870, au nom des sections françaises de l’AIT, une adresse au peuple allemand, l’exhortant à renoncer à l’affrontement pour fonder, avec le peuple français, les « États-Unis d’Europe ». Après l’effondrement du second Empire à Sedan, Camélinat, pendant le siège de Paris, devient porte-drapeau du 209e bataillon de la Garde nationale et combat à Champigny, à Montretout.

En 1926, il livrera ce récit de la journée du 18 mars 1871 : « La masse des gardes nationaux déferlait, submergeait tout. Les femmes entouraient les soldats. La ligne fraternisait, mettait la crosse en l’air. On s’embrassait. Le soir, nous étions place de l’Hôtel de ville où moi, qui étais porte-drapeau – le drapeau rouge –, j’étais élu commandant de la compagnie. Thiers en fuite. Paris aux mains des ouvriers. Quel beau jour ! C’était bien la révolution ! » Élu de la 
Commune, il se voit confier, aux premiers jours de la révolution, l’organisation de la poste. Puis il est nommé, le 3 avril, directeur de la Monnaie, fonction qu’il assumera avec une probité et une honnêteté exemplaires.

Zéphyrin Camélinat sortira miraculeusement indemne de la Semaine sanglante. Durant les dernières heures passées à la Monnaie, il fait évacuer 30 000 pièces de cinq francs au nez et à la barbe des versaillais. Le 12 juillet 1872, le 19e conseil de guerre prendra prétexte de cet acte pour justifier sa condamnation par contumace à la déportation pour « insurrection, vol et pillage à la Monnaie ». En fait, l’argent est acheminé à la mairie du 11e arrondissement pour y être distribué aux combattants fédérés. Ceci fait, Camélinat rejoint la barricade des Trois-Bornes, où il restera jusqu’au dernier moment. Il voit mourir Delescluze, Vermorel et bien d’autres camarades. Le survivant est recueilli par un couple, les Bordier, qui le cachent. Début septembre, un ami ciseleur lui procure un faux passeport pour gagner l’Angleterre. C’est pour le communard le début d’un long exil. À Londres, puis à Birmingham, Camélinat reprend ses activités de bronzeur et, surtout, de militant socialiste.

Gracié en 1879, il rentre en France en 1880. Il reste l’infatigable militant, l’internationaliste parcourant le monde, d’Amsterdam à Boston, pour appeler les ouvriers à travailler ensemble à la révolution sociale. En 1885, l’élection de ce « communaliste » à la Chambre des députés est relevée par Engels comme « un grand événement ». Camélinat soutient les mineurs de Decazeville, défend les grévistes de Vierzon, se fait, à la tribune du Palais-Bourbon, porte-voix des chômeurs et des ouvriers. Battu en 1889, il devient représentant en vins, champagnes et liqueurs, sans renoncer au combat. Jamais ce héros du mouvement ouvrier ne se perdit dans les querelles qui déchirèrent le mouvement socialiste jusqu’à l’unification de 1905. « Il est temps que les socialistes, dans l’intérêt de l’humanité tout entière, fassent taire leurs dissensions pour faire corps contre l’ennemi commun qui ne puise sa force que dans leurs divisions », écrit-il le 21 juillet 1896. Un quart de siècle plus tard, celui qui avait vu naître la Première Internationale se rallia, à Tours, aux partisans de la Troisième. Le vieux communard, qui détenait les actions de l’Humanité, les partagea entre les deux camps rivaux, à proportion des voix recueillies par chacun d’eux. Il remit les siennes propres aux majoritaires, faisant basculer le journal de Jaurès du côté du communisme. Figure tutélaire, vétéran respecté, il finit ses jours en homme modeste, dans l’indéfectible fidélité aux valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qui avaient guidé son long parcours, d’un siècle à l’autre, de la commune au communisme. Zéphyrin 
Camélinat s’éteignit le 5 mars 1932, à son 
domicile du 133, rue de Belleville. Ce printemps-là, des dizaines de milliers d’ouvriers accompagnèrent, à la gare de Lyon, la dépouille du dernier communard.

Rosa Moussaoui, L’Humanité


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