Leur dette, notre démocratie

mercredi 25 janvier 2012.
 

A l’initiative d’Attac et appuyée par Médiapart, une conférence internationale intitulée « Leur dette, notre démocratie » s’est déroulée toute la journée de dimanche 15 janvier 2012 à l’Espace Reuilly Paris 12e.

A cette occasion, un large échantillon représentatif de protagonistes critiques et opposés à l’actuel système économique et politique européen pour ne pas dire mondial s’est réuni. Devant une assemblée citoyenne dont l’affluence dépasse toute espérance, la question à débattre est celle de la légitimité de la dette et de la réhabilitation de la démocratie.

Analyses et modes d’emploi.

Aurélie Trouvé, coprésidente d’Attac France, et Edwy Plénel, président et fondateur de Médiapart, font l’ouverture.

Le ton est donné – Aurélie Trouvé remercie Standard & Poors, qui vient de sanctionner la France en lui retirant son triple A, de donner du peps à l’actualité et Edwy Plénel refuse de croire à la fatalité et à la résignation, saluant Attac pour son influence sur la réflexion démocratique, véritable trésor collectif.

Non, la rigueur – pensée dominante qui contamine même une frange de la gauche socialiste – n’est pas la seule alternative. Les solutions sont dans la démocratie et pas dans un homme ou une femme providentiel aux prochaines élections présidentielles françaises.

La prise de conscience de la catastrophe est en train de faire avancer cette alternance créatrice d’une alternative. Le processus ne fait que commencer et la doctrine de Madame Thatcher « There is no alternative » (« Il n’y a pas d’alternative ») est à ranger au placard.

Pour Dominique Plihon du conseil scientifique d’Attac, la déclaration de Standard & Poors quant à ses recommandations montre un véritable aveuglement. En plein paradoxe, l’agence estime qu’il n’y a pas assez de croissance en France et considère pour autant qu’il faille renforcer les politiques budgétaires. Directives insensées puisque cette situation n’est autre que le résultat de cette politique.

Il est temps d’admettre que la dégradation des finances publiques n’est pas due aux déficits des dépenses publiques mais à l’érosion constante des recettes fiscales. Les Etats subissent un véritable hold up des marchés financiers par l’usage de taux d’intérêts élevés fabriquant cette fameuse dette publique (détenue à 70% par des investisseurs étrangers). L’augmentation de cette dette dans le monde est due uniquement à la faillite des marchés, en clair à la faillite du système économique actuel. Son instrumentalisation soumet ainsi les populations à une politique de rigueur – emprise mortifère sur une société.

Sa conclusion : la BCE (Banque centrale européenne) doit passer sous contrôle démocratique pour financer les Etats de façon plus équitable. Le poids de la société civile et sa mobilisation pour une alternative ne sont pas illusoires.

A propos de la dette, Geneviève Azam, également du conseil scientifique d’Attac, pose la question : « Peut-on en sortir ? »

La dette est au cœur des rapports sociaux. Ainsi une société qui se respecte se doit de partager sa dette, de la faire circuler, avec pour exemple de dette intergénérationnelle celle de la retraite ou encore la dette écologique. Les transformer en dette monétaire sous le coût des institutions financières ne rend en rien quitte d’une redevance à dimension humaine. Peut-on donner un prix à la nature ? Les pays du Nord vis-à-vis de pays du Sud peuvent-ils emprunter sans retour ?

Sa conclusion : décider collectivement des limites de la dette nous rapproche de la liberté.

Syndicaliste à Solidaires, le regard d’Annick Coupé sur la dette se place dans le contexte du débat démocratique. Donner la priorité à la dette anéantit l’idée et le besoin de revendication sociale. Lui allouer une importance démesurée pousse à culpabiliser sur tout autre doléance.

Nous sommes dans la démonstration d’une logique politique de déconstruction sociale. Dixit Denis Kessler, ancien vice-président du Medef, « La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la résistance ». L’objectif, attaquer la solidarité.

Aujourd’hui, une vaste propagande médiatique va dans ce sens. A droite comme au PS, on reste dans cette logique, avec des ambitions politiques actuelles faiblardes. Il est certain que de prochaines mesures antisociales seront mises en place, avant et après les élections.

Sa conclusion : par un débat citoyen, une mobilisation sociale et la mise en branle d’un rapport de forces démontrer le contraire de cette logique est possible.

Marie-Laurence Bertrand, syndicaliste CGT, appelle à un audit citoyen de la dette publique. L’exemple de la dette des collectivités locales provoquée par la banque Dexia justifie cette unique directive. Priorité au développement humain durable.

