Je ne siégerai dans aucun autre gouvernement que celui que je dirigerai (Jean-Luc Mélenchon)

samedi 15 octobre 2011.
 

Thibaut : Quelle sera votre première réforme si vous êtes élu à la tête de la France ?

Jean-Luc Mélenchon : D’abord, rassurer et protéger les productifs. Pas les marchés. Donc, cela signifie que je titulariserai immédiatement les 850 000 précaires des 3 fonctions publiques. Dans le privé, le CDI redeviendra la norme car je limiterai le nombre des contrats atypiques à 5 % pour les grandes entreprises et à 10 % pour les petites.

Aussitôt suivront la série des mesures destinées à domestiquer la finance. D’abord, les prélèvements qui rétablissent un même niveau d’imposition entre les revenus du capital et ceux du travail et entre les taux d’imposition des petites et des grandes entreprises.

Mais peut-être, tout compte fait, que mes premiers mots seront pour dire merci à notre école publique et annoncer un plan de recrutement massif des enseignants dont le pays a tellement besoin.

Simon : Comment comptez-vous ramener dans votre camp les ouvriers votant désormais majoritairement pour le Front national ?

Jean-Luc Mélenchon : Les ouvriers ne votent pas majoritairement pour le Front national. Il faut cesser de les insulter. Il y a toujours eu une proportion significative d’ouvriers qui ont voté contre leurs intérêts, leur classe et leur pays. En 1981, paroxysme de l’Union de la gauche, 30 % d’ouvriers votaient par anticommunisme et préjugés contre la 5e semaine de congés payés, la retraite à 60 ans et l’augmentation de 25 % du Smic.

La vérité est là : la majorité de la classe ouvrière s’abstient parce que les programmes politiques ne s’occupent pas d’elle et les belles personnes la méprisent. Mon intention et mon combat, celui du Front de gauche, c’est de rallier et de rassembler en convainquant.

Avec le Front de gauche, l’enseignement professionnel ne sera pas la dernière roue du carrosse. Le Smic passera à 1 700 euros, les droits des travailleurs dans les entreprises seront étendus. Les licenciements boursiers seront interdits, les patrons voyous expropriés et les émigrés fiscaux suspendus de droits sociaux. Les ouvriers seront à nouveau des citoyens actifs et conscients.

demip : Vous proposez d’augmenter le smic à 1 700 euros brut, prévoyez-vous quelque dispositif permettant aux petites entreprises de supporter cette augmentation (exonération de charges, crédit d’impôt, prêts facilités...) ?

Jean-Luc Mélenchon : Bien sûr que les cas des petites et très petites entreprises doit être considéré d’une façon particulière. Mais regardons bien la situation. Pour une entreprise, l’essentiel c’est son chiffre d’affaires. Quand le carnet de commandes est plein, quand les produits sont payés à leur valeur, ce n’est rien de distribuer la richesse produite pour rétribuer le travail.

Ceci posé, la relance de la consommation est donc bien la question cruciale. Les petites entreprises doivent pouvoir accéder à des facilités qui sont aujourd’hui refusées et qui fluidifieraient leurs comptes. Par exemple, un taux d’escompte à 0 %. Ou bien, encore, l’accès au crédit qui leur est aujourd’hui lourdement refusé ou qui est à un taux excessif. Les banques ne font pas leur travail à l’égard de l’économie réelle. Savez-vous que la BNP fait 70 % de son chiffre dans la spéculation et 30 % dans les prêts à l’économie réelle ? Savez-vous que l’UIMM a dû organiser un véritable circuit bancaire parallèle compte tenu de la déficience des banques ?

Ludwig : Vous voulez taxer le capital, et donc l’épargne des ménages. Or j’épargne pour payer les études de mes trois enfants et payer une maison de repos à mes parents. En outre, mon épargne est déjà taxée au tiers environ, entre PFL et prélèvements sociaux. Ne croyez-vous pas que c’est déjà largement suffisant et qu’il est inutile de taper toujours plus sur les classes moyennes ?

Jean-Luc Mélenchon : Vous m’aurez sans doute mal écouté. Il s’agit de taxer les revenus du capital. Soyons sérieux, ce n’est pas l’épargne des ménages et les produits qui l’organisent qui sont ici visés pour l’essentiel. Aujourd’hui les revenus du travail sont taxés en moyenne à 42 %. Ceux du capital, à 18 %. Ce n’est pas normal.

Rétablir l’équilibre dégagerait au minimum l’équivalent du service annuel de la dette du pays. A supposer que je sois d’accord pour la payer telle quelle. Tenez compte du scandale que représente, par exemple, la niche Copé sur les plus-values des cessions d’entreprises : 23 milliards d’euros en 3 ans. Voilà où pour moi se concentrent les problèmes et c’est ensuite un détail d’éviter les ponctions qui seraient abusives.

Maintenant, à mon tour de vous interroger : trouvez-vous normal que rien ne soit prévu pour vos parents âgés et peut-être dépendants et que la scolarité de vos enfants soient à votre charge ? Si le service public s’en chargeait, vous seriez sans doute moins crispé sur vos économies.

Gilbert : Ne pensez-vous pas qu’il faudrait publier un financement précis de vos mesures pour asseoir votre crédibilité et faire taire vos détracteurs ?

