La finance ennemi numéro 1

samedi 25 février 2012.
 

La gauche a fait du financement de l’économie son arme anticrise. Une question clé à l’aube d’un nouveau resserrement du crédit, mettant en lumière les échecs de la soumission de Nicolas Sarkozy aux marchés.

« Nous avons les banques les plus importantes d’Europe, et quand il faut prêter de l’argent aux PME, c’est l’État qui doit créer Oséo, (…) on se demande à qui les banques commerciales prêtent de l’argent. » Mercredi, devant les patrons, Nicolas Sarkozy, au pouvoir depuis 2007, présentait son triste bilan… Loin, très loin, du discours de Toulon prononcé en 2008, alors qu’éclataient à la face du monde les conséquences d’un capitalisme au temps de la finance globalisée et surpuissante. « L’idée du marché tout-puissant qui a toujours raison, c’est fini », avait asséné le président de la République à l’époque, juste avant de voler au secours des établissements financiers et de mettre à leur disposition quelque 360 milliards d’euros sans contrepartie, assurant que les banques joueraient le jeu du financement de l’économie. L’État allait reprendre la main, mettre fin aux systèmes de rémunération qui rendaient les traders accros aux produits risqués, les agences de notation allaient être encadrées et la finance totalement régulée au travers de normes dites de Bâle III, qui devraient être mises en place à la fin 2013. Une réglementation dont le seul but n’est pas d’empêcher les bulles spéculatives mais de forcer les banques à se constituer un matelas afin d’éviter aux États d’intervenir en cas de menace de faillite.

Résultat, un an plus tard, dans une économie enregistrant une récession, la plus forte depuis la Seconde Guerre mondiale, les établissements français (BNP Paribas, Crédit agricole, BPCE, Société générale, Crédit mutuel-CIC) retrouvaient le chemin des bénéfices. Jusqu’à réussir « l’exploit » de cumuler, en 2010, 21 milliards d’euros, notamment en spéculant sur les obligations des États contraints de s’endetter auprès des marchés pour financer les répercussions de la crise. Avec une croissance sortie de la zone rouge, il n’en fallait pas plus pour que le gouvernement proclame la fin de la crise au début de l’année 2011. La finance et les banques avaient dès lors retrouvé leurs lettres de noblesse au sein de la droite. Puis, à l’été 2011, les Bourses mondiales montraient le second effet de la crise et le rôle dévastateur opéré par les banques sur les États, sous la houlette d’une Banque centrale européenne (BCE) aux ordres des marchés. Dans toute l’Europe, les solutions à la crise de la dette demeuraient les mêmes, avec comme seule boussole l’austérité généralisée, un nouveau sauvetage des banques, pour lesquelles 500 milliards d’euros ont été débloqués par la BCE afin d’empêcher que le robinet du crédit ne se ferme. Au dernier trimestre 2011, 35 % des banques de la zone euro ont reconnu avoir resserré les conditions de l’allocation du crédit pour les entreprises du secteur non financier.

De nouveau en récession, la France et plus largement l’Europe se retrouvent face à la même problématique  : comment remettre en marche les financements de nos économies  ? Un thème incontournable qui parcourt les programmes des candidats à l’élection présidentielle, à l’exception du très libéral François Bayrou. François Hollande en a d’ailleurs fait son démarrage de campagne lors de son discours au Bourget, en déclarant que son « adversaire, c’est le monde de la finance ». Avec le Front de gauche et Europe Écologie-les Verts, le PS souhaite séparer les activités de détail et celles des banques d’investissement, afin que l’épargne des Français serve au financement de l’économie et non à la spéculation. Même convergence autour de la suppression des stock-options, même si François Hollande fait une exception pour les « entreprises qui se lancent ». Quand ce ne sont pas « les produits financiers toxiques, c’est-à-dire sans lien avec les nécessités de l’économie réelle », qui seront purement et simplement « interdits », a-t-il promis lors de son meeting du Bourget. En revanche, les propositions sur le financement des États restent limitées. D’une réorientation de la BCE assez floue aux euro-obligations, la finance aura encore son mot à dire sur la politique budgétaire des pays.

Plus que faire trembler la finance, la volonté du Front de gauche est de la museler, avec la mise en place d’un pôle public bancaire regroupant les institutions bancaires publiques actuelles (Caisse des dépôts, Crédit foncier, Oséo, CNP, Banque postale) qui élaborerait de nouveaux critères pour changer le mode de développement de l’économie. Dans ce cadre, les banques pourraient être nationalisées si elles ne respectent pas le nouveau pacte social, explique Jean-Luc Mélenchon. La politique du crédit sera également déclinée au niveau européen via une modification des statuts de la BCE, afin de lui permettre de racheter directement des titres publics avec un taux d’intérêt très faible, voire nul.

Repères

Le 15 septembre 2008, la banque Lehman Brothers fait faillite. En octobre, Nicolas Sarkozy lance un plan de sauvetage du secteur bancaire de 360 milliards d’euros, sans condition. Dexia est au bord de la faillite, la France met 3 milliards d’euros pour son sauvetage.

