12 décembre 1981, l’état de guerre est proclamé en Pologne

mardi 13 décembre 2022.
 

Depuis la mi-août, le chantier naval Lénine à Gdansk est occupé par les travailleurs. Partout, en Pologne, des grèves éclatent. Le Poup ne contrôle plus la situation. Face à la crainte d’une guerre civile, l’état de siège est instauré, les opposants arrêtés, les libertés confisquées.

Varsovie, 12 décembre 1981. La nuit est déjà tombée sur la capitale polonaise. En hiver, la nuit tombe l’après-midi. Le téléphone sonne. Un ami finlandais, correspondant du quotidien de la fraction prosoviétique du Parti communiste , m’appelle. Il veut me voir. De suite. Je lui propose le lendemain matin. Trop tard, me dit-il. Je tâche d’en savoir plus. Il vaut mieux de vive voix, assure-t-il. Comme il est seul avec ses enfants en bas âge, je me déplace chez lui, place Zbawiciela… dans l’appartement autrefois occupé par les correspondants de l’Humanité.

La décision prise antérieurement par le bureau politique du Poup (1) va être mise en application dans la nuit  : le pouvoir va être remis à un comité militaire de salut national (le Wron, selon les initiales polonaises, ce qui ne manquera pas d’être à l’origine de nombreux jeux de mots, wrona signifiant corneille…), dirigé par le général ­Jaruzelski, premier ministre et premier secrétaire du parti ouvrier unifié. Mais pour que le Wron puisse assumer le pouvoir, il faut que la présidence collective de la République, le Conseil d’État, proclame l’état de siège (2).

Dans la nuit, les chars entrent en action. Les téléphones sont coupés. Les frontières sont fermées. Des zones de Varsovie sont déclarées interdites à toute circulation, y compris à pied. Les conducteurs des rares voitures qui peuvent y pénétrer doivent être munis d’un mot de passe qui change parfois plusieurs fois par jour. Un couvre-feu drastique est instauré. Des militaires sont en place à chaque carrefour. Des chars surveillent les principales artères. La censure est installée. Toutes les communications avec le monde extérieur sont interrompues.

Des milliers de militants et de sympathisants de Solidarnosc sont arrêtés, ainsi que quelques dizaines d’anciens responsables du Parti, de l’équipe Gierek, écartée en septembre 1980. Le matin du 13, de brefs affrontements opposent quelques centaines de jeunes aux forces de l’ordre, devant le siège du syndicat de Mazovie. Les militaires pénètrent à l’intérieur de l’usine sidérurgique Huta Warszawa. À Katowice, les événements sont plus graves. Neuf mineurs sont tués par des unités spéciales lorsque les forces de l’ordre donnent l’assaut de la mine Wujek, le 16 décembre.

La raison officielle de l’intervention de l’armée est le risque de guerre civile qui guette le pays. Sous-entendu, s’il y a guerre civile, il y a aura intervention soviétique, et cela débouchera sur une crise mondiale pouvant conduire à la guerre. Il n’y a pas que du faux dans cette dramatisation, mais elle tend à faire porter la responsabilité de cette impasse aux Soviétiques (Brejnev est alors encore vivant) et escamote les responsabilités internes.

En 1980, la situation économique est difficile et le pouvoir s’enferme dans une vision purement économiste de la situation, refusant toute réforme de nature politique. En juin, éclatent à Lublin de premières grèves et un comité interentreprises est créé. Certains responsables voient plutôt d’un bon œil cette poussée ouvrière qui met en cause la politique du premier ministre, Edward Babiuch, qui remplace depuis février Piotr Jaroszewicz, inamovible premier ministre durant la décennie 1970 et qui mourra assassiné en septembre 1992.

Des grèves éclatent dans différentes villes de province jusqu’au point culminant, à la mi-août, de l’occupation du chantier naval Lénine de Gdansk, qui donne le coup d’envoi réel à une généralisation de la grève. Au chantier, siège alors en permanence le comité interentreprises de grève du littoral, présidé par Lech Walesa, qui regroupe des centaines d’entreprises. Dans un climat tendu, les négociations – retransmises en direct – s’engagent et déboucheront sur la reconnaissance officielle des syndicats indépendants, en septembre.

La direction du Poup, sous l’impulsion de Stanislaw Kania, successeur d’Edward Gierek, tente de mettre en œuvre une « rénovation du socialisme » qui se heurte à des oppositions au sein du Parti et à des mises en garde de la part de la direction brejnévienne du Pcus et de pays socialistes comme la RDA et la Tchécoslovaquie. Par contre, les Hongrois suivent de près l’expérience, la soutiennent même, mais s’angoissent, compte tenu de leur propre expérience, d’une possible intervention militaire extérieure.

Des courants au sein du Parti, mais aussi de Solidarité poussent à l’affrontement. De fait, la direction du Poup, comme paralysée, refuse tout débat politique. Elle préfère avoir recours aux méthodes administratives.

L’état de siège sera allégé à plusieurs reprises et débouchera, en 1989, sur l’organisation d’une table ronde avec l’opposition et le pluralisme politique. Un premier ministre issu de l’opposition, le catholique Tadeusz Mazowiecki, est alors nommé premier ministre.

envoyé spécial permanent de l’Humanité à Varsovie de 1980 à 1983

(1) La décision prise par la direction du Parti consiste à dire que des mesures seront prises et elle en laisse la latitude au général Jaruzelski.

(2) État de guerre en polonais, la notion d’état de siège n’existant pas en droit constitutionnel polonais.

« Dans la nuit, les chars entrent en action.
Les téléphones sont coupés. Les frontières sont fermées. »

La nuit du 12 décembre 1981, à Varsovie. Les forces de l’ordre s’opposent aux militants et sympathisants de Solidarnosc, dont des milliers seront arrêtés.

Quelques dates

Décembre 1970  : des manifestations 
ouvrières sont violemment réprimées à Szczecin et à Gdansk, où, officiellement, on relève 
44 morts  ; officieusement, les victimes seraient plus de 200. À la tête du Poup, Wladyslaw Gomulka est remplacé par Edward Gierek, 
qui entreprend de moderniser la Pologne.

1976 : les émeutes ouvrières de Radom 
et Ursus débouchent sur la création du KOR 
(le comité de défense des ouvriers). Sur les ports de la Baltique se créent des syndicats libres, 
qui agissent clandestinement.

1978 : le cardinal archevêque de Cracovie, 
Karol Wojtyla, est élu pape. Son premier voyage officiel dans son pays d’origine tourne 
à la démonstration de force.

Été 1980  : mouvement de grève sans précédent suivi de la légalisation de Solidarité.

13 décembre 1981  : la loi martiale est décrétée.

22 juillet 1983  : levée de la loi martiale.

1989 : nomination de Tadeusz Mazowiecki 
au poste de premier ministre.

1990 : Lech Walesa élu président 
de la République.

Udo Schreiber/Gamma

Jacques Dimet,


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