État et Territoires « Il faut construire une démocratie élaboratrice »

mercredi 4 janvier 2012.
 

Le 25 novembre 2011, Jacqueline Doneddu, représentante 
de la CGT, présentait, au nom de la section du développement durable des territoires, un avis du Conseil économique, social et environnemental sur les missions et organisations de l’État dans les territoires.

L’avis du Conseil économique, social et environnemental (Cese) sur les interventions de l’État dans les territoires demande de « rétablir l’intérêt général au cœur des interventions 
de l’État ». En creux, la critique 
est extrêmement sévère.

Jacqueline Doneddu. Critique sévère qui repose sur une analyse des politiques conduites depuis plusieurs années et tout particulièrement depuis 2007. Ces politiques répondent aux exigences des marchés financiers, et il est demandé qu’elles se dégagent de cette prégnance. C’est le troisième avis du Cese qui porte ce constat, après celui sur les propositions de l’État pour le G20 et celui sur la compétitivité. C’est une constante des analyses du Cese  : il faut se dégager de l’emprise des marchés financiers pour retrouver le sens de l’intérêt général.

Est-ce dans cet esprit que vous préconisez la suspension temporaire de la révision générale des politiques publiques (RGPP)  ?

Jacqueline Doneddu. Nous préconisons des évaluations régulières des politiques publiques comme la privatisation des autoroutes, un non-sens économique qui affecte les financements des infrastructures. L’évaluation de la RGPP nous a conduits à de fortes critiques rejoignant celles de commissions parlementaires, de la Cour des comptes, des associations d’élus, des syndicats… Malgré ces critiques de toutes parts, le président de la République persiste. Il y a là un réel problème de démocratie. La RGPP est une réorganisation des administrations publiques dans les territoires avec pour seul objectif de diminuer la dépense publique en supprimant des emplois. La conduite de la RGPP est antidémocratique, les évaluations sont produites par des cabinets d’audit privés et les conséquences sont désastreuses pour les populations et pour les salariés. De hauts cadres de l’administration préfectorale constatent que si la RGPP continue de s’appliquer, l’État ne pourra plus assumer ses missions régaliennes. Le consensus s’est fait au Cese sur une suspension temporaire pour une évaluation préalable et une réorientation.

Vous formulez aussi des critiques sur la réorganisation des administrations de l’État dans les territoires (Reate).

Jacqueline Doneddu. Alors que les administrations d’État sont affaiblies, une multitude d’agences, à l’abri de tout contrôle démocratique, remplissent des missions de l’État. 643 agences ont été créées, à l’exemple de l’Agence du médicament. L’affaire du Mediator illustre les dangers pour les populations. Leurs missions relevaient auparavant d’une administration d’État.

Vous préconisez, pour légitimer l’action publique, la construction d’une « démocratie élaboratrice ». Qu’est-ce que cela signifie  ?

Jacqueline Doneddu. Cela vise à modifier les processus d’élaboration des décisions prises par l’État  : une conjugaison de la démocratie représentative, de la démocratie participative et de la démocratie sociale. Les salariés, les citoyens, voire les collectivités locales, perdent confiance dans le gouvernement et les institutions politiques. Il faut insuffler de la démocratie dans ce pays et revoir les dispositifs existants. Les collectivités locales devraient par exemple être associées en amont des décisions nationales et européennes. Nous préconisons la mise en place d’une « conférence périodique collégiale », associant à l’État les collectivités locales et des commissions qui aujourd’hui évaluent les impacts des politiques publiques sur les collectivités locales. Nous préconisons ensuite que soient croisées les politiques dégagées par les collectivités locales au niveau régional et les politiques publiques nationales déclinées dans les territoires. Ce qu’on appelle des « conférences stratégiques ». Enfin il faut renforcer la démocratie sociale et la démocratie participative, et notamment tenir compte des avis du Cese.

Quelle place pour la démocratie participative dans ces dispositifs  ?

Jacqueline Doneddu. La démocratie participative existe déjà dans de nombreuses collectivités locales qui ont mis en place des dispositifs pour associer la population à l’élaboration des politiques publiques. Ce maillage de dispositifs peut nourrir en amont les décisions de politiques publiques. Y compris au niveau européen, où le déficit démocratique est aujourd’hui considérable. Les décisions prises aujourd’hui au niveau européen ne reposent sur aucune consultation, aucun débat public avec les citoyens, les organisations syndicales ou les collectivités locales. Il faut donc inventer des processus qui permettent à la société civile, aux organisations syndicales, aux citoyens et aux collectivités locales de participer à l’élaboration des interventions publiques.

Vous demandez la création de « droits syndicaux interprofessionnels »…

Jacqueline Doneddu. Aujourd’hui les organisations syndicales participent à la gouvernance territoriale, au niveau européen, national et dans les territoires, alors qu’aucun droit n’est attaché à cette participation. De ce fait, les organisations syndicales n’ont pas les moyens d’accomplir ces missions, et surtout de consulter les salariés sur les enjeux qui les concernent. Et les salariés des petites et moyennes entreprises en sont exclus. Il faut reconnaître la place et le rôle des organisations syndicales dans ce dialogue territorial en créant des droits syndicaux interprofessionnels. Cette question concerne également les associations dont l’intervention doit être légitimée.

Votre interpellation ne nécessite-t-elle pas de bousculer la démocratie représentative et ses institutions  ?

Jacqueline Doneddu. La Constitution, depuis 1958, renforce le pouvoir exécutif au détriment du législatif. Mais ce n’était pas le propos de l’avis du Cese, qui ne portait pas sur une critique des institutions. Il y a aujourd’hui un déni de démocratie alors qu’il existe un espace pour faire prévaloir une réelle démocratie. La démocratie représentative sera renforcée avec le renforcement de la démocratie participative et de la démocratie sociale.

Entretien réalisé par 
Olivier Mayer


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