A Florange, avec les sidérurgistes contre Mittal, véritable vautour de l’acier

vendredi 28 octobre 2011.
 

Ce vendredi 14 octobre, je suis à Florange. Avec les sidérurgistes. En effet, depuis lundi 3 octobre, le haut-fourneau P6 de l’aciérie Arcelor-Mittal de Florange en Moselle a été arrêté. Pour la direction de l’usine, cette décision est "conjoncturelle, temporaire et provisoire", liée à une baisse de la demande mondiale. Le renégat Eric Besson, ministre de l’industrie, a dit espérer un redémarrage "au début de l’année prochaine". Personne ne les croit. Les salariés craignent une fermeture définitive et "la fin de la filière liquide Lorraine". Le motif de l’arrêt actuel n’augure en effet rien de bon. Car, sans rire, la direction française de Mittal accuse la météo du printemps de cette année. Selon la direction, la sécheresse a réduit les quantités de produits agroalimentaires à emballer et donc la demande d’acier. Les salariés dénoncent plutôt la gestion à court-terme de Mittal et une stratégie financière au détriment de la stratégie industrielle. En effet, l’usine produit des aciers à haute valeur ajoutée et notamment des emballages pour les boîtes de conserves, les canettes et ainsi de suite. Sensible à la conjoncture ? Mais quand bien même ! Pourquoi le travail salarié et qualifié serait-il la variable d’ajustement des variations saisonnières ? Car pour les syndicats, les sites de Florange et de Liège en Belgique fonctionnent comme les soupapes du géant indien : « Dès qu’il y a un soubresaut du marché, nous sommes visés en premier". Cette méthode n’est même pas un secret. En 2007, après le rachat d’Arcelor par Mittal, Laksmi Mittal, le patron suprême, reconnaissait dans L’Express : "Mittal est plus active sur les marchés de court terme". Cette stratégie s’est confirmée depuis. Dès que la demande a baissé, Mittal a arrêté temporairement l’autre haut-fourneau de Florange, le P3. Il fait de même avec le P6. Dans le même temps, Mittal veut concentrer son activité dans les usines côtières de Dunkerque et de Fos-sur-Mer. Plus commode pour l’embarquement des produits. Elles sont réputées plus rentables. Pourtant, selon les syndicats, « si le plan de charge est respecté à 100%, Florange gagne de l’argent ». Mais ce n’est pas suffisant aux yeux de Mittal. Son objectif ce n’est donc pas la rentabilité, puisqu’elle est acquise. C’est le niveau de profitabilité ! Tant pis pour la Lorraine, l’aménagement du territoire et les habitants de la vallée de la Fensch, condamnés à la mort sociale. Certains vont plus loin et accusent Mittal d’avoir volontairement baissé sa production pour faire monter le cours de l’acier. Mais ensuite la baisse actuelle de la demande serait le contrecoup de la hausse des cours. Jeu de gribouille ! En somme, la vision court-termiste des profits finirait par se retourner contre l’entreprise elle-même.

SOS FLORANGE "On ne veut pas mourir et on ne mourra pas !"

Cette incapacité de grands groupes privés mondiaux à gérer convenablement une entreprise devrait faire réfléchir les amis de la mondialisation heureuse. Et aussi les dévots de la régulation spontanée par l‘adaptation aux aléas du marché mondial ! Et aussi ceux qui décrient sans cesse l’action de l’Etat dans l’industrie. Je pense ici à tous ceux qui sous couvert de dénonciation de la « démondialisation » ont repris la récitation des mantras sur les vertus semi-divines du libre-échange et de l’entreprise privée. L’histoire de la sidérurgie lorraine est un exemple éducatif. Je la rappelle. En 1981, la gauche arrivée au pouvoir nationalise Usinor-Sacilor. Le groupe privé est au bord de la faillite. Techniquement il est dépassé. Entre 1991 et 1995, l’Etat injecte 60 milliards de francs pour moderniser les équipements et, aussi, pour licencier une partie des effectifs. En 1995, la droite décide de privatiser Usinor. Elle brade l’entreprise pour seulement 10 milliards de francs. Terrifiant gâchis ! Mais surtout, la privatisation a rendu l’entreprise vulnérable. Au point qu’en 2001, la France, la Belgique, l’Espagne et le Luxembourg décident de regrouper leurs fleurons nationaux de l’acier et de créer Arcelor. A l’époque, Arcelor est présenté comme « l’airbus de l’acier ». Il est le numéro un mondial du secteur et le leader technologique des aciers fins et complexes. C’était « l’Europe qui protège » dans toute sa splendeur ! « L’airbus européen de l’acier » n’aura pas vécu cinq ans. En 2006, Mittal Steel réussit en quelques mois une OPA hostile sur Arcelor. Mittal obtient toutes les autorisations des autorités de bourses et de la Commission européenne. Le Luxembourg accepte l’OPA en contrepartie du maintien du siège social dans le pays. Et la France ? Elle ne peut s’y opposer puisqu’elle a vendu ses dernières actions en 1997, à la demande du ministre des finances de l’époque, un certain Dominique Strauss-Kahn. La direction d’Arcelor exprime ses craintes industrielles et sociales. Elle essaie de se défendre. Elle cherche pour cela à s’allier avec une entreprise russe. Cela lui est refusée par les autorités boursières. La cotation est suspendue, Mittal peut prendre tranquillement le contrôle de 95% des titres. La France n’a plus de souveraineté sidérurgique. Le dépeçage peut commencer.

