Mario Draghi Le dragon des marchés s’installe à la BCE

dimanche 20 novembre 2011.
 

Mario Draghi entend cracher le feu de l’austérité comme le sortant de la BCE, Jean-Claude Trichet. Il a fait ses preuves chez Goldman Sachs, la banque américaine qui « aida » jadis Athènes à trafiquer ses comptes pour entrer dans l’euro.

Si Mario Draghi s’installe mardi prochain dans le fauteuil de président de la Banque centrale européenne, il le doit au veto français sur la candidature de l’Allemand Axel Weber, jugé « trop rigide », à l’inquiétude de Silvio Berlusconi face à la concurrence potentielle d’un gouvernement de « techniciens » et, surtout, à son image qui s’écarte des stéréotypes sur les habitants de la péninsule, taxés souvent, par certains de leurs « partenaires » du Nord, de laxistes en matière financière.

Austère, rigoureux, secret, grand bosseur, « unitalian » comme le définit la presse anglo-saxonne, Draghi est particulièrement apprécié par les marchés financiers en Europe et aux États-Unis. En Italie, il a gagné du gallon lorsqu’il était directeur général du Trésor entre 1991 et 2001, à une époque où privatisations et austérité budgétaire s’imposaient déjà sous la houlette du traité de Maastricht. Il a servi successivement des gouvernements de centre gauche ou «  techniques  », tout comme le cabinet Berlusconi. De plus, il a su rétablir la crédibilité de la Banque d’Italie, en difficulté après 2006 et les scandales de la gestion d’Antonio Fazio. Jusqu’à obtenir la présidence du Financial Stability Board (office de stablilité financière), créé par le G20. Il est désormais «  Super-Mario  », entouré d’une légende d’autant plus tenace qu’il ne se confie pas facilement aux médias.

Mario Draghi, brillant grand commis de l’État italien, formé dans le lycée prestigieux des jésuites romains, se veut, en apparence, indifférent aux jeux politiques. Ainsi n’a-t-il pas fait carrière au sein de la Banque d’Italie, à l’image de Carlo Azeglio Ciampi, gouverneur de l’institut, puis chef de gouvernement «  technique  » en 1993-1994, puis président de la République de 1999 à 2006.

Draghi est avant tout un Italien qui a fait une grande partie de sa carrière entre les États-Unis et Londres. Il a parachevé ses études au MIT (Massachusetts Institute of Technology) de Boston, à la cour du prix Nobel Franco Modigliani, et a travaillé à Washington en qualité de directeur exécutif de la Banque mondiale (1984-1990). Homme lige des marchés et des États-Unis, il a séduit la City londonienne lorsqu’il était vice-président et directeur européen de l’une des plus grandes banques états-uniennes, Goldman Sachs, entre 2002 et 2005. Il tutoie l’actuel secrétaire au Trésor de Washington, Tim Geithner, et le président de la FED, Ben Bernanke. Plus récemment, il s’est appliqué à donner des gages à chancelière Angela Merkel pour la convaincre qu’avec l’Italien qu’il était, la BCE resterait droite dans ses bottes, l’œil rivé sur le moindre frémissement de l’inflation.

Peu importe que Goldman Sachs, à partir de l’an 2000, ait aidé les autorités grecques à maquiller les comptes publics pour pouvoir rentrer dans la zone euro  : «  Super-Mario  », lors de son audition au Parlement européen en juin dernier, s’est défendu en affirmant que les contrats en question avaient été signés avant son entrée à la banque américaine et qu’il n’avait joué aucun rôle dans le suivi de leur gestion. Autrement dit  : le représentant de Goldman Sachs en Europe n’était pas au courant de l’une des grosses opérations de sa propre banque sur le Vieux Continent…

Draghi aura la charge d’appliquer à la tête de la BCE le «  soutien  » à la Grèce et aux autres pays «  à risque  », y compris le sien, dans la même ligne que le sortant Jean-Claude Trichet. C’est lui qui, avant même de s’installer à Francfort, a signé avec Trichet une lettre «  ordonnant  » au gouvernement Berlusconi de ramener le déficit à zéro en 2013 par des mesures draconiennes allant jusqu’à la «  réduction des salaires  » du secteur public et à l’assouplissement des procédures de licenciement.

Dans la péninsule, il est devenu la cible du mouvement des Indignés, qui a mobilisé le 15 octobre dernier plus de cent mille personnes dans les rues de Rome, à l’occasion d’une manifestation marquée aussi par de violents affrontements. Une partie des jeunes manifestants, étudiants et travailleurs précaires, s’est présentée comme des «  Draghi ribelli  » (dragons rebelles), ironisant sur le nom de famille du banquier central, qui dicte ses conditions aux institutions d’un pays dit souverain.

Alessandro Mantovani, L’Humanité


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