Primaires socialistes : avancée 
ou recul démocratique ?

dimanche 16 octobre 2011.
 

Ces primaires sont-elles un plus pour 
la démocratie comme l’affirment leurs promoteurs ou sont-elles un piège pour la gauche comme le pensent certains, notamment au Parti communiste  ? 
Ce qui, aujourd’hui, est évident, c’est que cette précampagne présidentielle donne du grain 
à moudre aux instituts 
de sondages. Mais sera-
t-elle un facteur de mobilisation des catégories populaires  ? 
Les amènera-t-elle à renouer, 
et à renouer durablement, avec 
la politique  ? Car comment espérer de vrais changements 
sans une implication permanente du peuple  ?

Les primaires du Parti socialiste, ouvertes à tous les électeurs de gauche, sont une nouveauté dans la vie politique de notre pays. Quel écho ont-elles à quelques jours du vote  ?

Olivier Ferrand. Le pari que les Français s’en saisissent est en train d’être gagné. Nous nous en réjouissons. Terra Nova revendique la paternité intellectuelle des primaires, nous en avons élaboré les contours avec Olivier Duhamel, nous avons mené la bataille de conviction politique avec Arnaud Montebourg. Pour que ce soit un succès, le PS s’est fixé comme base minimale 1 million de participants, dix fois plus que pour l’investiture, en 2006, de Ségolène Royal par les militants socialistes. L’investiture par des millions de citoyens donnera une formidable légitimité populaire au vainqueur.

Rémi Lefebvre. Une sorte d’évidence démocratique est attachée aux primaires parce qu’elles donnent un pouvoir nouveau aux sympathisants. Ce qui fait que la critique n’est guère audible. Mais il faut prendre en compte l’importance du désarroi politique à gauche. Il est tel que les gens se raccrochent à cette nouvelle règle du jeu. Pourtant, s’il y a des militants socialistes enthousiastes, il y en a qui ont accepté ces primaires uniquement parce qu’elles ont été présentées comme le sésame de la victoire et comme un marqueur de la rénovation. Les médias ont martelé qu’être contre les primaires, c’est être ringard.

Olivier Ferrand. Les militants socialistes ont été consultés, ils ont voté pour à 70 %.

Igor Zamichiei. Après quatre années de pouvoir sarkozyste, une très grande majorité de la population veut le changement. Les primaires, parce qu’elles sont présentées comme la clef de la victoire à gauche, vont attirer du monde. Mais beaucoup de nos concitoyens, c’est le cas de nombreux communistes, y voient aussi à juste titre un piège pour la gauche. D’abord, remarquons que rien ne différencie réellement les candidats sur le fond des problèmes posés au pays. Ensuite, la mesure de la présidentiabilité des candidats par les sondages personnalise à outrance les débats. Aussi, tout se résume à une question  : quel est la ou le meilleur candidat pour battre Sarkozy  ? Or l’enjeu de 2012 ne peut se résumer à obtenir l’alternance. Il est de réussir l’alternative pour sortir la France de la crise et répondre aux exigences sociales et démocratiques de la population. Contrairement à Terra Nova, nous pensons que la crise de la gauche est avant tout une crise de projet et pas une crise de leadership. De ce point de vue les primaires ne sont aucunement une réponse.

Présidentialisation, personnalisation… Les primaires ne sont-elles pas en contradiction avec les critiques portées depuis longtemps par la gauche sur
les institutions de la Ve République  ?

Rémi Lefebvre. Les primaires consacrent la présidentialisation et redéfinissent la vie politique essentiellement comme une lutte de personnes. C’était très frappant lors du débat télévisé, au demeurant très intéressant, avec les cinq candidats socialistes. Ils étaient comme dans un jeu de télé-réalité, disant «  je  » en permanence. Cette obsession de la personnalisation n’est pas sans lien avec la rhétorique libérale de la performance individuelle. La personnalisation qui existe ailleurs, notamment aux États-Unis, est accentuée en France par l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Ce processus structurel date des années 1960. Mais le PS vient de l’entériner. Je vois donc mal comment il pourrait, s’il arrive au pouvoir, revenir sur l’hyperprésidentialisme de Nicolas Sarkozy.

Olivier Ferrand. Les primaires sont un approfondissement de notre démocratie représentative. Elles permettent aux Français de gauche de choisir, non pas seulement qui sera leur président, mais aussi qui les représentera à l’élection présidentielle. C’est un droit démocratique nouveau  : choisir son porte-drapeau et sa ligne politique. Ce choix était auparavant réservé à une petite élite dirigeante, il s’est élargi d’abord aux militants socialistes et enfin aux citoyens eux-mêmes. Fondamentalement, on passe de la logique d’avant-garde d’hier à la logique démocratique de demain. Quant à la personnalisation, elle n’est pas propre à la primaire  : c’est le fait de la démocratie actuelle.

