Non au tri des enfants en maternelle

samedi 29 octobre 2011.
 

3) Comment aider réellement les enfants de maternelle qui en ont besoin ?

Par Pierre Delion, Professeur à la Faculté de Médecine de Lille-II, chef du service de pédopsychiatrie du CHRU de Lille ; auteur de Tout ne se joue pas avant trois ans, Albin Michel

Depuis quelques jours la blogosphère est en émoi pour commenter le retour de projets gouvernementaux visant à évaluer les enfants de « mat.sup » entendez maternelle supérieure ou grande section, pour mieux repérer les élèves à risque, voire à haut risque et, ainsi, les aider. Ces évaluations porteraient sur les « matières scolaires » et sur le comportement des enfants. Il est même question de préparer les enfants aux évaluations en les entraînant pendant leur dernière année de maternelle, afin de leur faire passer avec succès leur premier examen scolaire. Moyennant quoi les enfants qui ne seraient pas reçus, dès lors réputés à risque ou à haut risque, seraient aidés à revenir dans la norme statistique.

Que des évaluations soient utiles pour les instituteurs afin de juger des effets de leur pédagogie sur leurs élèves, personne ne le contestera. Encore faut-il savoir comment les entreprendre sans déroger à quelques principes éthiques dont on a franchement l’impression que les porteurs du projet en question ne les ont même pas entraperçus. Nous avons déjà quelques exemples des effets délétères de bonnes idées. Ainsi, lorsque le rapport Legrand, paru en 1982, avait proposé que les enfants puissent apprendre à lire, écrire, compter au cours de leur deuxième cycle, redéfini comme comprenant la grande section, le CP et le CE1, la grande section était rapidement devenue la classe où les apprentissages pouvaient commencer pour ceux qui étaient prêts, gagnant ainsi un an pour ceux qui envisageaient déjà Polytechnique. On a vu avec quelle force la possibilité de commencer ces apprentissages en grande section est devenue la norme et les effets qui en ont résulté pour ceux qui n’étaient pas encore mûrs pour s’y conformer. De la même manière, une évaluation portant sur les critères annoncés va-t-elle instaurer une norme nouvelle protégeant les enfants n’ayant rien à signaler (RAS), et stigmatisant ceux dont les résultats les placeront dans les catégories à risque et à haut risque.

L’argument avancé de l’aide qui en résulterait montre l’hypocrisie sinon des concepteurs du projet qui peuvent encore croire les paroles gouvernementales, du moins celle des politiques qui savent qu’ils ne peuvent ni ne veulent dégager aucuns moyens lisibles pour y répondre. Je rappelle que la loi sur l’égalité citoyenne et l’intégration en est déjà un exemple insupportable.

Tous ceux qui ont lu cette loi en ont été ébahis au niveau des intentions. Mais quand, dans le même temps, le gouvernement annonce la suppression de quasiment 100 000 postes, dont une bonne proportion dans les dispositifs destinés à faciliter l’intégration, on ne peut qu’être dubitatif sinon révolté par un tel cynisme. Alors, comment pourrait-on croire que les évaluations proposées aujourd’hui soient destinées à aider qui que ce soit  ? Pour ma part, et en appui sur les analyses livrées par mes amis cofondateurs du collectif Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans, créé en 2005 à la suite du rapport sur le trouble des conduites et ayant recueilli 200 000 signatures de soutien, je crois qu’un tel projet, loin de proposer une quelconque aide à quelque enfant que ce soit, est davantage organisé pour repérer les enfants déviants et les catégoriser dans une sorte de classe-prison d’enfants à risque, prédisant ainsi leur futur comportement également à risque. Je fais remarquer que les mots « à risque » et « à haut risque » sont connotés de l’atmosphère pénitentiaire, et qu’ils pèseraient lourd sur le destin des enfants en question. Les psychosociologues ont d’ailleurs étudié l’effet de « prophétie autoréalisatrice » que de tels dispositifs ne manquent pas d’entraîner à coup sûr. Sans compter les ravages anxiogènes que de telles pratiques déclencheraient chez les parents des enfants « en délicatesse » avec l’école à un moment donné.

Vous me direz  : « C’est bien beau de râler sur ces propositions, mais alors quelles sont les vôtres  ? » Tout d’abord, un enfant de maternelle est encore dans le monde du jeu. Que pour les plus âgés d’entre eux, en grande section, leurs capacités créatives soient l’occasion de commencer à apprendre des bases qui leur serviront dans les apprentissages réglés est une évidence et cela nous réjouit toujours de voir les potentialités qui peuvent émerger dans ces circonstances. Mais c’est en jouant en maternelle que le futur élève de CP va fabriquer son énergie pour apprendre. Le contraindre trop tôt à y renoncer pour gagner du temps pour l’entrée en faculté ou la préparation aux grandes écoles n’a aucune pertinence. Ensuite, la sélection de groupes à risque inscrit dans le groupe des enfants, les marques profondes de différences de maturité ou de comportement qui, à cet âge, sont d’une grande variabilité du point de vue maturatif. Un enfant pourrait être considéré « à risque » en juin et « grandir » suffisamment pendant l’été pour sortir du groupe à risque. À quoi les promoteurs du projet m’objecteraient  : qu’à cela ne tienne  ! une nouvelle évaluation à la rentrée et le tour est joué  ! Mais voilà où le bât blesse  : pensons-nous intéressant de conforter ce monde de l’évaluation permanente  ? Sans compter le coût de ces évaluations pour l’éducation nationale  ?