Le 25 août 2009, Nicolas Sarkozy recevait à l’Élysée les banquiers pour limiter les bonus des traders. En mars 2010, les banques françaises leur en distribuaient près de 2 milliards d’euros.

Au premier semestre 2011, 
les cinq grandes banques françaises ont dégagé 12,8 milliards d’euros de bénéfices.

Clotilde Mathieu, L’Humanité

2) Denis Durand « Les marchés financiers ont enfoncé les pays dans la crise »

Pour Denis Durand, économiste du PCF, il faut contraindre les banques à financer les projets créateurs d’emplois en s’appuyant sur les luttes des salariés.

En quoi la reprise du contrôle sur l’utilisation du crédit 
et de l’argent des banques est une question majeure dans l’élection qui vient  ?

Denis Durand. La colère des citoyens vis-à-vis du comportement des banques est un phénomène assez nouveau, et cela pousse les candidats à se positionner sur la question. Cette question est aussi incontournable parce que la réorientation profonde du crédit bancaire et du comportement des banques est une condition essentielle de sortie de la crise. La domination des marchés financiers nous a enfoncés dans la crise, les banques se sont mises au service de l’expansion de ces marchés. La manière la plus efficace de libérer les finances publiques mais aussi les finances des entreprises de cette dépendance aux marchés financiers est de substituer, dans l’octroi du crédit bancaire, des critères très précis en matière de création d’emplois, de préservation de l’environnement et de développement des services publics, aux critères de rentabilité des marchés. C’est un des points clés de tout programme de transformation sociale de gauche qui prétend être crédible.

Depuis 2008, Nicolas Sarkozy a prétendu mettre au pas la finance et réorienter l’activité des banques vers le financement utile à l’emploi. Qu’en pensez-vous ?

Denis Durand. Il y a eu en réalité très peu d’initiatives prises touchant au cœur du problème. Dans la panique de 2009, on a bien assisté à quelques velléités de renforcer les contrôles sur la finance mais, au fond, la réponse à la crise a consisté à faire de nouveau appel aux marchés financiers. Le plan de sauvetage des banques d’Obama a ainsi été financé par un appel à Wall Street  ; quant au Fonds européen de stabilité financière (FESF), il est essentiellement financé par les appels aux marchés financiers. De même, on a entendu le gouverneur de la Banque de France souhaiter que les banques financent davantage l’économie réelle, mais qu’a-t-il fait pour les y inciter  ? Rien. La Banque centrale européenne (BCE) a prêté beaucoup d’argent aux banques à des conditions très favorables, mais du point de vue du droit de regard des citoyens sur ce qu’elles font de cet argent, rien n’a changé.

Sur ce point, les propositions 
des principaux candidats restent très timides. Que pensez-vous 
d’une banque publique d’investissement pour financer 
les projets des entreprises  ?

Denis Durand. C’est à la fois timide et dépassé. Cela montre en tout cas que le débat ouvert depuis 2008 sur la nationalisation bancaire n’est pas clos  ; or, une intervention publique très forte dans le système bancaire et des assurances est absolument vitale. Ce que propose Sarkozy n’est jamais que de réaménager des dispositifs déjà existants, cela reste donc très au-dessous des réponses concrètes qu’appelle la crise. Tout comme la banque publique d’investissement avancée par François Hollande, ce sont des propositions qui demeurent très centralisées et étatiques. Il faut au contraire partir des projets créateurs d’emplois qui auraient besoin d’être financés pour contraindre les banques à le faire avec l’appui des salariés et de la population, et faire pression sur la BCE pour qu’elle encourage ces projets et pénalise ceux qui cèdent à la pression des marchés. On peut le faire dès maintenant à partir des luttes sociales, en exigeant des droits d’intervention des citoyens dans ces domaines.

Comment faire, en pratique, pour mettre en œuvre ces critères  ?

Denis Durand. Le plus parlant est de partir d’exemples concrets. Il ne manque pas de projets de développement d’activité élaborés par les salariés eux-mêmes, comme à Petroplus, à la fonderie de Fumel, chez Duralex, les Fralib et des dizaines d’autres encore. Ces projets sont à la recherche de financement. C’est vrai aussi de projets publics de rénovation d’écoles, de collèges par les collectivités. Ainsi investi, cet argent ne générerait pas d’inflation mais permettrait d’embaucher, de créer des richesses et de rembourser le crédit. Il faut donc obliger les banques à financer ces projets. Cela repose d’abord sur le potentiel de mobilisation sociale, laquelle doit trouver des relais institutionnels comme les régions. Celles-ci pourraient, par le biais de la mise en place de fonds régionaux pour l’emploi et la formation, prendre en charge les intérêts des crédits en fonction du contenu des projets en emplois, leur financement restant du ressort des banques. À cette bonification d’intérêts par la région, qui représente une faible part du coût total, pourrait se combiner l’intervention d’une des institutions du pôle public bancaire que nous proposons.

Entretien réalisé par 
Sébastien Crépel


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