Rémi Lefebvre. Les primaires, selon vous, ne renforcent pas la personnalisation  ?

Olivier Ferrand. Elles ne la renforcent pas, elles en prennent acte. Toutes les démocraties contemporaines sont travaillées par cette personnalisation. En France, comme dans tous les régimes présidentiels, elle joue encore davantage car le choix ne porte pas sur un parti mais sur une personnalité.

Igor Zamichiei. Et les primaires ne contribuent certainement pas à approfondir notre démocratie. Elles allongent le temps présidentiel et poussent les citoyens à choisir le représentant qui, selon les sondages, optimise leurs chances de victoire et non celui qui incarne leur préférence programmatique et idéologique. Elles conduisent donc à renforcer le présidentialisme.

Rémi Lefebvre. La démocratie, c’est toute une série de techniques. Les partis politiques ont une légitimité qui n’est pas uniquement celle du vote.

Olivier Ferrand. C’est vrai qu’il n’y a pas que le vote dans la démocratie. S’il n’y a que le vote, on tombe dans la démocratie d’opinion, on se décide sur la seule base des a priori sondagiers. Mais les primaires, c’est un vote et aussi une campagne politique qui permet à chacun d’entrer dans le débat de fond et de se faire un avis éclairé. Les primaires politisent le pays. Elles permettent de limiter l’influence de la démocratie d’opinion.

Olivier Ferrand disait  : on a pris acte de la personnalisation. Y aurait-il autre chose à faire  ?

Igor Zamichiei. Pour rénover la démocratie en France, il faudrait d’autres réformes bien plus ambitieuses. D’abord revenir sur le quinquennat et l’inversion du calendrier présidentiel et législatif, ensuite renforcer les pouvoirs du Parlement, créer un statut de l’élu pour approfondir le rapport avec la population, et enfin mettre en œuvre une démocratie participative efficace du quartier jusqu’au niveau national en passant par l’entreprise.

Rémi Lefebvre. La gauche devrait promouvoir une politique qui soit un «  je  » collectif davantage que la consécration des individualités. Le Parti socialiste a installé l’idée, depuis une quinzaine d’années, que les partis politiques, c’est ringard. Et n’ayant pas voulu ou pas pu se rénover, il se retrouve dans une situation de déshérence intellectuelle telle qu’il se fait dicter ses candidatures par les sondages. S’il était ancré dans la société, proche du monde intellectuel, avec de nombreux militants, la question des primaires ne se serait pas posée. C’est la décomposition de ce parti, devenu un parti de notables, d’élus, un parti qui ne veut pas de militants, qui a mené aux primaires.

Olivier Ferrand. Ce que vous dites est très injuste. Les partis sont nés avec la démocratie il y a cent cinquante ans. Leur mode de fonctionnement n’a pas changé. Il est désormais inadapté au monde contemporain. Ce que nous proposons, ce n’est pas la destruction des partis, c’est leur modernisation. Le mot clé de cette modernisation, c’est la démocratisation.

Igor Zamichiei. Les primaires condamnent une des fonctions historiques des partis qui est de choisir le candidat, mais surtout elles n’en réinventent pas de nouvelles en phase avec les besoins de la société. Pour les communistes, la modernité institutionnelle d’un parti se mesure à sa capacité à concevoir les outils qui permettent au maximum de personnes de se saisir du débat politique et de concevoir elles-mêmes des transformations répondant durablement à leurs attentes. C’est l’objectif du processus d’assemblées citoyennes et d’ateliers législatifs que nous avons initié avec le Front de gauche. Cela témoigne quand même d’une ambition démocratique d’une bien plus grande portée que les primaires  !

Rémi Lefebvre. Les partis politiques ont trois grandes fonctions. 1/ La sélection du candidat  : avec les primaires ouvertes, c’est fini. 2/ La production doctrinale et programmatique  : elle est dévaluée par un système qui accroît la distance entre le projet et les candidats. D’ailleurs, le contrat de génération de François Hollande ou les quotas migratoires de Manuel Valls ne figurent pas dans le programme du PS. 3/ La mobilisation sociale et électorale, elle devient surtout liée à la primaire, les militants perdent une gratification importante, à quoi bon militer au PS  ?

Le Parti socialiste sera donc de moins en moins un parti de militants au moment où la gauche en aurait un besoin crucial pour assumer son rôle de socialisation des quartiers populaires. Les primaires signent l’affaiblissement des partis politiques.

