Elections étudiantes chiliennes : le candidat soutenu par l’extrême gauche devant Camilla Vallejo (soutenue par le PC)

samedi 31 décembre 2011.
 

Le mercredi 7 décembre 2011, Camila Vallejo (étudiante en géographie et militante du parti communiste) a perdu l’élection à la président de la fédération étudiante chilienne malgré sa popularité. Étudiant en droit, moins médiatique, Gabriel Boric remporte les suffrages. Il est également militant de gauche et affiche une posture plus radicale. Camila Vallejo est nommée vice-présidente. Sa liste, Izquierda Estudiantil (la gauche étudiante) est 189 voix derrière celle de Gabriel Boric, Creando Izquierda (Gauche en création) : 3864 suffrages contre 4053.

Ci-dessous :

1) Discours de Camila Vallejo sur le bilan de l’année 2011 et le mouvement étudiant chilien qui a l’a marquée

2) L’aile radicale de la confédération des étudiants chiliens soutenue par l’extrême gauche

1) Discours de Camila Vallejo sur le bilan de l’année 2011 et le mouvement étudiant chilien qui a l’a marquée

Difficile cette année de faire un bilan de notre fédération, le simple fait de s’asseoir et d’évaluer, examiner les contenus, ce qui a été fait et oublié, sont des exercices qui nécessitent du temps et de calme, deux éléments que, jusqu’ici, nous n’avons pas eu et qui entravent le temps d’analyse pour examiner l’année qui vient de s’écouler.

À cela, il faut ajouter la profondeur et la portée qu’a eue le mouvement social pour l’éducation, parce que, contrairement à ce qui a été présenté, il n’a pas couvert que le monde étudiant, ni s’est contenu dans les murs de notre université. Au contraire, nous avons déclenché un mouvement qui a secoué le pays, a contaminé le continent et a rivé les yeux du monde sur nous, et sur nos résultats. Donc, faire le bilan de la FECh (Federación de estudiantes universidad de Chile, la fédération étudiante principale du Chili) qui n’inclus que la FECh n’est pas approprié et ne correspond pas à réalité de notre gestion.

Toutefois, pour commencer, je voudrais remercier tous ceux qui ont joué un rôle dans la construction de ce processus. Aux fonctionnaires de la FECh pour leur engagement et travail sans faille au cours de l’année, pour leur patience et leur loyauté envers l’organisation, en dépit de combien il est difficile de travailler avec des étudiants tous les jours, quand bien même ils ne comprennent pas pleinement les conditions du monde travail.

Nous leur devons notre plus profond respect et engagement pour faire de leur travail une valeur à soigner et à protéger. Sans aucun doute, à ma famille et à Julio, grâce à son inconditionnel soutien, amour et dévouement, j’ai pu développer une grande partie de mon travail à la FECh, même dans les moments les plus difficiles.

Aux fonctionnaires du siège central qui nous ont rejoint et aidé prendre soin de la Casa de Bello. Aux universitaires qui ont été courageux et qui depuis des sombres laboratoires, bibliothèques et bureaux ont levé leur voix dans notre université, qui ne s’était fait entendre depuis bien longtemps.

A ceux qui se sont engagé activement et pas seulement en paroles, qui se sont levé tôt pour avoir à préparer la grève du lendemain, qui ont été mouillés dans les manifestations, ceux qui ont dansé, joué et créé pour ce mouvement.

Aux étudiants du secondaire pour leur capacité à se donner et à leur bravoure, aux étudiants des institutions privées qui ont réussi à renouveler l’air de ce mouvement, aux enseignants qui ont travaillé en étroite collaboration avec les étudiants malgré les attaques incessantes reçues. Aux habitants des quartiers populaires qui nous ont rejoints dans les cacerolazos (ndlt : chahut de mécontentement en tapant sur des casseroles), les barricades et les assemblées territoriales, au personnel de l’éducation et autres domaines qui ont fait des efforts acharnés pour montrer leur solidarité et participer aux mobilisations et souvent dans les discussions.

Enfin, à tous ceux qui depuis leurs différents fronts d’action, ont contribué à ce mouvement avec des petites et grandes choses.

Et je ne voudrais pas laisser de côté ceux qui ne sont plus présents pour partager cet important processus, mais qui, sans aucun doute, sont de grandes références de l’histoire, sans laquelle nous n’aurions pas eu la capacité politique, théorique, morale et historique de soulever et de diriger ce mouvement.

Je fais référence ici de Marx, de Lénine, de Luis Emilio Recabarren, de Violeta Parra, de Victor Jara, de Gladys Marín, de Luis Corvalan, de Gramsci, de Salvador Allende et beaucoup d’autres à qui nous devons cela et beaucoup plus, ils sont toujours à nos côtés dans cette longue marche.

