La logique de la connaissance selon Bolzano

jeudi 2 février 2012.
 

Théorie de la science, de Bernard Bolzano. Éditions Gallimard, 2011, 27,50 euros.

Remarquable précurseur de la logique contemporaine, Bolzano (1781-1848) est mort l’année où Frege est né. Prêtre et théologien praguois destitué de sa chaire à l’université pour avoir initié le mouvement des Lumières de Bohême, il a prolongé les essais logiques de Leibniz tout en annonçant de façon très remarquable les travaux de Cantor, Dedekind, Frege, Wittgenstein et Tarski.

En forgeant des outils logiques comme les notions d’analyticité, de déductibilité et de conséquence, ainsi que les conceptions philosophiques qui vont avec  : proposition, représentation, vérité en soi, il préfigure la conception sémantique de la logique illustrée notamment par Tarski dans les années 1930, donnant des équivalents approximatifs de notions capitales développées un siècle plus tard avec la sémantique du logicien polonais. Ses Paradoxes de l’infini (1851) proposent en mathématiques une avancée majeure, la définition de l’ensemble infini comme applicable sur une de ses parties propres (ainsi, en arithmétique, il y a autant de nombres pairs que d’entiers naturels), qui annonce Cantor et sa théorie des ensembles infinis.

Mais c’est surtout la Théorie de la science qui, passée inaperçue à sa publication en 1837, fut célébrée par Husserl en 1900 dans ses Recherches logiques comme une œuvre exceptionnelle. Via Husserl, elle a également influencé le logicien polonais Tvardowski et, à travers lui, Alfred Tarski. Ainsi, cet ouvrage est-il à la source des deux courants philosophiques majeurs du XXe siècle, la philosophie analytique et la phénoménologie. Même si aujourd’hui les formulations logiques ne sont plus tout à fait celles de Bolzano, certaines de ces dernières sont fondatrices de la logique contemporaine. La première partie du livre énonce qu’il y a des « vérités en soi » que nous pouvons connaître, et entre lesquelles existent des « connexions objectives », elle annonce le platonisme logique de Frege  ; puis, traitant des représentations, des propositions et des raisonnements, Bolzano propose une notion de vérité analytique liée à la mise en variables d’une partie de la proposition. Son concept de conséquence préfigure celui, sémantique, de Tarski, et a certainement influencé celui de Wittgenstein dans le Tractatus logico-philosophicus par l’intermédiaire, semble-t-il, du manuel de Zimmerman, un élève de Bolzano. L’œuvre proprement logique se complète d’une théorie de la connaissance et de la science. Ce grand classique un peu méconnu du public, enfin accessible en français, dans l’édition réduite et avec une préface de Kambartel, édition de référence de 1978, représente peut-être une des dernières tentatives philosophiques pour exposer « la somme du savoir humain entier ».

Christiane Chauviré, philosophe


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