Montée de l’islamisme : Tunisie, Lybie... Algérie ?

mercredi 2 novembre 2011.
 

1) Inquiétudes sur la réintroduction de la charia en Libye

Le président du Conseil national de transition a affirmé hier que la législation serait fondée sur la charia, la loi islamique.

Les déclarations du chef du Conseil national de transition (CNT) Moustapha Abdeljalil sur l’adoption de la loi islamique comme base de la législation en Libye suscitent des inquiétudes, notamment parmi les femmes redoutant des conséquences pour leurs droits. De leur côté, la France et l’Union européenne ont appelé au respect des droits de l’homme.

Dimanche, Moustapha Abdeljalil a affirmé que la charia serait la principale source de législation dans la nouvelle Libye, au cours d’un discours à l’occasion d’une cérémonie pour la proclamation de la « libération » de la Libye.

« En tant que pays islamique nous avons adopté la charia comme loi essentielle et toute loi qui violerait la charia est légalement nulle et non avenue », avait-il indiqué à Benghazi, citant en exemple la loi sur le divorce et le mariage.

Sous le régime de Mouammar Kadhafi, la loi n’interdisait pas la polygamie mais imposait des conditions préalables, notamment le consentement de la première épouse. L’époux doit aussi faire la preuve devant la justice qu’il a la capacité financière de soutenir une famille multiple.

« Choquant et insultant »

« C’est choquant et insultant de constater qu’après que des milliers de Libyens ont donné leur vie pour la liberté, la priorité de nos dirigeants est de permettre à des hommes de se marier en cachette », a déploré Rim qui préfère taire son nom, se présentant comme une féministe de quarante ans, « célibataire et fière de l’être ». « Nous n’avons pas vaincu Goliath pour vivre maintenant sous l’Inquisition », a-t-elle dénoncé.

Azza Maghour, avocate et militante des droits de l’Homme, estime de son côté que ce n’était « pas le bon moment de faire ces déclarations » ajoutant qu’elle aurait préféré en savoir plus « sur d’autres sujets plus importants, notamment en ce qui concerne la période de transition ».

« Nous ne voulons pas perdre les acquis que nous avions obtenus durant l’ère du socialisme dans les années 1970. C’est un sujet qui doit être soumis au dialogue. Et la femme a le droit de dire son mot », a-t-elle dit.

Juridiquement parlant, elle estime que M. Abdeljalil « a exprimé son point de vue qui engage sa personne et non l’Etat et il n’a pas le pouvoir d’annuler les lois ».

Abdelrahman Al-Chater, un des fondateurs du Parti de la solidarité nationale (centre-droite) a estimé qu’il était « précoce de parler de la forme de l’Etat ». « C’est un sujet qui doit être discuté par les différents courants politiques et le peuple libyen », a-t-il dit.

« Ces déclarations laissent une sensation de douleur et d’amertume chez les femmes libyennes qui ont sacrifié des caravanes de martyrs » pour combattre les hommes de l’ancien régime, a-t-il ajouté.

« L’annulation de la loi sur le mariage, ferait perdre notamment à la femme le droit de garder la maison familiale en cas de divorce. C’est une catastrophe pour les femmes libyennes », a-t-il dénoncé.

La France, l’UE et la FIDH appellent au respect des droits de l’homme

La France et l’Union européenne ont appelé lundi au respect des droits de l’homme en Libye. « Nous serons vigilants à ce que les valeurs que nous avons défendu aux côtés du peuple libyen soient respectées : l’alternance démocratique, le respect de la personne humaine, l’égalité des droits entre l’homme et la femme. Pour nous c’est absolument essentiel », a indiqué ce matin le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé.

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) s’inquiète des « menaces de régression ». « Incontestablement cela m’inspire une inquiétude à l’égard de ce qu’il faut appeler clairement des menaces de régression (…). Les Libyens et les Libyennes doivent faire preuve de vigilance. Il n’y a pas eu des milliers de morts pour qu’aujourd’hui il y ait un retour en arrière à l’iranienne », a déclaré sa présidente.

Peu après, le chef du CNT a tenté de rassurer la communauté internationale. « Je voudrais que la communauté internationale soit assurée du fait qu’en tant que Libyens nous sommes musulmans, mais musulmans modérés », a-t-il déclaré au cours d’une conférence de presse.

« Lorsque j’ai cité (dimanche) comme exemple la loi régissant le mariage et le divorce, j’ai juste voulu donner un exemple (de lois allant à l’encontre de la charia) car la loi (actuelle) n’autorise la polygamie que dans certaines conditions. Or la charia, à l’appui d’un verset du Coran, autorise la polygamie » sans conditions, a-t-il poursuivi.

Dimanche, outre l’exemple de la loi sur le divorce et le mariage, M. Abdeljalil avait annoncé l’ouverture de banques islamiques en Libye qui conformément à la loi islamique interdisent de toucher des intérêts.

(Source AFP)

2) Rached Ghannouchi (dirigeant d’ENNAHDA) dans le texte

3) Tunisie, Libye : Alger s’inquiète d’une montée de l’islamisme Entretien

La diffusion du film Persépolis en Tunisie, dont une scène représente Dieu, a provoqué des manifestations à Tunis. En Algérie, on se souvient de 1989 et de la guerre civile.

Comment la diffusion d’un film peut faire ressortir le spectre islamiste ?

- Ce film n’aurait pas pu être diffusé dans un autre pays de la région. On a cru pendant des années que l’islamisme avait disparu de Tunisie, mais il était juste étouffé par la dictature. Or, les mouvements salafistes sont une lame de fond qui va de l’Indonésie au Maroc.