Deuxièmement, je voudrais partager avec vous quelques réflexions qui sont nés de l’expérience, du vécu fondamental qui a laissé ce 2011 gravé sur nous. Nous avons aujourd’hui l’intime conviction que la force érigée à partir de ce mouvement doit devenir une possibilité réelle de la transformation sociale au Chili. Cela doit signifier un changement dans la vie de notre peuple et doit devenir un exemple de lutte pour tous les peuples du monde dans leur quête pour plus de démocratie, de justice sociale et de la protection de nos droits fondamentaux, face à l’assaut et la colonisation par le marché.

J’ai pleine confiance que pour vous tous cette année s’est traduite par l’un des plus importants processus de maturation et de développement à la fois personnellement et politiquement. C’est une année où nous avons tous appris, donc où nous avons tous gagné.

Certaines personnes ont dû apprendre à tomber très durement, d’autres ont dû apprendre que le passé as de la valeur dans le présent et se configure comme un facteur déterminant pour l’avenir, d’autres ont appris que l’on ne pouvait pas maintenir le peuple éternellement trompé et démobilisé.

En bref, c’est une année où le Chili a clairement gagné, et c’est une source de fierté pour les étudiants de notre université, nous pouvons dire aujourd’hui avec plus de force et d’autorité que le Chili appartient à tous les Chiliens. Nous pouvons aujourd’hui regarder sans honte le pays et lui dire : voici ton université et de-là nous luttons pour un nouveau Chili, de-là nous luttons pour que dans ses auditoires puissent prendre place les enfants de ton peuple, les fils de bonnes familles ne sont pas suffisants pour nos rêves.

Nous disons aussi que durant ce processus nous avons eu des réussites et des échecs, des joies, des frustrations et des désaccords, des incertitudes et des certitudes, en bref, des expériences infinies, qui sans doute, sont maintenant examinés dans le for intérieur de chacun, pour devenir plus tard un ensemble d’éléments qui serviront à projeter un meilleur paysage politique pour les années à venir.

Et je dis cela parce que nous comprenons que chacun, individuellement ou collectivement, ont fait ou vont faire cette analyse, un processus auquel je tiens à ajouter quelques éléments.

A cela, je commencerai par dire, que nous avons commencé cette période avec une grande clarté sur le rôle que nous jouons les étudiants et la communauté universitaire en général, dans le processus de transformation et de démocratisation non seulement de notre université, mais aussi à travers l’ensemble du modèle éducatif, question que nous avons souligné comme une étape stratégique dans le sens de faire avancer notre société vers un mode de vie plus juste, démocratique et libertaire.

Nous comprenions avec clarté les raisons pour lesquelles au Chili a commencé un processus de démantèlement de l’éducation publique et aussi nous avons compris l’importance fondamentale de cette configuration comme le résultat de l’œuvre totale du modèle néolibéral qu’autre fois nous avons hérité par le sang et le feu.

Nous assumons que nous n’avions aucune raison de supporter et de continuer à endurer les conditions imposées par un modèle pour lequel personne ne nous a consulté et c’est ensuite que nous avons décidé de sortir dans la rue à nouveau. Mais depuis notre déploiement, notre discours et nos convictions étaient lourdement armés, ce n’était plus un jeu d’enfant, ce n’était plus une question de temps.

Nous avons compris qu’avant de faire l’éducation il fallait penser l’éducation, qu’avant de parler de la qualité, nous devions discuter de ce sujet et ne pas accepter un concept imposé. Nous avons appris surtout à ne pas tomber dans le vice d’élaborer et de demander des réformes qui n’aient pas de cohérence politique avec la société à laquelle nous aspirons à vivre et à léguer à notre peuple.

Quand nous parlions des changements structurels du modèle, nous parlions de la construction d’un système éducatif qui pourrait nous aider à surmonter la condition hideuse de l’inégalité, de la ségrégation, d’exclusion et de marginalité qui dominent encore notre peuple. Que cela puisse permettre par la voie de la démocratisation du savoir, quant à l’accès, de son appropriation et de sa génération, de développer une place contre-hégémonique, envers les principes et reproduction des matériaux du modèle mercantiliste, catalyseur des inégalités et des injustices les plus profondes de notre société.