Olivier Ferrand. Je conteste cette analyse. Au contraire, dans ce que propose Terra Nova, les partis conservent ces trois fonctions mais elles sont exercées de manière démocratique et non plus élitiste. La sélection du candidat  ? Le parti continue de l’assurer  : c’est lui qui organise les primaires, avec les règles qu’il s’est fixées, avec ses militants pour tenir le scrutin. La production doctrinale  ? Hier, le parti la réalisait en chambre, dans le huis clos d’une poignée de leaders, d’experts et de communicants. Avec, certes, un vote d’adoubement par les militants qui ont le droit de faire de petites remarques à la marge pour feindre la démocratie, amendements qui n’arrivent jamais au sommet. Demain, le parti continuera de la réaliser mais de manière démocratique  : l’élaboration du projet se fera dans une coproduction citoyenne, en organisant un échange participatif entre le parti, l’écosystème intellectuel qui l’entoure et les citoyens. C’est ce que les Italiens ont mis en place avec la Fabrica. C’est le parti qui mettra en œuvre cette coproduction démocratique.

Rémi Lefebvre. Si chaque candidat a son projet, à quoi cela sert de faire une plate-forme programmatique  ?

Olivier Ferrand. À faire émerger les idées neuves. Le programme du parti est le patrimoine commun des candidats. La boîte à outils dans laquelle chacun peut piocher pour élaborer sa proposition politique. Mais il y a des différences. On sait bien que la ligne politique de Valls, ce n’est pas celle de Montebourg  ! Mais je termine sur les fonctions des partis. La troisième, c’est la mobilisation. Le PS s’est toujours rêvé parti de masse mais ne l’a jamais été. Le PC l’a été mais ne l’est plus. Et plus personne ne sait mobiliser en permanence des militants pour participer toutes les semaines à des réunions, distribuer des tracs. En revanche, ponctuellement, on peut mobiliser tous ceux qui veulent participer à une cause, à une élection. Obama a été capable d’engager trois millions de personnes dans une campagne de terrain. Les primaires sont l’occasion de drainer vers la politique des sympathisants  : beaucoup ne se contenteront pas de venir voter, ils se mobiliseront pour la campagne présidentielle, ils feront du porte-à-porte… Grâce aux primaires, le PS va pouvoir, le temps d’une élection, devenir un parti de masse.

Igor Zamichiei. Arrêtons-nous sur l’exemple états-unien. Un des premiers actes de Barack Obama, quand il est arrivé au pouvoir, a été d’annoncer qu’il allait contribuer de manière décisive à la résolution du conflit israélo-palestinien. Mais quelle majorité a-t-il construit dans le pays pour cela  ? Aujourd’hui les États-Unis opposent leur veto à la reconnaissance par l’ONU de l’État palestinien. Pour la dette, l’emploi, etc., c’est la même impuissance. Un homme providentiel a été élu mais cela n’a rien résolu. Face aux puissances économiques et aux puissances de l’argent, aucun grand changement ne sera possible sans une intervention populaire massive, donc sans un dialogue dans la durée avec les populations. C’est ce que vise le processus engagé par le Parti communiste et le Front de gauche.

Olivier Ferrand. Cette démarche participative est la bonne. Les primaires ne s’y opposent pas, au contraire.

Igor Zamichiei. C’est faux. Elles conduisent à une personnalisation qui écrase tous les autres enjeux.

Olivier Ferrand. Pourquoi, depuis quatre ans, le PC et le PS n’ont-ils pas fait ce que vous dites  ? Les problèmes ne sont pas liés aux primaires, mais aux «  vieux  » partis, à leur logique élitiste, qui résistent à toutes les formes de démocratie.

Igor Zamichiei. En ce qui nous concerne, nous nous sommes engagés dans le Front de gauche pour que le Parti communiste soit utile au rassemblement autour de solutions de sortie de crise.

Rémi Lefebvre. Le risque des primaires, même si rien n’est mécanique, c’est de renforcer la sensibilité à l’opinion dominante. Or, aujourd’hui, le débat est surdéterminé par les questions financières. La culture de la «  responsabilité  » ne va-t-elle pas s’en trouver renforcée dans le PS au détriment de celle de la transformation sociale  ? On peut penser que les primaires vont droitiser le centre de gravité idéologique. Pour moi, les effets négatifs à long terme l’emportent sur les bénéfices démocratiques de court terme.

Olivier Ferrand est l’auteur avec Arnaud Montebourg de Primaire  : comment sauver
la gauche, Éditions du Seuil.

Rémi Lefebvre est l’auteur des Primaires socialistes, la fin du parti militant, 
Éditions Raisons d’agir.

Table ronde réalisée par Jacqueline Sellem, L’Humanité

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