Mondialisation Les multinationales à l’attaque des États

samedi 8 octobre 2011.
 

Deux centres de recherches, proches du mouvement altermondialiste, lèvent le voile sur l’arbitrage international. Dans ce secteur florissant, une petite élite de juristes se remplit les poches 
en cassant 
les droits sociaux.

C’est un assureur chinois qui attaque la Belgique, l’accusant d’être responsable de la perte de plusieurs milliards d’euros investis dans le bancassureur Fortis, juste avant son démantèlement. C’est un géant du tabac qui s’en prend à l’Uruguay et à l’Australie pour leurs législations protégeant la santé publique, au prétexte que les avertissements sur les paquets de cigarettes causent des pertes de marchés substantielles. C’est une multinationale suédoise de l’énergie qui réclame à l’Allemagne près de 5 milliards d’euros de dédommagements suite aux restrictions antipollution pour les centrales à charbon et à la perspective de sortie du nucléaire. Ce sont les mastodontes de l’eau, comme les français Suez et Vivendi, qui, après la crise financière de 2001-2002 en Argentine, exigent de l’État le versement de millions de dollars pour compenser le gel des tarifs et la dévaluation de la monnaie. Ou encore ce cabinet allemand de juristes spécialisés qui, face au «  sale comportement financier de la Grèce  » et en plein chaos austéritaire, appâte ses clients des groupes privés en leur promettant des compensations possibles payées par les contribuables grecs...

L’arbitrage, un secteur opaque et lucratif

À l’heure où la France et le géant de l’acier ArcelorMittal engagent un bras de fer autour de l’avenir du site de Florange en Moselle (lire nos informations page 8), il est des industries qui s’en sortent mieux que bien d’autres dans la mondialisation financière et qui disposent d’une puissance de feu phénoménale. Dans un rapport précieux de 75 pages qui sort ce mardi, le Corporate Europe Observatory (CEO) et le Transnational Institute (TNI), deux centres de recherches liés aux mouvements altermondialistes, basés respectivement à Bruxelles et à Amsterdam, lèvent le voile sur le secteur à la fois opaque et lucratif de l’arbitrage, une véritable «  industrie juridique  » dominée par une petite élite d’avocats qui a tiré profit de l’explosion des contentieux entre les États et les multinationales à l’offensive pour se prémunir de changements politiques ou de législations sur les droits humains, l’environnement, l’emploi, susceptibles de nuire à leurs profits. En une quinzaine d’années, avec la multiplication des traités internationaux, bilatéraux ou multilatéraux, qui ouvrent les territoires aux investissements des entreprises, tout en désarmant les gouvernements, le secteur de l’arbitrage a connu une croissance exponentielle  : selon CEO et TNI, le nombre de litiges enregistrés au Centre international de règlement des différends relatifs à l’investissement (Cirdi), un organisme de la Banque mondiale, est passé de 38 en 1996 à 450 en 2011. Les montants financiers en jeu ont également bondi  : les chercheurs décomptent, par exemple, entre 2009 et 2010, 151 cas d’arbitrage international impliquant des multinationales réclamant au moins 100 millions de dollars aux États.

Le coût de ces actions légales pèse sur les gouvernements sous la forme de factures juridiques salées  : les frais de justice des États face à une multinationale peuvent dépasser, dans certains cas, les 30 millions de dollars  ; et, d’après les auteurs du document intitulé «  Les profiteurs de l’injustice  », les 58 millions engagés par les Philippines pour se défendre dans deux affaires face au groupe aéroportuaire allemand Fraport auraient permis, par exemple, de «  rémunérer 12 500 enseignants pendant un an  ». Mais ce système, où une petite élite de juristes spécialisés, organisée à l’échelle mondiale, incite les États à signer des accords d’investissement, avant d’encourager, avec le concours parfois de fonds qui spéculent sur ces litiges juteux, les multinationales à poursuivre les gouvernements, conduit surtout à l’affaiblissement de toutes les régulations environnementales et les législations sociales.

La pression est énorme sur les pays du Sud, mais aussi sur les États-Unis et l’Union européenne. Depuis quelques années, plusieurs États (Australie, Afrique du Sud, Bolivie, Équateur, Venezuela et Argentine) ont l’air de vouloir se défaire du piège de l’arbitrage en refusant, par exemple, de payer les éventuelles amendes aux multinationales. Pour Pia Eberhardt, du Corporate Europe Observatory, coauteur du rapport, «  les gouvernements devraient refuser de signer des traités d’investissement, exclure les clauses qui permettent aux entreprises de poursuivre l’État, ou, à tout le moins, s’assurer que les lois d’intérêt public telles que la protection de l’environnement et des droits humains ne peuvent en aucun cas être contestées  ».

Les conflits d’intérêts d’une élite de juristes

Le secteur de l’arbitrage en matière d’investissements est dominé par une communauté resserrée issue de l’hémisphère Nord. D’après le rapport, publié aujourd’hui, par Corporate Europe Observatory et le Transnational Institute, beaucoup des acteurs du secteur, 
dont quelques Français, sont à la fois arbitres 
et conseillers des multinationales. Toujours 
du côté des multinationales, ils adoptent 
une interprétation extensive quand il s’agit des profits des entreprises et restrictive pour ce qui est des droits sociaux. «  Au lieu d’agir comme des intermédiaires neutres et équitables, 
les acteurs de l’arbitrage ont un intérêt naturel à perpétuer un régime d’investissements qui privilégie le droit des investisseurs aux dépens des États souverains et des gouvernements nationaux élus démocratiquement, font valoir les auteurs. Le secteur de l’arbitrage partage la responsabilité d’un régime d’investissement international qui est profondément vicié 
et favorable aux milieux d’affaires.  »

Thomas Lemahieu


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