450 milliards d’euros de surprofits grâce à la spéculation immobilière

jeudi 5 janvier 2012.
 

En trente ans, bailleurs et professionnels de l’immobilier ont réalisé 450 milliards d’euros de surprofits grâce à la spéculation immobilière, d’après une étude de la Plate-forme logement des mouvements sociaux, révélée en exclusivité par l’Humanité.

Pas une semaine sans que ne paraisse une étude sur l’évolution des prix de l’immobilier (+107% en dix ans, + 42% pour les loyers). Pas un mois sans que les prix du mètre carré ne s’affichent en une des magazines. Et malgré cette inflation d’informations, jamais personne ne pose cette question simple  : à qui profite cette explosion des prix  ?

Les profits immobiliers ont augmenté de 60 % ces dix dernières années

C’est ce « trou noir de la statistique » que vient combler une note de la Plate-forme logement des mouvements sociaux, révélée par l’Humanité en exclusivité. « Nous voulions aller au-delà du constat bien connu de la crise du logement, et des inégalités qu’elle produit chaque jour dans notre pays », explique Jean-Baptiste Eyraud, militant du DAL et animateur de ce nouveau collectif regroupant associations, syndicats ainsi que la Fondation Copernic, qui diffusera cette étude prochainement.

Un chiffre, d’emblée, marque les esprits. « 64,7 milliards d’euros de profits monétaires ont été engendrés en France en 2010 (…) par la location de logements, de locaux à usage professionnel ou par des activités d’intermédiation sur le marché immobilier », rapporte cette enquête réalisée par Pierre Concialdi, économiste à l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires). Ces profits ont plus que triplé en monnaie constante depuis 1978, beaucoup plus rapidement que l’ensemble des profits (multipliés, eux, par 2,5). L’écart de ces profits avec le PIB n’a cessé de se creuser en une décennie (voir infographie). Les profits immobiliers ont augmenté de 60%, tandis que la création de richesse progressait, elle, de seulement 14%. Bailleurs et intermédiaires de l’immobilier, s’ils avaient connu la même évolution de revenus que la moyenne des autres depuis 1978, auraient gagné moitié moins, explique l’économiste. Ils ont donc réalisé, selon lui, « 33 milliards de surprofits », qui représentent « le coût de la spéculation immobilière et de la libération des loyers supportées par les ménages ». Cumulés sur les trente dernières années, cela représente « 450 milliards d’euros ». Vertigineux.

Qui sont alors les grands gagnants de ce jackpot  ? Les deux tiers retombent dans l’escarcelle de sociétés privées  : marchands de biens, agences immobilières ou administrateurs. Leur part de profit a augmenté depuis 1978 au détriment des ménages (36 % des profits). Les revenus locatifs restent toutefois le privilège de quelques-uns. Si 55% des Français possèdent un bien immobilier, seulement 11 % d’entre eux détiennent de l’immobilier de rapport, dont les deux tiers restent aux mains des 10% les plus fortunés. Réalisée à partir des comptes nationaux de l’Insee, cette étude macroéconomique « constitue une première étape, qui devra être complétée », avertit Pierre Concialdi. Elle ne permet pas en effet de déterminer les éventuelles plus-values réalisées à la vente, les inégalités entre générations ou les profits des promoteurs. Détecter les bénéfices des banques serait aussi judicieux. Malgré une stagnation du nombre de prêts accordés et des taux d’intérêt historiquement bas, les montants des crédits immobiliers accordés par les institutions financières ont doublé en dix ans, pour atteindre 80 milliards d’euros en 2010.

3,6 millions de personnes sont en situation de mal-logement en France

Reste aussi à affiner les résultats acteur par acteur. Le premier groupe immobilier de l’Hexagone, Foncia, a par exemple triplé son chiffre d’affaires depuis l’an 2000 (575 millions d’euros en 2010). La gestion de ses 252 000 biens en location reste l’activité la plus rentable du groupe et représente 45% de son résultat d’exploitation. Avec des honoraires calculés en pourcentage de loyers réévalués à la hausse chaque année, le marché de la gestion locative assure des ressources certaines, estimées entre 3% et 4% par an, selon certains experts. Quant aux notaires, leurs résultats ont progressé de 26% depuis l’an 2000.

« L’État n’est pas non plus en reste », remarque Henry Buzy-Cazaux, ancien directeur général de la Fnaim. Impôts sur les revenus locatifs et immobiliers, droits de mutation, TVA… les prélèvements de l’État et des collectivités locales sur le logement ont triplé en vingt ans pour atteindre 29,3milliards d’euros en 2010. Soit presque l’équivalent du budget du ministère du Logement. Cette taxation a pour mérite de freiner (un peu) la spéculation. Mais que l’État gagne autant d’argent qu’il en dépense dans ce domaine a de quoi interroger… Surtout au moment où 3,6millions de personnes sont en situation de mal-logement et qu’il manque 900 000 logements dans le pays.

Pierre Duquesne, L’Humanité


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