Jean-Luc Mélenchon : Il est peu probable que je fasse jamais taire mes détracteurs. D’ailleurs, est-ce vraiment souhaitable ? C’est la contradiction et le débat qui permettent aux citoyens de construire sa propre opinion et de prendre sa décision. L’escroquerie, c’est toujours lorsqu’on prétend qu’il n’y a qu’une solution possible – "There is no alternative" disait Mme Thatcher – et je suis trop heureux quand on me critique sur le contenu du programme, plutôt que sur des pantalonades médiatiques, injurieuses à mon égard.

Le chiffrage est déjà fait. Mais c’est mon intérêt que le débat aille à son rythme et que l’on me sollicite au fur et à mesure pour obtenir des éclaircissements. Faire vivre un programme est une action de pédagogie de masse. Elle vit à son rythme.

Joao : Depuis belle lurette, la finance mène la danse. Elle oblige les Etats à se conformer à ses règles. L’exemple le plus récent étant la Grèce. Peut-on inverser cette tendance, si oui comment ?

Jean-Luc Mélenchon : C’est le cœur des problèmes de notre époque. La question n’est donc pas de savoir si on peut le faire mais de constater que c’est nécessaire de le faire. Si c’est bien une nécessité, si elle s’impose à nous, alors s’impose à nous d’être énergiques. Il est lamentable de voir que, non seulement aucun dirigeant n’a résisté en Grèce, mais qu’aucun non plus n’a résisté en Europe face au problème grec. La finance a donc été encouragée à continuer ses spéculations et ses prédations.

On peut même dire qu’elle a été félicitée compte tenu de la veulerie des dirigeants européens qui lui ont donné raison en étranglant cruellement la Grèce par sept plans d’austérité successifs. Le résultat est connu. La récession règne en Grèce et contamine toute l’Europe. N’oublions jamais ce bilan quand on juge la politique alternative que je propose. J’ai envie de dire que ce n’est pas à moi de prouver ma crédibilité dans la mesure où le contraire est démontré à propos des politiques qui se prétendent réalistes.

Briser les reins à la finance, c’est prendre une série de mesures techniques qui rendent impossibles les spéculations. Dans ce domaine, je peux évoquer l’interdiction permanente des ventes à découvert, l’interdiction des CDS non adossés à un titre de dettes, la taxation des transactions financières, réglementer le droit à créer des produits dérivés, rétablir le passeport national pour les hegdes funds, abolir les privilèges d’auto-saisine des agences de notation, arrêter la cotation en continu des entreprises, etc. Si vous voulez en savoir plus, je vous renvoie au livre de Jacques Généreux Nous, on peut (Ed du Seuil) dont j’ai rédigé la préface.

Damien : Pouvez-vous affirmer, une bonne fois pour toutes, que les différentes composantes du Front de Gauche ne participeront pas à un gouvernement PS ?

Jean-Luc Mélenchon : Allez le leur demander. Le Front de gauche ne dissout pas les partis qui le composent. Chacun d’entre eux reste souverain. Je peux répéter ce que j’ai déjà dit. Mon travail est de rendre possible le rassemblement de tout l’arc des forces et des cultures qui se reconnaissent dans le Front de gauche. Je sais donc très bien que certains pensent qu’il faut participer à une coalition gouvernementale, même si elle est sous direction socialiste et d’autres pensent que cela est totalement exclu.

Ma place à moi est dans l’élection présidentielle. Cela veut donc dire que pour pouvoir rassembler tout le monde, il faut que chacun soit personnellement libre de sa propre décision et que chacun puisse se retrouver dans mon propre comportement. Je ne siégerai donc dans aucun autre gouvernement que celui que je dirigerai.

Pablo : Pourquoi demandez-vous aux candidats à la primaire PS de choisir entre vous et François Bayrou alors que ce dernier a toujours exclu une alliance avec le PS ?

Jean-Luc Mélenchon : Bayrou a peut-être exclu l’idée d’une alliance avec le PS mais le PS n’a pas exclu l’inverse. Au contraire. J’estime qu’il est indispensable que les socialistes clarifient ce point avant de venir nous faire leur récitation sur le soi-disant vote utile. Ce n’est pas une question politicienne. Ce qui est indispensable, ce n’est pas d’unir des états-majors et des personnalités, c’est de rassembler le peuple.

C’est pourquoi je parle d’un Front du peuple. Ce front ne peut pas se constituer sur des projets ambigus, des propositions contradictoires et des compromis qui divisent. Prenons un exemple : M. Bayrou est partisan de la TVA sociale, de la règle d’or et de la réforme Fillon des retraites. Sur cette base, il n’y a ni compromis ni union possible. Ceux qui proposeraient cette union contraindraient leurs électeurs à des choix contraires à leurs intérêts.

José : Sans Besancenot et avec Arthaud et Poutou, vous avez un boulevard à la gauche du PS. Comment comptez-vous en profiter ?

Jean-Luc Mélenchon : Je ne crois pas au boulevard. Il ne s’agit pas de parts de marché : je ne suis pas à la gauche du PS. Le Front de gauche par son programme est au centre de la gauche. Je déplore la droitisation et la "centrisation" de la sociale démocratie européenne et française. Mon projet est de convaincre le plus grand nombre possible de gens qu’il existe une alternative au système actuel. Advienne alors que pourra.

Chat modéré par Raphaëlle Besse Desmoulières


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