La dette est-elle légitime ? Comment l’évaluer ? sont les questions que pose Eric Toussaint de CADTM (Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde).

La dette est le prétexte par excellence pour justifier l’austérité. C’est le moment de terminer le boulot de Thatcher et de Reagan et de briser les reins des grands mouvements sociaux capables de résister. Il n’est pas question de discuter de la légitimité de la dette mais de ventiler les sacrifices qu’elle engendre.

Pourtant, une réflexion s’impose sur le pourquoi de cette dette publique. Le sauvetage des banques, le coût de l’intégration à l’Europe pour certains pays, les politiques libérales des Etats… sont parmi les facteurs qui ont favorisé la dette et servi uniquement les intérêts d’une minorité.

Faire la démonstration de l’illégitimité de la dette permettra de ramener la valeur de celle-ci à un niveau plus juste et plus supportable. Preuve en est quand on sait que 1500 milliards d’euros de dette douteuse entre banques ont déjà été annulés en toute discrétion.

Sa conclusion : pour rembourser la dette, il faut faire un emprunt public. Son mode de fonctionnement : pour une part, contraindre les sociétés et les plus riches qui ont profité de l’endettement à y participer à un taux de rentabilité à 0% et pour une autre part, proposer une rémunération positive aux citoyens.

Pour commencer et tendre à ça, la solution est dans la rue.

Raquel Freire du Portugal, appartenant au Mouvement du 12 mars, dénonce la politique d’austérité du gouvernement portugais et la dictature financière à laquelle il se plie. Pour l’Etat portugais, il n’y a pas d’autre alternative.

Le smic, en dessous des 500€, est le plus bas de toute l’Europe. La misère est à tous les coins de rue dans le pays.

Sa conclusion : sensibiliser les citoyens sur l’illégitimité de la dette, lancer un audit de la dette et organiser la résistance.

La situation tunisienne commentée par Chafik Ben Rouine, membre du Comité pour l’audit de la dette tunisienne, rapporte une inquiétante évolution.

Un an après la révolution et après un audit des créances déclarant une dette illégitime et odieuse du fait de dictature, la question de son remboursement se pose pour autant. Quelle est sa priorité vis-à-vis des nécessités des droits humains tels que la santé, l’éducation se demande Chafik ?

Le plan Jasmin, signé par le gouvernement de transition non élu, oblige pourtant la Tunisie à un endettement de 25 milliards de dollars sur 5 ans. De façon non démocratique et dans le cadre de la réunion de partenariat de Deauville (G 8) en mai 2011, la Tunisie s’est engagée vers la libéralisation et la privatisation sous tutelle de la BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement).

Sa conclusion : il y a déni de démocratie, le peuple tunisien doit en prendre conscience et réagir.

Isham Christie du mouvement new-yorkais Occupy Wall Street constate que le libéralisme use et utilise l’Etat pour mettre en place son système.

Sa conclusion : la réponse à ce modèle sont les nouvelles formes d’autodémocratie.

Pour Cristina Asendi d’Attac Espagne, le constat est dramatique – l’Espagne est peuplée de résignés et dans les esprits la priorité est de sauver les banques.

Sa conclusion : aidez-nous !

Le cas exemplaire de l’Islande est à mettre en exergue et en avant. Katrin Oddsdottir, membre de l’Assemblée constituante islandaise, raconte.

L’effondrement général de l’Islande a permis de démystifier la stabilité du pays et de révéler une corruption profonde. Durant plus de trois mois, 50 000 Islandais sur une population totale de 300 000 habitants sont descendus dans les rues. Par la persistance et l’insistance, le peuple islandais a su faire évoluer la politique et la situation du pays. A cette issue, un nouveau gouvernement de gauche a proposé une nouvelle constitution. Notons que l’Islande est aujourd’hui le premier pays au monde à avoir une Premier ministre lesbienne.

Ce projet de constitution est tout d’abord passé dans les mains d’un échantillon de 1000 personnes désigné pour réfléchir sur sa forme, des rédacteurs ont ensuite été élus et enfin, les Islandais ont été appelés au vote quant à son contenu. Durant cette période, une grande sagesse populaire s’est vue naitre, favorisant aisément le consensus et apportant un enrichissement certain de la société islandaise. Finalisé en mai 2011 avec des acteurs aux profils très différents, beaucoup de nouvelles idées ont vu le jour : bloquer de lois, distribuer le pouvoir, importance de la transparence…

La nouvelle constitution est aujourd’hui dans les mains du Parlement pour qu’elle soit votée.