Bien que le parti tunisien Ennahda, qui a condamné les manifestations, souhaite être l’équivalent de l’AKP au pouvoir en Turquie qui allie laïcité et islam, des mouvements extrémistes ont réussi à galvaniser des dizaines de milliers de personnes, qui n’attendaient qu’un prétexte pour s’exprimer. Si on peut estimer qu’il y a au maximum 3.000 salafistes, tous courants confondus en Tunisie, leur poids et leur capacité à rassembler fait peur. Il est également important de noter que de nombreuses femmes ont participé aux manifestations.

La presse algérienne fait les gros titres de cet événement qui se limite à la Tunisie. Pourquoi une telle inquiétude ?

- L’Algérie est très inquiète de la montée des islamistes en Libye. Elle craint une "afghanisation" du conflit. Si la guerre ne finit pas, il y a un risque que la région soit complètement déstabilisée, jusqu’au Maroc. Et la Tunisie est le maillon faible. L’Algérie finance le parti au pouvoir, afin de sécuriser au maximum le pays. Mais comme me l’a confié le ministre de la Communication, l’inquiétude vient de l’instrumentalisation des Tunisiens par les islamistes libyens. Un des problèmes est que les frontières ont été dessinées de manière totalement arbitraire. Si bien que les mêmes tribus vivent dans les deux pays. Si l’une s’enflamme, la ligne administrative n’arrêtera pas la contagion. Or, le spectre de 1989 hante toujours les esprits algériens. L’arrivée du multipartisme et la montée des islamistes avait entraîné une guerre civile qui a fait 150.000 morts et des milliers de disparus dans les deux camps.

Les islamistes sont-ils toujours très présent en Algérie ?

- L’islam fait partie de la culture maghrébine. Les islamistes ne s’affichent pas dans les quartiers populaires. Toutefois, à Alger, le nombre de "barbus" a diminué. Ce qui est le plus marquant est la réappropriation de la culture algérienne. Les gens portent de nouveau les vêtements traditionnels - Djellaba ou Jebba tunisienne. La mode des tenues venues des pays du Golfe, qui financent les salafistes à coup de pétrodollars, recule.

La jeunesse d’Alger découvre ces tensions et les souvenirs encore brûlants de la guerre civile. Mais on note un dégoût pour la politique et les islamistes. Les jeunes commencent enfin à revivre dans Alger, même s’il reste un terrorisme résiduel. Bref, ces grandes manifestations du voisin tunisien effraient aussi bien les dirigeants que les hommes de la rue. Le spectre de 1989 est toujours bien présent.

Farid Aïchoun - Le Nouvel Observateur

4) Pour l’historien Benjamin Stora, les transitions vont prendre du temps

Benjamin Stora, historien, spécialiste du Maghreb (1), a récemment analysé, dans une série d’entretiens, les révolutions du printemps arabe.

Kadhafi, Ben Ali, Moubarak disparus de la scène, comment voyez-vous l’évolution des pays arabes ?

Les têtes d’affiche des systèmes dictatoriaux ont disparu, il reste à construire un Etat de droit. Il fallait en passer par là. Mais la nouvelle scène qui commence est pleine de risques - en particulier sur la question du lien national - et d’espoirs, pour ce qui concerne les libertés individuelles et politiques. On a levé l’hypothèque des régimes autoritaires dans ces trois pays, l’Egypte, la Tunisie et la Libye ; en Algérie, la situation reste plus incertaine.

Maintenant, il est illusoire de croire que la fin des régimes autoritaires débouche de manière automatique sur des régimes démocratiques, parlementaires, comme on en connaît en Europe. Il faut d’abord conquérir l’habitude de la démocratie. L’habitude du débat démocratique, de l’exercice démocratique. Et cela passe par l’installation du multipartisme. Mais le problème, c’est justement la constitution de formations politiques. L’une des caractéristiques de ces régimes autoritaires, c’était d’empêcher tout parti intermédiaire entre la société et le pouvoir. Il faudra du temps pour construire ces médiations intermédiaires. L’habitude démocratique, c’est également admettre la parole des autres. Il faudra que les partis politiques acceptent l’idée qu’on puisse avoir des programmes différents.

Le grand enjeu pour les pays arabes est donc d’admettre la pluralité. Ces transitions ne se feront pas rapidement. La démocratie est une idée neuve au Maghreb, dans ces pays où les indépendances leur ont été confisquées depuis cinquante ans.

Et le problème religieux ? Le rôle politique de l’islam ?

La question de la religion se règle avec l’approfondissement de l’habitude démocratique. Les régimes de dictature n’ont pas fonctionné comme des remparts contre le tout-religieux. C’est dans la compétition démocratique qu’on pourra trouver la place respective de l’Etat civil et du religieux. Par exemple, l’islamisme en Tunisie est incarné par des milliers de prisonniers politiques, qui construisent l’appareil politique du mouvement islamiste. Ils entretiennent la mémoire et la résistance en raison de ces années en prison. C’est un capital symbolique très fort face au Pôle démocratique en constitution. La bataille n’est pas finie.

On a les yeux braqués sur la Tunisie, c’est là où tout a commencé. Et l’issue du scrutin en Egypte dépend en partie de ce qui se passera en Tunisie. En Libye, il s’agira de préserver l’unité nationale avec les différentes tribus, et aussi de récupérer les armes en circulation pour recomposer une armée régulière.

Il est clair que la démocratie ne peut avoir une temporalité rapide après un demi-siècle de dictature. On ne peut pas en demander plus à des sociétés dont les élites politiques et intellectuelles ont été assassinées, réduites au silence, à la clandestinité, poussées à l’exil. L’histoire ne fait que commencer.

Par ANNETTE LÉVY-WILLARD, Le Monde


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