Grande manifestation en Israël contre la ségrégation des femmes imposée par les ultra-orthodoxes

jeudi 29 décembre 2011.
 

La discrimination à l’égard des femmes a dégénéré dans un quartier de la ville de Beit Shemesh, à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Jérusalem. L’étincelle a été l’histoire d’une petite fille de huit ans, Na’ama Margolese, d’origine américaine, filmée par une chaîne de télévision se faisant insulter et cracher dessus par des extrémistes Haredi (« craignant Dieu ») alors qu’elle se rendait à son école religieuse. Le motif : sa tenue vestimentaire, jugée pas suffisamment « modeste ». La petite fille dit craindre maintenant de se rendre à l’école. Le sujet diffusé vendredi 23 décembre par Channel 2 News a ému les Israéliens de tous bords, et a suscité une grande manifestation, ce mardi 27 décembre 2011, à Beit Shemesh, où 10 000 personnes étaient attendues pour dénoncer ces dérapages et l’inaction des autorités politiques qui ont laissé au fil des ans ces ségrégations se dérouler en toute impunité.

Quelques semaines avant le lynchage de Na’ama Margolese, mi-décembre 2011, Tanya Rosenblit, jeune étudiante de 28 ans, pourtant habillée « modestement », manches et jupe longues et tête couverte d’un foulard, monte dans un bus d’une ligne appartenant à une compagnie ultra-orthodoxe. Contrairement à l’usage qui veut que les femmes s’installent à l’arrière, elle décide de s’asseoir devant, avec les hommes, plus près du chauffeur pour se faire expliquer à quel arrêt elle devait descendre. Les passagers ne l’acceptent pas, lui intiment l’ordre de s’asseoir derrière, elle refuse. Tanya Rosenblit poste des photos et ses commentaires sur un réseau social, estimant qu’en 2011 il est « inconcevable que de telles situations d’intolérance perdurent ».

Pas de séparation entre l’Eglise et l’Etat

Le statut personnel est contrôlé par les religieux en Israël, rappelle Rachel Liel, directrice du NIF en Israël (New Israel Fund, association qui promeut l’égalité, la démocratie et la justice). Ce sont en effet des « tribunaux religieux » qui jugent les affaires de statut personnel tels que le mariage, le divorce ou encore la garde d’enfant, et ceci selon la « loi religieuse ». Car en Israël, il n’y a pas de séparation entre l’Eglise et l’Etat. « Il y a parfois des difficultés pour certaines femmes à obtenir le divorce, car le mari doit donner son accord au préalable, explique Rachel Liel. Nous avons bien sûr les mêmes problèmes que dans d’autres pays, comme les différences de salaire entre les hommes et les femmes... Mais en Israël, les problèmes se sont aiguisés au cours des dernières années, et certaines ségrégations qu’on observait sur de petites échelles se produisent maintenant de façon bien plus large ».

Par exemple, la séparation entre hommes et femmes dans les bus a commencé de façon très localisée, seulement dans certains quartiers ultra-orthodoxes « mais la Cour suprême a déclaré que ce n’était pas si grave », s’écrie Rachel Liel. Nous savons maintenant que cela a essaimé un peu partout, et nous sentons une atmosphère antidémocratique qui permet que ce type de situation se produise, non seulement dans des quartiers ultra-orthodoxes, et pas simplement dans les bus, mais également sur les affiches publicitaires, dans l’armée, au travail... C’est la raison pour laquelle tout le monde est si effrayé, et c’est pourquoi nous avons organisé une grande manifestation pour focaliser notre attention sur ce grave problème ».

L’usage devient la règle, malgré les nombreuses législations anti-discrimination

Selon Rachel Liel, les responsables politiques ont « laissé la situation s’envenimer, sans intervenir. Pendant ce temps, les extrémistes orthodoxes ont occupé l’espace et imposé leurs règles qui, pour beaucoup, sont devenues l’usage » : des entrées différentes pour les femmes que pour les hommes à certains supermarchés, à des cabinets médicaux, des bureaux de poste, des files d’attente différentes pour les hommes et pour les femmes aux caisses de certains supermarchés, des femmes parfois interdites d’assister à des obsèques… Et dans l’armée, les commandants ont depuis quelques temps refusé aux femmes soldats le droit de chanter avec les hommes.

Dans certains quartiers, des panneaux intiment l’ordre aux femmes de changer de trottoir devant les synagogues, ou encore de se vêtir « modestement », c’est-à-dire avec manches et jupe longues et la tête couverte d’un foulard. A Jérusalem, des groupes extrémistes interdisent et arrachent des panneaux publicitaires représentant des femmes. Pourtant, Israël a ratifié un grand nombre de textes internationaux sur l’égalité des sexes, et son arsenal législatif est en pointe, notamment sur le harcèlement sexuel ou encore le droit du travail, les congés maternité, souligne Rachel Liel. Mais souvent ces lois ne sont pas appliquées ».

Des partis religieux puissants

Lors de la manifestation organisée ce mardi à Beit Shemesh, de nombreuses formations politiques étaient présentes, des députés et des maires de tous bord s’offusquant des violences orchestrées par les ultra-orthodoxes. Le Premier ministre Benyamin Netanyahu s’est même engagé « à faire cesser les actes de ségrégation et la violence des ultra-orthodoxes à l’encontre des femmes ». Rachel Liel regrette que ces réactions arrivent aussi tardivement : « Ils auraient dû se réveiller bien plus tôt sur ces questions, et montrer bien plus de fermeté à l’encontre de ces actes de discrimination. Cette manifestation n’est qu’un début, nous continuerons nos actions, car cela ne va pas se régler en un jour ».

Le nombre de juifs extrémistes orthodoxes n’est pas très important, quoique croissant (nombre important d’enfants par femme), mais c’est surtout leur poids qui fait leur force. Le religieux est intimement lié à l’Etat, et les partis politiques, aussi larges et démocratiques qu’ils se déclarent, n’hésitent pas à l’heure de former des coalitions, à aller chercher ces petites formations extrémistes pour leur permettre d’acquérir une majorité, notamment au Parlement.

Véronique Gaymard


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