Mittal est un véritable vautour de l’acier. Il le reste. Au premier semestre 2011, Arcelor Mittal a enregistré un résultat net de 2,6 milliards de dollars contre 2,3 milliards au premier semestre 2010. Mittal s’est développé par le rachat d’aciéries en faillite en Europe de l’Ouest puis d’aciéries privatisées en Europe de l’Est : des investissements faibles qui ont bénéficié de la hausse du cours de l’acier. Bien sûr la politique sociale du groupe est en phase avec ces mœurs de prédateur. Elle est loin de toute tendresse ou considération pour ses salariés. La maison a des faits d’armes. Ainsi en 2006, Mittal obtient du gouvernement mexicain l’envoi de 800 policiers pour casser une occupation d’usine par les salariés. Un des leaders syndicaux est tué dans l’intervention. Voilà qui sévit aujourd’hui en Lorraine. On comprend dès lors pourquoi les salariés craignent que l’arrêt « temporaire et provisoire » du haut-fourneau ne devienne définitif. Ils ont leurs raisons. D’abord, la durée prévisionnelle de l’arrêt « temporaire » n’est pas connue. Et ce n’est pas rien. Un haut-fourneau ne s’arrête pas ni ne redémarre pas comme un micro-onde ! Les coûts d’entretien d’un haut-fourneau à l’arrêt sont élevés et le faire redémarrer après un arrêt n’est pas chose facile. On notera aussi que l’autre haut-fourneau de Florange est lui aussi à l’arrêt « temporaire » depuis le début de l’année et au moins jusqu’à fin 2011. On peut ajouter la situation des deux hauts fourneaux de l’usine de Liège. Arrêtés en 2008, un seul a été relancé entre avril 2010 et août 2011 avant d’être de nouveau arrêté. L’inquiétude est telle que les salariés belges ont retenu la direction du site pendant 24 heures en septembre. Enfin, le précédent de Gandrange ne rend pas optimiste.

Les ouvriers lorrains ont des raisons de ne plus croire aucune promesse, même jurées la main sur le cœur. Ils en ont trop entendu. En 2006, au moment du rachat, Mittal promettait : « Mittal Steel mesure l’importance que la Lorraine attache à l’industrie sidérurgique. Aucune suppression d’emplois n’aura lieu en Lorraine. Le groupe continuera à investir dans la recherche et le développement. ». Le 4 février 2008, c’est Nicolas Sarkozy qui déclarait à Gandrange : "on manque d’acier dans le monde. Ce n’est pas le temps de fermer des usines qui produisent de l’acier, alors qu’on en manque dans le monde. L’Etat préfère investir pour moderniser le site, plutôt que de payer (…) pour accompagner des gens soit en préretraite soit au chômage". Un an plus tard, Mittal avait divisé par deux les effectifs de l’usine en délocalisant une partie de sa production. 600 salariés avaient été licenciés. Quelques-uns ont été reclassés à Florange. Ils ont des raisons de craindre que l’histoire se répète. Les conséquences sociales seraient très sévères. Mittal emploie 3000 salariés sur le site de Florange dont 1000 pour l’activité du haut-fourneau P6. Ceux-là se sentent spécialement menacés de licenciement en cas d’arrêt définitif. Dans l’immédiat, selon les syndicats, "la grande majorité des 1000 salariés sera mise au chômage partiel". Quelques dizaines seront affectées à d’autres unités et à la maintenance, une soixantaine devrait bénéficier d’une formation. D’autres seraient détachés à Dunkerque ou Fos-sur-Mer "sur la base du volontariat". On connaît ! Ces mesures viennent s’ajouter à celles déjà en place pour les 600 salariés de l’autre haut-fourneau du site. Le chômage partiel devrait limiter les pertes de salaires dans l’immédiat nous dit-on. Ceux qui le disent n’en vivent pas.

Mais c’est l’Etat et l’UNEDIC qui compenseront à hauteur de 7 euros par heure chômée. Et les sous-traitants n’en bénéficieront pas. Officiellement, ils peuvent prétendre à bénéficier de la convention Mittal-Etat. Mais cela suppose un engagement à ne pas licencier. Aucun sous-traitant ne peut prendre un tel engagement. Car tous dépendent complètement de la décision de Mittal quant à leur activité. On voit ici ce que valent les jérémiades qui nous sont jetées à la figure sur notre faible sensibilité aux difficultés des petites entreprises ! Du point de vue industriel, il y a de quoi être inquiet aussi. Sous la pression des salariés et plus largement de la population locale, l’Etat a imposé à Mittal d’investir 4,2 millions d’euros dans la maintenance des équipements pour permettre une réactivation du haut-fourneau. Mais les salariés craignent que la décision de Mittal d’arrêter, même temporairement ses deux hauts-fourneaux ne remette en cause un ambitieux projet de captage-stockage du CO². L’Etat a prévu d’y investir 150 millions d’euros. La Commission européenne doit se prononcer début 2012 sur une demande de 600 millions d’euros dans le cadre du projet environnemental ULCOS. La CGT craint que l’arrêt provisoire pèse sur la réponse de la Commission, donc sur l’avenir du projet, et, pour finir, sur l’avenir du site. Ainsi va le monde absurde qui nous domine.


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