Cette année, heureusement nous avons aussi pu expérimenter l’un des plus grands moments de discussion et de participation dans nos espaces universitaires. Ce phénomène s’est concrétisé dans les différents cloîtres et dans les rencontres qui non seulement été en mesure de montrer que nous avons un grand potentiel pour la construction de la communauté universitaire, mais il a également montré que cette construction est possible, que nous pouvons faire des propositions et donner un signal au pays et dire que le public est évident dans tous ces efforts qui ne peuvent être acheté par l’argent.

Maintenant, notre principal défi sera de les renforcer et de faire que ce qui émane de ces espaces d’intégration peuvent devenir un patrimoine de la société et de vrais outils de transformation pour notre peuple. Tout cela exige une plus grande participation de la société chilienne dans les soins et dans l’accomplissement de ses fins.

Je souligne également la nécessité que nous avons en tant que pays, d’aller vers un changement de paradigme dans la façon de faire l’université, et l’université du Chili n’est plus la même qu’avant. Dans une certaine mesure et dans certain sens, nous avons changé notre langage et nous serons tous nous, étudiants, fonctionnaires, universitaires et autorités, les responsables de conduire notre université vers une rupture du statu-quo et de l’ordre actuel existant.

Nous devons la faire progresser vers la construction espaces de rencontre, où peuvent être analysés et remis en question les formes les plus diverses de la vie et des postures politico-idéologiques ; où la diversité doit passer de la théorie à la pratique quotidienne et obtienne l’interaction intellectuelle est humaine qui va nous permettre de répondre à la complexité des problèmes actuels et futurs de notre société.

La vérité est que, le Chili, chaque jour prends conscience qu’il faut prendre des mesures décisives dans la construction d’un système éducatif qui termine avec l’amputation progressive de l’identité et de la diversité culturelle présente dans notre pays. Qu’il abandonne la reproduction de slogans, l’exécution des ordres et l’identification des étudiants et des universitaires à la quête de la réussite individuelle, de l’acceptation des règles du marché, le conformisme et l’oubli… En échange d’un esprit d’unité dans la diversité, avec une nouvelle disposition pour éduquer l’ensemble du peuple dont le but est l’émancipation morale, intellectuelle et matérielle.

Pour cela, il nous a semblé essentiel la prise de conscience que l’éducation doit être comprise comme un droit universel et un investissement social et non comme une marchandise comme certains ont essayé de nous le faire croire.

Mais, camarades, il est important d’être clair que nous ne devons pas tomber dans la même erreur d’autres mouvements de réforme dans notre histoire.

Bien que nous comprenions la validité des revendications contre la segmentation des connaissances et des conceptions technocratiques et autoritaires de l’enseignement, nous insistons en faveur des propositions pour l’autonomie des universités, le pluralisme, la liberté académique, la participation d’étudiants et de travailleurs dans le gestion des bâtiments. Nous ne pouvons pas croire que ce soit la seule façon d’établir une nouvelle société.

La tradition libérale des Lumières qui nous fait croire que la connaissance est ou sera "LA" principale richesse du Chili et, que la réforme universitaire, ou d’éducation en générale est suffisant pour réaliser l’émancipation de notre pays grâce à la culture générale, c’est quelque chose que, bien que cohérente et noble, n’a aucun appui matériel.

La révolution sociale n’est pas seulement une réforme intellectuelle et morale, mais par-dessus tout, c’est un changement radical dans les relations de pouvoir politique, et d’accumulation de la force économique de notre société.

Personne ne peut nier que les gens cultivés sont moins vulnérables à la domination et à la soumission, toutefois, la démocratisation et l’accès culturel, les dominés ne l’obtiennent pas gratuitement, au contraire, il se prends avec conviction et énergie au banquet des puissants.

Comment réussir ces conquêtes qui doivent être l’une des questions principales en ce moment et une tâche majeure de ce mouvement. Pas moins de sept mois de mobilisation, au cours de laquelle nous avons légitimé nos demandes et avons représenté plus de 80% de la population, nous n’avons fait aucun progrès en termes de nos propositions et de nos revendications les plus sincères.

Il n’y a plus de doute qu’à cette époque de l’année, alors que le mouvement confirme son saut qualitatif depuis la demande corporative jusqu’à une demande structurelle et politique, les majorités qui sont descendus dans les rues ne sont plus une majorité d’endettés mais sont plutôt des majorités guidées par le besoin profond de s’opposer à la cupidité et l’arrogance du système, de la dignité des êtres humains et le rétablissement de leurs droits.

En effet, ce n’est pas juste un slogan : le Chili a changé, à chaque coin, à chaque rue, nous voyons comment le Chili est en train de perdre sa peur, comment les gens reviennent à croire à la possibilité de changements et dans l’action collective comme forme nécessaire pour les atteindre.