Ne serait-ce pas plus utile de conserver les postes d’enseignants et de psychologues pour aider in situ les enfants qui en ont besoin et auxquels les professionnels peuvent faire appel de façon individualisée et discrète, en accord avec les parents, sans déclencher de grandes manœuvres angoissantes pour les plus fragiles  ? Ma position est la suivante  : bien sûr que des enfants de maternelle souffrent de difficultés diverses relevant de causes multiples et conduisant à des troubles aussi bien cognitifs que de comportements. Mais ce n’est pas en faisant apparaître de façon apparemment objective ces signes de souffrance qu’on peut trouver des solutions sinon trop générale. C’est davantage, me semble-t-il, en facilitant la reconnaissance par les instituteurs de ces signes de souffrance et en les aidant à trouver pour chaque cas et avec les parents les solutions qui conviennent le mieux. Cela peut aller d’une attention particulière portée sur un enfant pendant une période donnée, à l’organisation de la classe de telle sorte que l’enfant ou les enfants en difficulté puissent bénéficier de cette attention de l’adulte. Mais cela peut aussi déboucher sur la demande d’un conseil, d’une observation en classe par un psychologue du Rased, et entraîner une ou des rencontres avec les parents pour envisager à partir de chaque cas particulier les solutions appropriées  : aller consulter un pédopsychiatre dans certaines indications, un pédiatre dans d’autres, prendre contact avec un orthophoniste si nécessaire, quelquefois se soucier des aspects socio-économiques familiaux et interroger le travailleur social référent de la famille, bref, s’appuyer sur les dispositifs créés précisément pour satisfaire à ces signes de souffrance de l’enfant de maternelle. Mais voilà que d’un seul coup se fait jour une évidence  : que deviennent les services en question dans l’école  ? La médecine scolaire, les Rased, les surcharges d’enfants par classes…  ? Et en dehors de l’école  : que deviennent les services de PMI, les secteurs de psychiatrie infanto-juvénile, les CAMSP  ? Combien de pédiatres restent-ils dans notre pays  ? Les médecins généralistes ont-ils le temps pour aider les petits enfants dans de telles situations  ? Non vraiment, là, c’est trop de désinvolture de la part de nos gouvernants  : le double discours a trouvé ses limites. Il faut en finir avec cette politique démagogique et en revenir aux fondamentaux  : un enfant souffre, il a besoin d’être aidé au cas par cas. Inventer des groupes d’enfants à risque ou à haut risque est dans la « droite » ligne des projets Bénisti et autres fantasmes de mise en ordre de l’enfance sans tenir le moindre compte des aléas du développement, ni des professionnels qui pourraient, s’ils étaient soutenus par l’État qui les régit, trouver de vraies solutions humaines, concrètes et personnalisées pour chaque enfant.

Pierre Delion, tribune libre publiée par L’Humanité

2) Pas de tri à la maternelle (appel du SE UNSA)

Pas encore 6 ans, mais déjà marqués comme « à Risque », voire « à Haut Risque » !

C’est ce qui guette les enfants de cinq ans qui n’obtiendront pas « le score » fixé par le dispositif national d’évaluation en maternelle que l’Éducation nationale s’apprête à imposer dans toutes les écoles.

Les enfants scolarisés en grande section seront testés par leur enseignant selon un protocole relevant d’ordinaire des médecins scolaires. Ils subiront ensuite une succession de séances d’entraînement formatées et passeront en fin d’année, dans un cadre inhabituel et stressant, plusieurs épreuves collectives et individuelles au format contestable.

Des enfants de cinq ou six ans, seront alors déclarés en échec avant même l’entrée au Cours Préparatoire, alors qu’à cet âge, quelques mois de plus ou de moins engendrent des différences de maturité importantes.

Professionnels de l’Éducation, parents, citoyens,

Nous refusons cet étiquetage des enfants. Nous dénonçons la confusion entre compétences scolaires et comportements qu’induisent certains items du protocole d’évaluation. Nous nous opposons à l’amalgame entre le médical et le pédagogique. Nous récusons une conception caricaturale des premiers apprentissages. Nous refusons la pression scolaire dès 5 ans.

Nous nous engageons pour que l’école maternelle reste un lieu épanouissant où chaque enfant peut vivre une première scolarité réussie.

Cet appel peut être signé en cliquant sur l’adresse portée en source de cet article (haut de page, couleur rouge)

1)Pour ses 5 ans, Sarkozy définitivement classé à haut risque ! (article PG)

Avec la proposition d’évaluer les enfants en fin de maternelle (5 ans) selon trois catégories aussi grossières que "rien à signaler", "à risque" et à "haut risque", le gouvernement récidive sur sa manière de concevoir l’école et plus largement l’être humain : dès le plus jeune âge nous serions prédestinés, aucune évolution n’est possible et l’éducation n’est là que pour faire du recadrage et compartimenter les élèves.

Quel recul de la vision émancipatrice du savoir ! Quelle méconnaissance de la psychologie de l’enfant et de la personne ! Pas étonnant alors que ce même gouvernement supprime en masse les postes d’enseignants et de RASED, personnes indispensables dans la construction d’un enfant.

Le gouvernement récidive également sur sa vision de la société où des le plus jeune âge, chacun est lancé dans la compétition, la réussite et le stress. Comment ne pas mieux habituer les futurs citoyens à se plier aux consignes, à rentrer dans des cases ?

L’école maternelle est un lieu où l’enfant s’épanouit en se confrontant à la socialisation, en sortant du seul cadre qu’il connaissait, la famille. Si cette proposition devait être mise en oeuvre, ce serait le choix d’une société de compétition à laquelle les enfants seraient confrontés dès leur plus jeune âge et un dévoiement de l’actuelle école maternelle où l’apprentissage n’est pas sanctionné. De cette société-là, le Parti de Gauche n’en veut pas !

Le Parti de Gauche est aux côtés de toutes les voix qui se sont élevées contre ce projet (enseignants, parents d’élèves, psychologues scolaires…)

MAGALI ESCOT


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