Déclaration de la délégation du Parti de Gauche présente en Tunisie

mardi 1er novembre 2011.
 

Alors que les résultats officiels portant sur 151 sièges sur 217 députés à élire pour l’Assemblée constituante, viennent d’être publiés, dans l’attente des résultats du grand Tunis, la délégation du PG présente sur place a rédigé la déclaration suivante mercredi soir :

Le 23 octobre, à peine dix mois après avoir reversé la dictature policière et corrompue de Zine el Abidine Ben Ali, le peuple de Tunisie était convoqué pour élire l’Assemblée chargée d’élaborer la nouvelle constitution qui doit instaurer et pérenniser une démocratie véritable dans ce pays.

Par ce scrutin historique, sans véritable précédent dans le monde arabe, les citoyens tunisiens ont librement exprimé leur volonté souveraine en votant massivement et avec un civisme impressionnant dans le cadre d’un dispositif électoral préparé ex nihilo et en un temps record.

Plusieurs constats peuvent d’ores et déjà être faits :

Les fraudes et démarches attentatoires à la démocratie semblent avoir été marginales, à la notable exception de la liste dite "Pétition populaire", appuyée sur une télévision privé émettant depuis le Royaume-Uni, qui a notamment poursuivi une propagande partisane contraire au code électoral jusqu’au jour du vote. Cette liste pourrait encourir une invalidation.

Les résultats connus à cette heure, même s’ils sont encore partiels, placent le parti islamiste Ennahda en première position, loin devant ses concurrents, avec plus de 40% des sièges. Ce parti, qui s’inspire des principes des Frères musulmans et ne fait pas mystère de sa volonté de les appliquer à la société tunisienne, s’il n’a pu atteindre seul la majorité absolue, pourra sans doute compter sur l’appoint de formations opportunistes prêtes à s’allier avec lui, pour dominer l’Assemblée nationale constituante, et peser de façon conservatrice et rétrograde dans l’élaboration de la nouvelle constitution, ainsi que sur la politique nationale menée durant cette phase d’élaboration.

Les formations de la gauche démocratique, qui se sont présentées en ordre dispersé, avec des programmes reprenant très insuffisamment les aspirations des couches populaires les plus déshéritées subissent une lourde défaite, et auront une grande difficulté à faire entendre leur voix.

Il leur appartient de se ressaisir, d’élaborer une ligne politique dépourvue d’ambiguïté sur la redistribution radicale des richesses et sur l’éradication de la corruption, susceptible de rassembler à l’avenir une majorité de Tunisiens, et notamment ceux des classes populaires.

Le Parti de gauche sera à leurs cotés.

(Membres de la délégation du Parti de Gauche : Raquel Garrido (secrétaire nationale), Alain Billon (responsable national de la commission Maghreb - Machrek), Alain Chaignon (PG 34), Lotfi Mzoughi (PG Paris 12e) et Alexis Corbière.

1) Et la Tunisie ? (Jean-Luc Mélenchon)

A l’heure où je préparais cette note mes camarades présents sur place suivaient le recollement des résultats. Je me tenais au courant. Et voici que je reçois du texte. Maintes fois j’ai donné sur ce blog des correspondances des miens qui vont et viennent. Je suis fier de savoir qu’eux aussi vivent souvent le crayon à la main, notent, commentent, analysent en écrivant. Parmi ceux-ci, mon ami Alexis Corbière. Je vous ai déjà renvoyé par lien hypertexte vers son blog bien des fois. Il m’a adressé à ma demande son coup d’œil. Il se retrouvera dans la note qu’il se prépare à poster. J’en ai extrait quelques lignes. J’ai laissé de côté son témoignage au fil des heures. J’ai retenu pour vous son analyse du succès de la liste des religieux puisque c’est ce fait qui polarise l’attention. Mais d’abord la scène du lieu d’où il écrit. « J’écris ce billet, en compagnie des autres camarades de la délégation du PG, Raquel Garrido, d’Alain Chaignon et Lotfi Mzoughi. Alain Billon nous rejoindra tout à l’heure. Nous sommes les seuls représentants d’un parti politique français. Nous sommes au Média Center sur l’avenue Mohamed V de Tunis, dans une salle de presse au milieu de journalistes du monde entier. C’est là que les premiers résultats électoraux vont être délivrés cette nuit. »