Ce peuple muet et domestiqué, habitué au conformisme et à l’individualisme, incapable d’élever sa voix contre l’injustice et les abus est bien loin, en revanche, les gens sortent avec joie dans les rues pour restaurer l’espoir perdu. Il clame avec force : Assez d’inégalités ! Assez de profit sur nos droits fondamentaux et assez de cette démocratie de consensus à la Pyrrhus !

Nul doute que notre mouvement a réussi à mettre en évidence les lacunes du système, ce qui a entraîné un changement culturel dans notre pays et, bien qu’encore embryonnaire, nous permet d’ouvrir la possibilité d’aller vers un plus grand état de conscience et de lutte sociale.

Cette année a également été démontrée qu’avec un gouvernement de droite, les avancées sociales pour le peuple est une impossibilité, le système politique présidentiel réussi à que l’exécutif prenne le dessus et peuvent ainsi faire et défaire selon leur envies.

Par ailleurs, les conséquences de la loi binomiale est fortement ressenti dans le parlement, formant des majorités opposées à la population et laissant une marge très étroite à l’action des forces sociales et politiques contraires à l’opinion des puissants.

Changer cet ordre, est aussi une tâche en attente pour notre mouvement, parce que les conséquences se feront sentir fortement dans les projets de loi qui sont déjà en attente au Parlement. Par exemple, le projet de desminicipalizacion (ndlt : permettre aux établissements éducatifs de ne plus dépendre de la commune où ils se situent), de surintendant, loi sur les universités d’État, la démocratisation, la fin du profit, entre autres. En cas d’absence d’une puissante action politique et sociale et efficace de notre part, ces lois seront organisés au goût d’une minorité et au détriment de millions, comme ils l’ont fait dans notre pays au cours de ces trente dernières années.

Et voici un point important de maturité que nous avons acquise dans ce mouvement, notre principal problème ne sont pas les ressources, c’est la démocratie.

La reproduction du pouvoir politique sur lui-même indépendamment de l’inclusion et de la participation de la grande majorité des citoyens a fait perdre la valeur de notre démocratie et à nos citoyens de s’en désintéresser. Ce qui hier était un profond désir de générations entières qui ont donné leur vies pour l’obtenir n’est plus aujourd’hui qu’un mauvais souvenir pour lequel il ne vaut même pas la peine de s’y intéresser.

La classe politique contre laquelle certains croient lutter n’est que le reflet du système de pouvoir existant dans notre société, pour nous il n’y a pas de « classe politique », il y a des classes sociales, où s’inscrivent les dominés et les dominants, les exploiteurs et les exploités.

Nous ne pouvons pas continuer à accepter l’utilisation d’un concept vague et mal défini, qui vient avant tout diminuer et confondre le centre des préoccupations que nous, en tant que peuple devons surmonter le schéma actuel de domination existant dans notre pays. Il faut déplacer la prise de décision de ces secteurs qui jouissent de l’accumulation du capital, associée à l’accumulation du pouvoir politique, communicationnel et culturel. Ceux qui aujourd’hui prennent les décisions pour nous et ne nous permettent pas directement la construction de notre propre avenir. Ils sont la géométrie du pouvoir qui est constitué comme un bâillon sur les progrès du peuple Chilien en matière des droits et des revendications, c’est contre leurs privilèges que nous nous luttons.

Pour cette raison, il n’est pas acceptable de renoncer à la quête de ces espaces de représentation au sein des institutions politiques. Nous ne pouvons nous refuser de renverser le rapport des forces au sein de ce faux institutionnalisme bourgeois. Au contraire, cela devrait devenir l’une des étapes fondamentales que le mouvement doit atteindre, non pas l’unique, mais nous devons certainement amener la majorité des rues à l’intérieur du parlement et de l’appareil d’État, et que les travailleurs, habitants des quartiers populaires et étudiants puissent prendre les rennes de leur propre avenir, en participant, sans autres intermédiaires, dans la rédaction des lois et des règlements qui nous donnent nos droits en retour.

Aujourd’hui, grâce à la mobilisation historique déclenchée dans notre pays, nous avons réussi à faire apparaître des crevasses et des fissures dans la construction néolibérale dominante hégémonique, installés depuis plus de trente ans de dictature. Toutefois, celle-ci n’est pas encore vaincue, elle a des fissures et elle est épuisée, mais rien n’indique qu’elle puissent se recomposer avec leurs propres forces, comme historiquement, cela a déjà été fait et reviennent donc, à nouveau les forces néolibérales et réactionnaires afin d’accéder au pouvoir pour rétablir son hégémonie et même de la blinder.