Sa conclusion : cette grande tourmente a fait grandir le peuple islandais. Il est maintenant dans l’attente du vote parlementaire, prêt à se battre pour sa validation comme telle.

Yves Sintomer, politiste, pense que quelque chose se termine. Le non écolo et le non économique sont remis en cause. Peser sur le système politique est de plus en plus difficile mais réalisable par les mouvements sociaux et populaires. Le levier fondamental se trouve dans les débouchés institutionnels nécessaires pour mettre en place ce changement.

Il rappelle la valeur et l’importance du tirage au sort qui existait dans les Rome et Athènes antiques. Ainsi, on évitait le monopole des politiciens, on offrait un échantillon représentatif de la population ainsi qu’une prise de parole sous forme d’assemblée générale à discussion de qualité. La vision de la politique était plus impartiale pour les réformes, hors du « juge et partie ».

Sa conclusion : l’exemple est en Islande avec ses solutions durables. L’usage de rustines dans lequel nous sommes embourbés n’est pas viable.

Thomas Coutrot d’Attac assène que la crise globale et planétaire qui est une crise de civilisation va obliger au changement. La contradiction absurde entre capitalisme et démocratie est démontrée – l’heure est au divorce. La menace est à l’effondrement de l’Europe avec pour conséquence un repli identitaire national et un retour au communautarisme.

Sa conclusion : il y a un besoin essentiel de solidarité et de reconstruction générale.

Un certain scepticisme s’exprime chez Bernadette Groison de la FSU. La mobilisation n’est pas à la hauteur de la gravité des événements.

Sa conclusion : devant la difficulté de construire une résistance efficace, il faut amplifier le travail collectif.

Pour Pierre Khalfa de la fondation Copernic, il faut de toute urgence se libérer de ce carcan. Les priorités à cet effet sont : une mobilisation au niveau européen face à la mondialisation ; une coopération et une solidarité entre les Etats ; et enfin, rendre possible l’expression d’une souveraineté populaire.

Sa conclusion : créer des rapports de forces.

La sentence est claire et sans équivoque pour Frédéric Lordon, économiste. Le principe de notation des agences doit être considéré comme périphérique et secondaire. Nous sommes en plein cas de tératologie, discipline chargée de l’étude scientifique des monstres, de la monstruosité. Car c’est bien de ça dont il s’agit – une atrocité de conjoncture.

Soyons réalistes face à la réaction de l’Allemagne, s’il y a le grand effondrement. La croyance monétaire allemande a une plus grande profondeur que celle de la France. Son abandon du système actuel de la BCE est impossible. L’Allemagne ne cèdera rien et la France cavalier seul.

Sa conclusion : il faut le soulèvement et faire table rase. C’est la structure dans son ensemble qu’il faut changer.

D’un point de vue sociologique, Philippe Corcuff affirme que nous sommes dans un état de droit oligarchique et non démocratique. Il est temps qu’il y ait une réappropriation de la technique politique.

Sa conclusion : il est nécessaire de passer à l’auto-organisation et de penser à l’insurrection internationale des opprimés.

A l’heure des conclusions de cette journée de croisements d’opinions, Edwy Plénel reprend le micro avec pour mot de la fin « Tirons le signal d’alarme. Arrêtons le train ». Susan George, présidente d’honneur d’Attac, explique que marché et démocratie sont ontologiquement en opposition. En opposition également au regard du mouvement et du temps – leur vitesse respective les sépare inévitablement. Le marché vit dans la seconde, la démocratie sur des siècles. Il est indispensable de stopper cette domination du marché et de construire des alliances multiples.

La sagesse et l’espérance de Stéphane Hessel, militant politique et ancien diplomate, se résument dans un « Ayez confiance, il faut réagir. Alors, soyez courageux ».

Jean-Marie Harribey, économiste et coprésident d’Attac France, rappelle que l’austérité proclamée et réclamée nous est vendue comme du fédéralisme seulement pour aller au bout des ajustements structurels libéraux et de l’amoindrissement salarial. Alors, ne soyons pas dupes et ne nous laissons pas faire.

Il faisait froid ce dimanche, comme il fait de plus en plus froid dans ce monde, pourtant plus de 1000 personnes ont choisi de venir se rassembler pour écouter, échanger et manifester leur désapprobation vis-à-vis d’un système qui tue. Plutôt que de rester isolés, silencieux et résignés, ces citoyens montrent que leur révolte gronde.

L’inquiétude des marchés ne doit plus aujourd’hui se focaliser sur la fluctuation boursière liée au dictat des agences de notation mais se positionner sur la poussée de la mobilisation sociale naissante.

Que tous ils se méfient.

Muriel Knezek


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