Il analyse le vote pour les religieux. Il commence par montrer la force du harcèlement médiatique dont ce parti a bénéficié grâce à tant de chaînes de télévision et radios vouées à la religion. Singulièrement depuis la révolution. Mais il met en garde. Ce n’est pas d’aujourd’hui. « Le « matraquage » idéologique dans les milieux populaires n’est pas né après la révolution de janvier 2011. Il dure depuis des années et faisait en réalité bon ménage avec la dictature du RCD. « Le fer et le baillon », pour reprendre une expression d’un quotidien de Tunis, qui ont régné pendant plusieurs décennies allaient de pair avec le Coran télévisé. Ces prêches cathodiques permanents, déclinés de manière directe ou indirecte, ont été le seul horizon culturel pour des millions de tunisiens. On en paye le prix aujourd’hui. »

« Aussi, il apparaît clairement que le principal argument de Zine Ben Ali depuis 1987 pour le maintien de son régime despotique, à savoir la lutte contre l’islamisme politique, était un leurre. C’est une règle universelle. Il n’y a pas de lutte contre l’islamisme politique sans bataille culturelle. Il ne peut pas y avoir de bataille culturelle sans liberté, et notamment sans liberté d’expression. La lutte contre l’islamisme politique ne peut réellement commencer qu’aujourd’hui. La possibilité d’exercer sa souveraineté politique via l’assemblée constituante était la condition sine qua none. » « Enfin, la question sociale, les problèmes de chômage, de santé, d’éducation, de redistribution des richesses, qui furent le principal moteur de la révolution citoyenne ont semblé oubliés dans le débat public qui a précédé ce vote. Ces sujets auraient dû être la pomme de discorde entre les formations durant ce vote, mais ils ont a semblé absents, laissant la place à un débat biaisé sur l’identité nationale de la Tunisie, et donc la place de la religion. Pour le petit peuple, la Révolution n’a pas tenu sa promesse. Un doute et une déception s’est installée. Les religieux en ont profité. C’était sans doute une erreur. On ne doit jamais contourner la question sociale et oublier le peuple. » Je partage cette conclusion d’Alexis Corbière.

Devant les résultats soyons paisibles. Trop de commentateurs se réjouiront de pouvoir s’affliger. Trop heureux de montrer que la révolution ne « mène nulle part ». Trop contents de pouvoir faire constater que les pays de culture musulmane ne peuvent produire autre chose que de l’obscurantisme religieux. Nous y opposerons le respect du suffrage universel. Nous soulignerons qu’en dépit de tous les matraquages médiatiques, alors même que 90% de la population est musulmane, 60 % des électeurs n’ont pas choisi la voie de l’islamisme politique. Nous ferons remarquer que 25 à 30% des électeurs ont voté au total pour des listes de gauche et laïque. Dans quel autre pays du Maghreb et du Moyen-Orient cela est-il possible ? Nous soulignerons que par conséquent le problème posé ce n’est pas celui de l’islamisme politique, dorénavant bien connu et délimité. Le problème est celui de l’éparpillement des listes « laïques », la faiblesse de la gauche de transformation voire son inexistence. Dans les faits les maigres scores pour chacune de ces listes, en les éliminant de la répartition des sièges, a produit que 22% des électeurs ne seront pas représentés ! Ce constat n’est pas seulement destiné à produire des regrets. Il s’agit surtout d’aider à penser la suite en prenant la mesure de la responsabilité de chacun. Donner la priorité sur toute autre considération au refus de l’islamisme politique peut conduire à des choix aberrants. La diabolisation ne mène pas plus loin que n’a mené celle du Front national en France. Le régime de Ben Ali se nourrissait de cette sorte de sentiment. L’islamisme politique doit être déconstruit. Cela commence par le fait de ne pas confondre l’islamisme politique et l’islam comme foi personnelle. 60 % des tunisiens font cette différence.

La vraie responsabilité est donc celle de la gauche laïque. Est-elle capable d’offrir une alternative crédible à toute la société ? Nous, ici, l’autre gauche en France, évidemment nous avons aussi des responsabilités. Et même des devoirs, compte tenu du nombre de nos compatriotes qui sont binationaux et du nombre de nos parents et enfants désormais communs. La vie tunisienne est pour nous une affaire de famille, je l’ai déjà dit. Notre façon de traiter et de respecter le rythme et les décisions des citoyens tunisiens est décisive pour nous-même, ici même. Nous devons continuer à défendre les principes auxquels nous croyons pour ici comme pour là-bas. Nous le ferons non seulement sous la règle exigeante du débat argumenté. Mais nous le ferons conjointement. C’est-à-dire que nous allons le faire avec nos homologues tunisiens. Agir de cette façon est une contribution directe au combat démocratique et laïque sur les deux rives de notre mer méditerranée.


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