Il y a une crise de légitimité du néolibéralisme, c’est clair, maintenant il dépend de nous et les forces démocratiques d’avancer avec conviction et force pour vaincre l’ignoble machinerie qui ne peut plus continuer à se soutenir.

La force et la pression de démocratisation qui génère les mouvements et les organisations sociales ne sont plus seulement en demande de réformes sectorielles au modèle, mais par-dessus tout, veulent faire avancer le pays vers la construction d’une société plus juste et égalitaire, voilà le défi stratégique de notre mouvement.

Je ne peux pas conclure, sans indiquer quelques-uns des défis que nous avons, en tant que pays, en attente.

Le Chili doit évoluer vers un modèle de société qui remplace le principe de la concurrence par celle de la coopération, remplacer l’individualisme par la solidarité et l’action collective, la propriété privée par le public, permettant la socialisation des forces productives et le partage équitable du travail commun, la reconnaissance effective du droit des individus à vivre pleinement sa vie intellectuelle et morale.

Il est urgent de renouveler la vie publique pour reconstruire le tissu social, d’élargir les fondements de la justice, et de construire une nouvelle géographie du pouvoir, qui ne permette plus les abus ou l’exploitation.

Les espoirs du peuple sont en chacun de nous, les étudiants et les démocrates chiliens, la gauche chilienne ne peut ignorer le nouveau scénario dans lequel nous sommes engagés, et encore moins répéter les vieilles recettes dont l’expérience historique nous dit qu’elles ont été infructueuses.

Nous devons être capables de définir un nouvel horizon pour notre développement, un nouveau chemin par lequel notre modèle de société et notre démocratie va circuler. Nous avons besoin d’un nouveau cadre dans lequel tous pareils, avons les mêmes droits et les mêmes libertés.

Enfin, je dirais que ce qui vient est tout aussi ou plus important que le passé, peut-être que l’année prochaine il n’y ait pas de manifestations massives comme cette année, mais cela ne sera pas une excuse pour ne pas intensifier les combats.

Je voudrais donner mes salutations à Gabriel Boric, et lui dire qu’il a tout mon soutien en cette année de gestion qu’il devra vivre, que, malgré les inventions des médias et des rumeurs de coulisses qui veulent installer des différences entre nous, nous savons tous les deux qu’il y a beaucoup plus de choses qui nous unissent que des choses qui nous séparent. Il peut compter sur nous, les communistes, tout le soutien et la loyauté dans cette lutte formidable que nous devons relever ensembles, comme il y a cent ans, nous serons ferme auprès des travailleurs et du peuple, en articulant la lutte sociale dans ses diverses formes, afin de projeter une alternative démocratique réelle pour tous les Chiliens.

Source en espagnol : Chile cambió en cada esquina, en cada calle…

Traduction par ZIN TV (www.zintv.org)

2) L’aile radicale de la confédération des étudiants chiliens soutenue par l’extrême gauche

Entretien avec Sebastian Farfán Salinas, 23 ans, président de la Fédération des étudiants de l’université de Valparaiso et membre de l’exécutif national du mouvement étudiant. Il appartient à l’aile radicale de la confédération des étudiants chiliens (Creando Izquierda). Issu d’une famille populaire, il est le premier à accéder à l’université, où il fait des études d’histoire.

Quelle est la situation de la gauche anticapitaliste au Chili aujourd’hui  ?

La gauche anticapitaliste chilienne des années 1960 et 1970 a largement disparu, non seulement à cause de la répression de la dictature, mais aussi, après les luttes des années 1980, en particulier celles du Frente Patriótico Manuel Rodriguez [organisation armée du PC], du fait de la répression très brutale des gouvernements successifs de la Concertation [alliance politique de centre-gauche]. À cela, il faut ajouter que les conséquences sociales et idéologiques du néolibéralisme triomphant des années 1990 ont profité à la Concertation, qui annonçait des lendemains qui chantent. À partir des années 1990, la gauche révolutionnaire s’est ainsi maintenue dans une sorte de marginalité, animant de petits collectifs universitaires. Cependant, depuis le milieu de la décennie passée, la situation a progressivement changé, avec une certaine accumulation de forces et une réorganisation interne qui lui a permis d’aborder la «  Revolución pinguina  » de 2006 [mouvement national des lycéens contre le gouvernement de la socialiste Michelle Bachelet] dans une position bien meilleure, relançant la discussion sur une perspective anticapitaliste.

Quelle relation y a-t-il entre cette nouvelle gauche radicale et les organisations antérieures comme le MIR [Mouvement de la gauche révolutionnaire] ou le Frente Patriotico Manuel Rodriguez  ?

Ces organisations existent toujours, éclatées en de multiples courants qui se disputent souvent entre eux. Mais la nouvelle génération qui apparaît depuis 2006 n’a pas de rapport organique avec ces organisations, tout en tentant de recueillir et de discuter leurs expériences, mais aussi de se réapproprier leurs acquis politiques et leurs figures. Elle développe ses propres modes d’organisation et d’intervention politiques. Elle s’est d’abord organisée de façon éclatée, au niveau régional, avant de commencer à converger au fil de plusieurs expériences de lutte, notamment des travailleurs de la forêt et du cuivre en 2007, et surtout des étudiants, cette année. Un certain nombre d’entre nous ont alors commencé à briguer des postes de responsabilité au sein du mouvement, occupés jusqu’ici par les forces de la Concertation ou par le PC chilien. Cela nous a permis de développer des revendications radicales avec une audience de masse au cœur de ces mobilisations, qui n’intéressaient ni la Concertation ni le PC, comme l’éducation gratuite à tous les niveaux, la re-nationalisation du cuivre ou le changement de la Constitution. C’est sur la base de cette expérience extrêmement riche, que la gauche anticapitaliste chilienne de la nouvelle génération est en train de se réorganiser.

Quelles sont les références politiques de cette nouvelle gauche anticapitalistes  ?

Les collectifs qui se développent actuellement sont marqués par des références politiques différentes. Globalement, on peut distinguer un secteur autonome, influencé par Toni Negri, et un secteur marxiste, dans lequel je me reconnais. Mais nos références marxistes, léninistes ou guévaristes ne nous amènent pas à constituer de petites organisations idéologiques, mais à tenter de construire un parti anticapitaliste de masse. Ce même processus s’est répété dans plusieurs régions du Chili de façons indépendantes  ; par exemple, à Valparaiso, nous avons découvert des collectifs du même type que les nôtres dans tout le pays, avec lesquels nous n’avions aucun lien organique. D’ici l’année prochaine, nous aimerions unifier cette gauche révolutionnaire étudiante au niveau national dans une seule et même organisation de caractère marxiste  : l’Union nacional estudiantil. Nous débattons activement entre nous, apprenons à mieux nous connaître, mais ne voulons pas reprendre à notre compte les fantasmes du passé, avec ses querelles et ses fractions reproduites à l’infini, qui ont leurs racines dans les défaites des décennies antérieures, mais constituent autant d’obstacles pour relancer un processus d’organisation. Au travers de l’expérience de ce mouvement étudiant, nous avons suivi un véritable cours accéléré sur le fonctionnement des institutions et de la classe dominante de notre pays, sur la répression et la façon de l’affronter, sur l’organisation démocratique d’un mouvement de masse, etc. Nous pouvons voler de nos propres ailes.

Que représente la gauche anticapitaliste au sein de la direction actuelle du mouvement  ?

Nous avons réussi à former un bloc indépendant au sein de la Confech, à partir des collectifs anticapitalistes. Et cette année, alors que sa direction était traditionnellement dominée par le PC, il ne reste qu’une seule membre de la Jeunesse communiste parmi les huit représentants de l’exécutif national, Camila Vallejo, et un représentant des forces de la Concertation, Giorgio Jackson. Les six autres font partie du bloc indépendant  ; trois appartiennent à la gauche révolutionnaire et trois sont en contact avec elle, c’est-à-dire que nous essayons de les gagner à notre projet d’Union nacional estudiantil. Nos relations sont assez tendues avec le Parti communiste, qui nous voit comme une concurrence dangereuse, qui ne cesse de progresser, avec une orientation beaucoup plus radicale que lui. De son côté, il subit le discrédit de la Concertation, avec laquelle il est politiquement et électoralement lié. Or, pour nous, qui marche avec la Concertation marche avec l’ennemi. Eux se justifient en expliquant qu’il s’agit d’un choix tactique. Pour la presse bourgeoise, l’aile modérée et rationnelle du mouvement étudiant est clairement identifiée à Giorgio Jackson et à Camila Vallejo  ; tandis que les «  ultras  » sont identifiés au représentant de l’Université de Concepción, Guillermo Petersen, à moi-même et à quelques autres, qui sont constamment stigmatisés par les médias dominants1.

Où en est votre processus d’organisation d’une gauche anticapitaliste unifiée, aujourd’hui, au Chili  ?

Nous sommes engagés dans un processus de constitution. Il s’agit de faire converger des groupes qui se réfèrent globalement au marxisme. Ils peuvent lire Che Guevara, comme nous à Valparaiso, Miguel Enriquez [dirigeant historique du MIR, assassiné par la dictature en 1974], comme ceux de Concepción, ou Lénine comme ceux du Nord, etc. Dans tous les cas, les collectifs concernés sont assez larges et nombreux. Et nous défendons tous une orientation anticapitaliste et une perspective révolutionnaire de transformation sociale pour aujourd’hui. Cependant, afin d’aller de l’avant, nous devons développer un projet politique qui s’adresse à l’ensemble du pays, qui dépasse le cadre de la jeunesse étudiante pour viser les travailleurs, les populations des quartiers pauvres, etc. Nous devons définir une orientation, développer un programme et opérer des choix tactiques.

Dans le cadre du mouvement actuel, avez-vous établi des relations suivies avec des équipes syndicales combatives sur les lieux de travail. Et si oui, de quelle nature  ?

Nous sommes entrés en contact avec des syndicats dont les directions sont combatives, voire révolutionnaires. Nous avons ainsi réussi à lier la revendication de la gratuité de l’enseignement à tous les niveaux à l’objectif de la re-nationalisation des mines de cuivre. En reprenant le contrôle de nos ressources naturelles pour satisfaire les besoins de la population et en expulsant les entreprises multinationales, nous pourrions financer une éducation et une santé gratuites au Chili. Autour de cette revendication, nous avons organisé une mobilisation avec le syndicat SITECO d’El Teniente, l’une des principales mines de cuivre du pays [à Rancagua, à 120 km. au sud de Santiago], dont le leader est un jeune syndicaliste très combatif, Jorge Peña. Le 15 juin, nous avons marché aux coude à coude, travailleurs du cuivre et étudiants, à Santiago. Cette jonction est très importante pour nous, parce que le Chili est un pays économiquement dominé, exportateur de matières premières, et que lorsque les travailleurs du cuivre se mettent en grève, l’économie chilienne s’arrête. Des syndicats comme le SITECO – et il n’est pas le seul – mettent en cause l’orientation bureaucratique des dirigeants de la CUT (Centrale unitaire des travailleurs), liés aux sommets de la Concertation.

Quels sont les débats essentiels que vous allez devoir mener pour avancer vers la formation d’une organisation anticapitaliste révolutionnaire au Chili  ?

Tout récemment, le Chili a connu l’expérience malheureuse du MPT (Movimiento de los pueblos y los trabajadores) [apparu en 2009], qui a rassemblé de nombreux courants de la gauche anticapitaliste et des secteurs associatifs les plus divers. Le problème, c’est qu’il a importé en son sein les vieilles disputes issues de ces formations. Nous pensons donc qu’il faut reprendre le projet de constitution d’une organisation de la gauche anticapitaliste au niveau national, à partir de la jeunesse qui s’est mise en mouvement, même si ça prend un peu plus de temps. Cette nouvelle génération politique doit se former théoriquement, élaborer un programme cohérent et développer les liens de confiance nécessaires entre les nombreuses équipes qui la composent. Notre tâche ressemble à celle de Luis Emilio Recabarren, qui fut le premier organisateur du mouvement ouvrier chilien socialiste, puis communiste, au début du xxe siècle. Les discussions que nous menons sont comparables à celles qui se déroulent à l’échelle internationale, autour de la crise actuelle du capitalisme, du socialisme du xxie siècle, de la place des élections – parce que nous sommes sollicités par des forces électorales, de la Concertation au PC.

Ce que nous voulons, c’est positionner notre organisation dans la construction, le développement et l’animation de véritables mouvements de masse. Nous lisons les classiques du marxisme, débattons et réfléchissons, mais nous voulons aussi disputer tous les espaces de direction du mouvement de masse aux partisans du compromis avec l’ordre capitaliste. Pour cela, l’organisation anticapitaliste que nous voulons construire devra remplir ces deux rôles, de formation théorique et éthique de ses membres, mais aussi d’intervention sociale. Nous voulons dépasser la phase de marginalité de la gauche radicale des années 1990, où ses collectifs passaient le plus clair de leur temps à discuter entre eux. Personnellement, je me suis battu pour réunir tous les collectifs étudiants de Valparaiso au sein de notre Fédération, et c’est sur cette base que je représente notre ville au sein de la Confech au niveau national. Nos collectifs étudiants sont nombreux  : par exemple, nous pouvons compter sur une soixantaine de militantEs bien organiséEs dans la seule université de Valparaiso.

Quelles sont vos relations avec les activistes du peuple mapuche  ?

Elles sont très importantes. Une Fédération des étudiants mapuche a été admise au sein de la Confech – même s’il n’y a pas d’université mapuche en tant que telle, les étudiantEs mapuches se battent pour la reconnaissance de leurs droits, notamment culturels. Malgré l’opposition de la Concertation et du PC, cette intégration de la Fédération des étudiants mapuches se traduit institutionnellement par l’attribution d’office d’une place sur huit à cette fédération au sein de l’exécutif national de la Confech.

Quel est le rôle des femmes au sein de votre mouvement et de ses directions  ?

Le Chili est un pays traditionnel très conservateur en ce qui concerne la place des femmes dans la société. Comme dans d’autres pays latino-américains, l’homme conserve une position dominante dans tous les aspects de la vie sociale. Lorsque Michelle Bachelet est arrivée au pouvoir, on a beaucoup parlé d’égalité, mais peu de choses ont changé pour la grande majorité des femmes  : selon certaines études, au Chili, les femmes gagnent moins de la moitié des hommes. Ceci dit, au sein du mouvement étudiant, nous avons connu un processus de transformation très important : les femmes assument un rôle équivalent à celui des hommes. Dans mon université, plusieurs dirigeantes sont des femmes, même si la question de la parité n’est pas discutée formellement. Avant moi, c’était Jimena Muñoz qui dirigeait la Fédération de l’Université de Valparaiso (actuellement, elle dirige le développement de l’Université populaire dans notre région)  ; à l’Université catholique de Valparaiso, c’est aussi une femme, Carla Amtmann, qui a été à la tête du mouvement.

Quelle place donnez-vous dans vos réflexions et vos luttes aux enjeux écologiques, notamment par rapport à la Patagonie  ?

Au Chili, c’est le projet hydroélectrique d’Aysen, au sud du Chili, qui a polarisé le débat depuis un certain temps. Il s’agit d’un gigantesque projet de barrages, financé notamment par des capitaux espagnols, qui devrait fournir tout le pays en électricité. C’est un désastre écologique majeur, mais aussi un enjeu économique et social de premier plan. En effet, ces barrages ne sont pas dimensionnés pour produire du courant pour les besoins basiques du peuple chilien, mais pour les grandes entreprises minières transnationales, qui pillent nos ressources et détruisent notre environnement pour le profit des gros actionnaires des pays dominants. Il faut dire que cette mobilisation a largement contribué à préparer politiquement l’émergence du mouvement étudiant actuel. Au-delà de HydroAysen, le projet de Isla Riesco [à plus de 100 kilomètres à l’ouest de Punta Arenas], qui vise à relancer l’exploitation du charbon pour réduire les coûts de l’énergie – et donc les coûts de production – à n’importe quel prix pour l’environnement, suscite aussi de fortes oppositions.

Quelles relations existe-t-il entre votre mouvement au Chili et les autres forces de contestation en Amérique latine  ?

Sur la base de notre lutte, nous avons réussi à établir des contacts avec d’autres organisations en Amérique latine. Récemment, avec le Frente Popular Darío Santillán en Argentine [mouvement anticapitaliste et anti-impérialiste, fondé en 2004, et qui compte déjà plusieurs milliers de membres]. De façon plus large, avec les secteurs politiques et sociaux les plus radicalisés, autour de l’ALBA (Allianza bolivariana para las Américas), notamment au Venezuela. Ils ont le projet de former un mouvement capable de regrouper une nouvelle génération de révolutionnaires à l’échelle continentale  : America en pie [l’Amérique debout], qui devrait se retrouver à Porto Alegre en novembre prochain. Il est important pour nous de réfléchir aux succès institutionnels, de caractère réformiste, qui ont pu être obtenus au Venezuela, en Bolivie, en Équateur, etc., qui constituent cependant des avancées importantes, en dépit de leurs contradictions. Au niveau international, notre mouvement a été très attentif aux révolutions du «  printemps arabe  », au mouvement des indignés espagnols, et plus récemment au mouvement des occupations, parti de Wall Street, aux États-Unis. Au Chili, nous avons compris que la bataille de l’éducation met en cause les logiques essentielles du capitalisme et que nous ne pouvons vraiment les affronter qu’à l’échelle internationale. La question de la révolution se pose à nouveau pour les nouvelles générations qui ont tourné le dos aux débats des années 1990 sur «  la fin de l’histoire  », même si le chemin vers la victoire sera long et semé d’embûches.

Propos recueillis par Jean Batou et Juan Tortosa, pour le bimensuel SolidaritéS. Traduction française, Jean Batou.

1. À ce propos, voir notamment le reportage publié le 8 octobre par La Tercera, et intitulé  : «  Quiénes son los duros que controlan la Confech  ?  », http://diario.latercera.com.

Source du 2 : http://www.npa2009.org/content/nouv...


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